Chut.

Ne pouvant donc décemment pas appeler Le Guerrier silencieux, Valhalla Rising un film, j’y ferai référence en tant que « it ». « It », non pas parce que je suis anglophone dans l’âme, mais parce que je ne veux tout simplement pas appeler ça « ça », et que « it », ça donne carrément plus le ton. De plus, ça me donne la jouissance d’un bon gros glaviot à chaque fois que je l’écris. C’est comme ça. Qui plus est, dans it, il y a une Grande Scène d’Anthologie. Peut-être une des plus grandes GSA de l’histoire du cinéma du monde.

Je voulais décompresser, avant Shutter Island ou La Rafle, car je sentais bien de gros articles. Donc, je voulais voir du sang, des membres arrachés, et des vikings violents, de la vengeance et de la haine. De la baston bien crade, gore, comme on avait pu apercevoir dans la bande annonce.

Un besoin normal pour une personne normale, en somme.

Ce que j’ai vu. Ce que j’ai vu… J’ai vu des highlands, de la brume, des ciels1 (avec des chemtrails, sinon c’est pas drôle), de la flotte salée et pas salée, des gens sales, et des arbres. Rien que je n’ai pas pu voir moi même en Ecosse, donc. La bière et les odeurs marines en moins.

Ha bon, ma y’a pas un mec trop balèze ?

Ah, la bande annonce, petit homoncule… La bande annonce ! Alléchante, ça oui. Quand on lit le synopsis, on à l’impression qu’on va voir Gladiator à l’envers, de surcroît chez les vikings ! L’esclave qui devient son propre maître, qui se perd dans la brume avec des croisés, et qui découvre ses origines. Y’a une chose de vraie dans ces trois affirmations. Allez, une et demi. Tu as vu la bande annonce avec moi, n’est-ce pas, être chétif et insignifiant ?

Voui. Voui j’m’en souviens. ça n’avait l’air bien.

N’est-ce pas ? Eh bien, tu as vu le it. Nulle besoin de pirater ce it, quand on sait que l’intégralité de l’action est présente dans la bande annonce2. Reste qu’à entrecouper ça des plus belles images de la Nouvelle-Écosse qu’on pourrait obtenir sur France 5, et on a ce it.

Le guerrier silencieux. Y’a au moins deux mots de trop dans ce titre. Quand au titre secondaire, Valhalla rising, ben… là, je ne sais pas quoi dire. Je connais ma mythologie scandinave… et… oui. Non, je n’ai pas saisi. Rising ? Je connais mon anglais, et je n’ai pas saisi. On pourrait donc raccourcir le titre de ce film à un seul mot. Je vous laisse deviner lequel.

C’est vrai que les dialogues n’ont pas englobé le budget du it3. Mais non, essayez encore.

Vous n’avez parler de Dante au logis.

Oh, oui, c’est vrai, petit être. La fameuse GSA du it. Elle arrive au meilleur moment. Elle arrive au Understanding Point, le moment où le spectateur commence à comprendre que le film n’évoluera plus, et n’attend qu’une chose, c’est que les lumières se rallument. Dans certains film ou certains it, c’est très rapide, dans d’autres, c’est plus long. Tout dépend de la confiance qu’on a placé dans le réalisateur. Ainsi, dans un it de Patrice Chéreau, l’UP arrive très vite (au bout de quelques minutes). Tandis que dans un film de Jarmusch il arrive assez longtemps après le début. Tu as lu Le désert des tartares, petite bestiole ?

Nion.

C’est un livre dans lequel il ne se passe rien. Mais c’est l’histoire, si tu veux. C’est le livre qui veut qu’il ne se passe rien. Le héros attend une chose qui n’arrive pas, et nous vivons son calvaire et son attente, et sa frustration, par empathie. Un livre passionnant malgré cela. Je l’ai dévoré.

Ce it est frustrant. Carrément frustrant. Sauf que les personnages ne sont pas frustrés, ils sont privés (de bouffe et d’eau). On vit leurs privations, non pas par empathie, mais par frustration justement. Ce it est frustrant car le personnage principal ne sert à rien. Il aurait pu être toi, homoncule, ça n’aurait rien changé. C’est frustrant pour le spectateur, et c’est alors que les personnages deviennent dingues.

