Le dimanche chorale
Un bémol dans le bécarre

Des lendemains qui chantent.
Cette chorale se retrouve, une fois par semaine, pour répéter durant une heure trente, dans un local sans doute un peu exigu. Ce n’est sans doute pas un problème : la promiscuité favorise les rapprochements ; elle est également appropriée à cette belle activité que nous vivons tous de manière décontractée, sans nous prendre la tête. C’est une chorale loisir qui n’a d’autre ambition que le bonheur de ses choristes : le plaisir qu’ils prennent à chanter sous la houlette d’un maître de chœur jovial et bonhomme, facétieux et parfois déroutant mais toujours précis et entraînant.
Afin de préparer au mieux le programme des deux concerts de fin d’année scolaire qui se dérouleront le 21 mai pour le premier et le 11 juin 2017 pour le second, les choristes qui peuvent se libérer se sont donné rendez-vous pour un dimanche chorale. Six heures de travail et deux heures de convivialité : ça ne peut que rendre les gens heureux. Malgré le second tour des primaires, les obligations des uns et des autres et l’absence de pression de la part du bureau quant à la participation : laissant chacun libre de son engagement, il n’y a que quatre absents. C’est un vrai succès.
L’accueil est naturellement organisé autour de l’inévitable café et de l'incontournable thé. Les plus gourmandes (ce sont essentiellement des femmes) se donnent du cœur à l’ouvrage en décorant pains au chocolat ou brioches. Il faut du coffre pour tenir une matinée à s'égosiller. Je ne tiens pas à ce que nous ayons à supporter une hypoglycémie sur une montée chromatique …
L’échauffement peut débuter. La mairie nous offrant l’usage d’une salle bien plus vaste pour trois rendez-vous annuels, c'est l’occasion rêvée pour notre maître de chœur de pratiquer un échauffement tonique, ludique et rythmé. Il donne du tambourin et les choristes, tels de grands enfants qu’ils sont restés, s’égaillent à travers ce grand espace. Seul un instituteur en activité s’éclipse. Il a le sentiment de revivre une matinée de classe. Comment le lui reprocher ?
La troupe, bien en jambes et surtout en voix, s’installe par pupitres. Le chef se place derrière son clavier, les alti à sa droite, les basses ensuite, mêlées aux ténors et les soprani à sa gauche. Rien ne change, c’est ainsi que la chorale se dispose habituellement. On sent cependant une plus grande disponibilité. Le travail ne pourra qu’en être meilleur. Les choristes n’ont pas les soucis de la journée en tête : ils arrivent l’esprit serein.
Les répétitions vont bon train. Seules les basses font traîner les choses. Si elles sont nombreuses, elles ne brillent pas par leur faculté de mémorisation des mélodies. Je peux aisément en parler : je fais sans doute partie des plus en difficulté en ce domaine. Tout président que je suis, je suis loin de pouvoir montrer l’exemple et la bonne note. Il faut accepter ce handicap : je n’ai ni l’oreille musicale ni la voix juste. Je joue les utilités.
Qu’importe, les chants avancent, le groupe progresse malgré quelques boulets (dont votre serviteur) qui suivent le mouvement. L’essentiel est ailleurs. Une première pause permet aux intoxiqués de satisfaire leurs vices respectifs. Les basses se retrouvent derrière une bouteille de blanc qui leur donnera peut-être un peu plus d’assurance.
Le travail reprend, il convient de découvrir une nouvelle chanson. C’est toujours un exercice périlleux, les différents pupitres n’avançant pas tous à la même vitesse. Le chef se montre patient, envoie parfois des piques pour titiller les chanteurs. Je le devine parfois tenté d’user de la baguette sur les doigts des basses. Il se garde bien pourtant de telles représailles. La musique est censée adoucir les mœurs et nous ne pratiquons aucun chant en canon pas plus que d'air martial.
Cependant la pause méridienne arrive et le canon sera dans les verres. Les plats sortis des paniers se partagent. La table a été dressée en batteuse selon l’expression locale. Les cinquante choristes se répartissent ainsi de part et d’autre de cette longue tablée festive. La cacophonie est de rigueur, les conversations bruissent, les joues se colorent, les verres se vident. J’assure le service en matière œnologique : il me faut bien avoir une petite utilité dans cet ensemble harmonieux.
À la demande de quelques-unes, je fais le pitre. Le conteur prend la place du piètre chanteur pour redorer son blason, fort mis à mal quand il s’agit de donner le La. C’est dans un silence de cathédrale que j’officie. Voilà qui va m'assurer ma réélection dans un fauteuil. Je profite de ce billet pour partager ce conseil avec les prochains candidats à la fonction suprême. Un président qui sait parler en public a de bonnes chances de garder sa place. Hélas, les tribuns sont rares dans la classe politique actuelle.
Revenons à nos chanteurs. Le repas terminé, il faut reprendre le collier. Les bâillements viennent parfois entraver les triolets : la digestion est délicate. Qu’importe ! C’est dans la bonne humeur que les imperfections des uns et des autres sont reprises. Les éclats de rire se succèdent ; le chant est un loisir, il convient de le vivre ainsi.
Soucieux de ne pas gâcher, pendant que mes camarades font leurs gammes et se montrent bien plus compétents que moi dans l’art complexe du chant à plusieurs voix, je récupère tous les fonds de vin, je pars à la recherche d’épices, de fruits, de substitut à ce qui, immanquablement, fait défaut dans cet endroit qui n’est pas une cuisine, afin de préparer un vin chaud. Cela me semble le prolongement naturel de la batteuse, de mon conte et de la journée.
Je mélange aux vins rouges ainsi recueillis, une pomme, une mandarine et sa peau, du sucre, un sachet de thé, du poivre, du gingembre, du curcuma, un soda au quinquina et un autre à l’orange. Personne ne m’a vu jouer les apprentis sorciers. Ils chantent à tue-tête de l’autre côté et je peux tout à loisir tenter de les empoisonner ...
Je laisse mijoter tout doucement mon breuvage et retourne faire semblant de chanter. J’ai de bonnes dispositions pour la présidence : vous pouvez le remarquer vous aussi. La pause de l’après-midi arrive et mon vin chaud a un franc succès. Cette fois, pour célébrer à leur façon la mort de Fidel Castro, les choristes me désignent président à vie. « Du vin et des jeux », voilà le succès des tyrans et des incompétents.
L’après-midi s’achève. Chacun s’en rentre chez lui, sans doute plus heureux que le matin-même. Rien n’est plus agréable que de chanter ; que l’on ait des facilités pour la chose ou que ce soit difficile et incertain comme c’est le cas pour moi. Je vous invite tous à vous investir dans une chorale et, si par hasard, quelqu’un voulait prendre la présidence à ma place, je la lui cède volontiers. Le succès me monte à la tête et je lorgne désormais celle de la République … Cette fois, c’est le pays qui déchanterait !
Choristement vôtre.