« Le grand bleu » l’espace des dieux
L'espace des dieux, antiques et nordiques, espace mythique, onirique et lyrique.
Le « grand bleu »réapparaît sur les chaînes télévisuelles. Et l'on se souvient. Bizarrement ce film fit apparaître des avis très divergents entre le public jeune, celui de qui la tête vagabonde dans le merveilleux de l'enfance et de l'adolescence, le moment de la vie où l'on cherche la fusion complète avec le milieu et une absence totale de résistance de la matière...et les autres, ceux qui ne rêvent plus, les réalistes, les gens accrochés à la terre comme le coquillage à son rocher.
Ce qui provoqua tant de déconvenue c'est surtout la fin du film.
Il est très intéressant de voir que dans l'alternative d'un choix personnel, quand nous sommes abandonnés à nous même, nous devenons des handicapés de la vie.
Les américains, les crucifiés du traversin, exigèrent une fin acceptable selon leurs critères moraux et religieux. L'art révisé et corrigé par la parole divine, un signe des temps ?
C'est à dire une fin à la mesure de la médiocrité humaine conditionnée par les lois et les dogmes qui ne s'affranchit sans doute jamais du parent protecteur ou directif, du Dieu vengeur, justicier, c'est à dire un Dieu à la mesure de notre misérable condition de suivant borné et de mouton soumis et angoissé.
Revenons au terme du film, là ou nous projetons notre propre vision sur l'écran bleu-nuit des fonds marins. Là ou nous sommes livrés à nous même, seuls devant l'ultime choix.
Est-ce si difficile de s'octroyer la liberté d'imaginer la fin à la mesure de notre sensibilité ?
Suivre le dauphin, partir, passer de l'autre côté du miroir aquatique pour un ailleurs, un ailleurs qui répond au rêve pour le rêve, pour le plaisir de s'abandonner au seul imaginaire. A l'écoute des chants des sirènes, comme Ulysse, jadis envoûté et tenté. L'art c'est surtout le libre jeu de l'imaginaire, la libre métamorphose.
Une fois de plus on confond la carte avec le territoire, l'image avec la réalité matérielle ou spirituelle, la représentation d'un moment et l'animation de l'instant.
C'est le dénouement le plus pur, le plus poétique en phase absolue avec l'esprit du récit homérique, au cœur de la mer Égée, dans les délices cycladiques et doriques enfouis. Les secrets endormis de l'Atlantide, l'âme du monde antique, le repère souverain des dieux.
C'est un moment instauré pour les héros, les personnages de légende, l'authentique fruit d'un imaginaire libre et fécond.
C'est l'esprit de l'adolescence, cette période souvent douloureuse, confrontée aux refus mortifères des réalistes ombrageux et oublieux de leur jeunesse.
Dommage que la plupart d'entre nous ait occulté la magie de ces moments de vie où l'idéal nous propulse en des lieux où nous nous égarons dans la conviction profonde que nul peut nous entendre et nous suivre.
Il est probable qu'en un jour lointain, dans un univers terrestre chaotique qui taisait son nom, deux êtres informes, d'un bestiaire improbable, en mutation, frères d'âme et d'apparence, s'étirèrent, dubitatifs, mollement, approximativement, sur la plage des métamorphoses.
Ils se quittèrent là, l'un pris le chemin du grand large, l'autre celui des bosquets émergents. Un long temps s'écoula, le premier, devint le dauphin et l'autre prit le nom d'Homme.
Les grecs de l'antiquité nommèrent le premier « esprit des mers » Delphis, dans la Grèce antique, Le second s'auto-congratula, « esprit de la terre » dans l'absolu et pour tous les temps.
Le film de Luc Besson est traversé par cette mystique intemporelle, il dévoile aussi l'univers ludique et charmant des dauphins mais le journalisme prosaïque y va de ses remarques assassines, transformant l'espace égéen lumineux en un laboratoire de dissection contemporaine ou en film d'horreur d'un massacre à la tronçonneuse aquatique.
(extraits de l'article de Jack Parker le 3 novembre 2011 )
« Les dauphins, ces animaux sanguinaires et pervers.
A l’occasion de la sortie de L’incroyable histoire de Winter le dauphin, nous pourrions rencontrer la nature sans état d'âme.
Le dauphin, symbole ultime de la jeune fille en fleur (ex-æquo avec le cheval), grand allié de l’Homme dans les profondeurs sous-marines, adorable petit clown des océans. Nous savons qu'un dauphin peut sauver un humain de la noyade et même le protéger d’un requin. Dans un même temps, pourquoi les dauphins sauvent ils les humains ? Pourquoi tant d’intérêt pour notre espèce ? D’où vient cette prédisposition à nager avec nous et sauter à travers des cerceaux pour un malheureux hareng ? C'est à dire que leur complexité est la notre. Dissimulés derrière leur image de sirènes enchantées amies des enfants perdus, ils commettent aussi d’horribles méfaits ».