A l’apogée de cette folie, arrive la Grande Scène d’Anthologie. Le it bouge, avec sa mollesse éternelle, et d’un coup, l’histoire s’arrête, et chaque personnage va délirer dans son coin, laissant le spectateur déjà éberlué par une heure de film qui ne va nulle part, tout seul dans son fauteuil, incrédule. Les yeux grands ouverts, une moue dessinée sur la bouche4. Un malaise, un sentiment de perte de soi. Stupéfait, sidéré, ébahi… Il y aurait plus de mots pour décrire le comportement humain devant une telle GSA qu’il n’y en a dans tout le script de it. Je spoil ou pas ? Non, les plus acharnés d’entre vous qui ne l’ont pas encore vu voudront s’en rendre compte par eux mêmes. Tout ce que je peux vous dire, c’est que, vraiment, cette scène est mémorable. La musique, le rythme, le viol boueux… C’est fantastique. Jamais je n’ai vécu un telle expérience, et, pour tout te dire, à coté, la drogue, c’est du gazon.

Moi j’aime na drogue.

Mais oui homoncule, c’est à cause de tes nerfs, ils sont fragiles. Allez, sage. Bien, je pourrai faire une blague sur l’Oscar du meilleur acteur qu’on aurait du décerner à Mads Mikkelsen, mais j’éviterai.

Paraît que dans une critique, il faut parler du réalisateur, évoquer ce qu’il a fait, tout… oui, ben, je n’ai rien vu d’autre de celui qu’on dit héritier de « Kubrick, Lynch et Herzog » (Les Inrocks). C’est clair que ça se voit. Notamment dans l’arrêt sur Chemtrails image lorsqu’on voit la tête d’un acteur en gros plan, pendant une trentaine de seconde, dans la lumière saturée d’un ciel canadien et dans le silence. Non, dans un bourdonnement perpétuel. Si ce it est très silencieux, il n’en demeure pas moins qu’il souffre d’acouphènes. C’est pénible.

Parlons en, tiens de l’héritier de Kubrick. Sur l’affiche, il est écrit que ce it est au film de viking ce que 2001 est à la SF. Aïe. Mais c’est entièrement vrai5 !! C’est chiant. Il ne se passe rien. Les scènes sont à rallonge. On est transporté dans les méandres de l’ennui… Bon, ok, ça dure 1h30, on souffre plus de frustration que d’ennui.

C’est vrai que le titre aurait dû me murmurer la puce à l’oreille, mais comme je l’ai déjà dit, le titre est faux.

On peut aimer ce it. Oui, pas de soucis. Faut juste aimer la branlette intellectuelle. Il n’y a qu’à voir la critique du Monde6, qui ose sortir des conneries énormes du genre : « Réinvente le film de Vikings ». Si on réinvente tous les genres de cette façon…

Un film de mâle (je crois qu’à part quelques femmes à poils, en arrière plan, on n’en voit aucune), sauvage, brutal (les sons sont, avouons le, particulièrement frappant), frustrant. Un film qui saura, en particulier au moment de la GSA, vous transporter outre monde, un peu comme si vous vous étiez injecté de la morphine ou si vous aviez avalé une plaquette de Néo Codion ou sept sachets de smecta. Il essaye de convaincre, il tente, mais ça n’a pas pris sur moi. Peut-être m’attendais-je trop à de l’action, peut-être avais-je trop fait confiance à la bande annonce ?

Voilà.

 !!!!!!!!!!!!!!ANECDOTE BONUS SPOILER !!!!!!!!!!!!!!

Je n’ai pas évoqué un fait étrange, chose qui ne m’est jamais arrivée… J’en ai rêvé (authentique. J’ai moi même du mal à y croire) ! Cette nuit, j’ai rêvé qu’il y avait une autre fin au film. Qu’à la fin, one-eye ne meurt pas, comme un con, dans une mort aussi frustrante qu’inutile (et pathétique). Mais qu’il se relève et butte tous les indiens… C’est pas Freud qui disait que nos rêves étaient constitués de nos frustrations ? Merdre. Il avait donc raison.

  1. Je pense qu’on peut parler de « ciels » pour un film. Autant pour it, je sais pas. Je le mets quand même, tant le réal y tient, à ses ciels 
  2. A une scène de viol homosexuel près, lors de la GSA 
  3. Là, je me pose une question. Il y a tellement de brume et l’air semble tellement humide dans le film que je me demande si cette absence quasi totale de dialogue n’est pas une volonté du scénariste et réalisateur pour que les acteurs ne souffrent pas de maux de gorges. Faut dire, quand je suis rentré de mon aventure dans les highlands, j’ai perdu ma voix pendant deux jours, et le tournage dans le Glen Affric a duré dix semaines, paraît-il 
  4. Ou une grimace. Je crois que ma lèvre supérieure était légèrement plissée vers le haut, du côté gauche 
  5. A ceci près que 2001, avec ses 2h21, révèle de la torture. 
  6. Vous pourrez apercevoir d’ailleurs le film en entier en fin de l’article