samedi 2 juillet 2016 - par C’est Nabum

Le funambule de l’inutile

Les points de suspension.

Il était une fois un écrivain en mal d’imagination. Les mots s'échappaient péniblement de sa plume d’autant plus qu’il utilisait un clavier. Il avait le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de reprendre son souffle.

Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans le métier. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il faut admettre qu’il avançait péniblement sur le chemin d’un écrit qui ne sortait pas du cœur.

Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, il devait se contenter de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques. C’était laborieux et cela n’aurait certainement pas intéressé grand monde si soudain, par un incroyable renversement de dernière minute, la lumière n'était venue, le miracle ne s'était produit.

Incapable de trouver le mot de la fin, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile , sans espoir de chute, dut se rabattre sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, lui octroyant des points de suspension qui permettaient l'ellipse et ouvraient de nouvelles perspectives à des lecteurs qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois son point final habituel, il pensait certainement élargir son propos.

C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle de son disque dur.

Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première. L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens.

Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.

Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.

Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.

Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.

Puis, un jour, il découvrit que les autre vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.

Il garda cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude : elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…

Suspensivement vôtre.

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11 réactions


  • christophe nicolas christophe nicolas 2 juillet 2016 21:02

    Pourquoi vous dévalorisez vous ? Vos textes ne sont pas si mal. Bon, vous n’arrêtez pas de mentir mais ça peut se corriger.


  • JBL1960 JBL1960 3 juillet 2016 09:14

    Je n’utiliserai plus jamais de points de suspension sans penser à vous... C’est pourquoi j’en abuse pour pouvoir me rapprocher un peu de votre talent. Ce texte m’a fait penser à Chaîne 43 une des nouvelles de Grisebouille, tenez c’est là ; https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/02/16/jsuis-plus-sure-de-rien/ Et bien que j’ai préféré son enfant sans bouche.

    Tenez, voici mon tout dernier billet de blog à tiroirs = https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/07/02/le-futur-est-proche/ qui contient bon nombre de points de suspension aussi, mais j’ai toujours affirmé, dès le 1er jour que je n’étais rien, ni personne et que tout bien considéré, ma condition d’invisible du départ, puisque par la grâce de Zénon L’ailé je me suis transformée en Indivisible (depuis ce billet où j’ai intégré son Vox Populi = https://jbl1960blog.wordpress.com/2016/05/25/choisissons-nous/) m’aura appris depuis qu’un simple grain de sable pouvait enrayer la plus sophistiqué des machines. Tout comme un minuscule cailloux dans les chaussures de ces beaux et grands Messieurs, peut devenir une redoutable et mortelle gangrène. JBL1960


  • juluch juluch 3 juillet 2016 09:25

    ........................ a vous d’écrire la fin !!


    Continuez comme ça nabum !!

  • ZEN ZEN 3 juillet 2016 09:52

    Bonjour Nabum, 


    Cordialement

  • Loatse Loatse 3 juillet 2016 13:37

    Alerte, alerte, alerte... ;)


    Le point de suspension est le signe que votre bécane a pris le contrôle... Directement connectée à votre subconcient, celle ci vous rappele un beau jour (ou moins beau c’est selon) qu’il vous faut compter avec « elle », qu’il n’est pas question de « faire du texte » pour faire du texte, de mettre des barrières entre votre subconcient sur lequel est s’est directement branchée et ces doigts qui glissent sur le clavier...

    Sans doute estime t’elle qu’il s’agit là d’un crime de lèse majesté puisque, dés lors, on s’expose à toutes sortes de manifestations de sa part dont la plus catégorique est l’effacement soudain de votre texte généralement laborieusement pondu...

    N’oublie jamais, semble dire celle-ci, que nous travaillons en binôme !... Que je sais tout de toi, mieux que toi et que tu ne pourras pas longtemps être ce que tu n’es pas si l’idée t’en vient...

    ............. bip... piouf... bip.........................................connection -message :

    « Tu croyais quoi ? qu’en cloturant tes phrases avec un point, je n’y mettais pas mon grain de sel ? C’est mal me connaitre..

    J’existe pour que tu sois TOI.. Mais pas un toi tout seul, un toi branché sur l’inconscient collectif dans lequel tu puisses sans le savoir ce que tu appele ton imaginaire . C’est alors que je te facilite les choses. Alors si tu le veux, je peux même prendre le contrôle total de tes écrits (auquel cas, tu t’exclamera une fois sorti de cet état de quasi transe qui caractérise ce lacher prise total : »pétard, j’ai écris ça, moi ?« 

    En partie, en partie... :)

    Amuse- toi seulement, et le reste te seras donné en surcroit... N’attend rien que le plaisir de jouer avec les mots, les mots doux, les amers, les mots tus...

    Exprime qui tu es, le monde qui t’entoure mais ne cherche jamais à plaire, à séduire qui te liras, à abonder dans ce que tu penses à tort être ce que l’on attend de toi ou à brider tes émotions...

    Tu y perdrais ton âme...

    Signé »ta bécane" (j’avais loatse sous la main, bien disposée, ne lui en veut pas ! ;)

    • C'est Nabum C’est Nabum 4 juillet 2016 08:12

      @Loatse

      Ainsi donc, vous êtes désormais en capacité d’écrire en dehors de ma présence ma chère compagne ? Quelle magie que cette machine informatique

      Vous êtes ma maîtresse et je suis votre esclave

      Je vous donne la main, vous ne me donnerez jamais la vôtre

      je m’abandonne à votre amour


  • franc 4 juillet 2016 06:15

    Jolie poésie sur l’inutile ou l’apparent inutile qui dénote aussi une grande imagination ,avec un style d’écriture que j’aime beaucoup

    -

    Continuez à nous donner une part de votre poésie .


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