Notre passé commun, la proximité physiologique et psychologique explique notre similitude comportementale. Les dauphins nous ressemblent, ils aiment naturellement notre compagnie.
« Nous pouvons aussi nous sentir doublement concernés quand les attaques ciblent les humains. il est tout à fait possible de se faire agresser sexuellement par un dauphin. Du coup, si Flipper décide de vous utiliser comme objet de plaisir, son enthousiasme pourrait bien vous être fatal. Il pourrait vous maintenir sous l’eau trop longtemps ou pire, vous entraîner au fond, scellant ainsi votre destin à jamais.
cet article sur le site de Libération, Ici, un portrait détaillé du Grand Dauphin. Pour les bilingues, le viol collectif, ainsi qu’un autre article sur leur côté sombre. »
D'ailleurs, au moment ou cet auteur, qui ne démérite pas, nous dévoile l'aspect de l'ombre chez notre ami le dauphin, nous célébrons, nous primates ô combien évolués la commémoration le l'armistice de 14/18, période peu glorieuse où des primates conditionnés, « les esprits de la terre » se massacrèrent par millions, gratuitement, sous l'influence d'une odieuse manipulation politique de primates irresponsables.
Notre réputation est faite, nous sommes de sinistres hypocrites bornés, la violence est toujours présente et voyage allègrement sur toute la surface de la terre.
Un autre extrait d'une critique formulée par Denis Berger le 9 octobre 1988.
« On comprend pourquoi, à la fin du film, le Jacques Mayol fictif délaisse celle qui, à force de patience et d'obstination, a réussi à devenir sa compagne et à se retrouver enceinte, pour rejoindre son ami Enzo dans une plongée dont il ne pourra plus revenir. Car les héros du Grand Bleu, ces stéréotypes, refusent l'intégration sociale qui marque la fin de carrière du sportif : ils veulent rester éternellement jeunes, pour aller jusqu'au bout de la compétition. Et cette compétition-là, bien plus que tout autre, mène à la mort. Là est l'originalité essentielle du Grand Bleu : pour la première fois, le caractère nécessairement suicidaire de cette idéologie du super-sportif si typique de la société des années 80 est mis à jour, à la disposition du public ». Denis Berger 9 oct.1988.
La compagne de Jacques Mayol, une hystérique new-yorkaise, qui se trouve à des milliers d'années lumière de cet « homme-enfant-poisson »
Cet être singulier a peu connu sa mère, il assista à la disparition tragique de son père . Ce garçon traumatisé, en régression émotionnelle, très adulte dans sa passion mais tout à fait inadapté à la vie, une espèce de neptunien en sublimation permanente.
Elle s'est accaparé ce personnage fragile et délicat mais tout à fait insaisissable.
L'éternelle dissonance entre le féminin et le masculin. L'impossible entente.
Seul Enzo, l'ami et farouche adversaire, connaît la nature profonde de Jacques. Il sent que sa différence le rend inaccessible et incompréhensible. Il pressent qu'il est d'une autre essence. Il le confie gravement à Rosanna, la compagne malheureuse qui ne peut entendre.
La plupart des critiques négatives sont au premier degré. La vision moraliste n'a rien à faire là dedans. Nous sommes dans un espace antique, c'est la résurgence du talon d'Achille. Mais l'on peut transposer le film dans une dramaturgie nordique, wagnérienne, le héros est un demi-dieu moderne.
Jacques Mayol me rappelle Siegfried dans sa majesté et sa candeur, les demi-dieux sont paradoxalement des êtres puissants et vulnérables tant ils sont purs.
Contrairement aux hommes qui sont rusés, passent en force, façonnés de volonté.
L'univers du Grand bleu est onirique, abstrait, mythique, lyrique. Certes nous n'évoluons pas dans l'univers d'Odin au Walhalla des braves guerriers, nous sommes en mer Ègée avec pour toile de fond les récits homériques de l'lliade et l'Odyssée sous la protection de Neptune, dans un ailleurs poétique.
Un rappel qui me semble éclairer l'univers du Grand bleu, à travers une citation de Nietzsche sur Wagner qui fut pendant un temps son ami.
« Le « cas Wagner », comme disait Nietzsche, est un cas limite et un cas unique. Des gens sans formation musicale supportent ses drames sans ennui tandis que d'autres, instruits par Bach et par Mozart, leur témoignent une intolérance absolue. Mais il arrive aussi que ce théâtre musical rebute les ignorants et qu'il enchante les plus raffinés et les plus savants. Cette apparente contradiction vient de ce que la musique wagnérienne a un caractère viscéral marqué et qu'elle agit à la manière de la vague marine : elle obsède, elle use, elle magnétise et ravit l'âme, même quand elle défie l'intelligence et le bon goût. »
Les clichés, Le grand bleu, Jacques, Enzo, Rosanna et, en contrepoids, l'anneau sacré, inspiré de Richard Wagner avec Siegfried, le héros et son alter ego Brunehilde, qui elle est une walkyrie.