jeudi 15 novembre 2018 - par Fergus

Le Jardin des Plantes aquatiques

En cette période de tensions sociales, économiques et politiques, sourions un peu en (ré)écoutant cette chanson qu’interprétait Paul Lack à la Belle Époque. Le texte a été écrit les pieds dans l’eau en 1910, année d’inondation catastrophique où, comme aurait pu le chanter ce comique de café-concert très apprécié de son public, « la Seine s’est désseinée »...

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1910 : la fosse aux ours inondée

Le Jardin des Plantes aquatiques ne fait pas dans l’humour raffiné, c’est un fait, mais à la Belle Époque, l’on aimait s’amuser de tout sans se prendre la tête, s’esclaffer sans manières aux facéties des artistes populaires, et même rire « à s’en tordre les boyaux » des prestations gazeuses de Joseph Pujol alias « Le pétomane ».

Paul Lack réjouissait le public venu l’écouter dans les cafés-concerts – les « caf’ conc » comme on disait alors – pour « se détendre après l’turbin », à l’image de ses contemporains Charlus (Viens Poupoule  ; La Malakoff ; Le petit panier), Dranem (Ah ! les petits pois  ; Le trou de mon quai ; Tu sens la menthe) ou Polin (La caissière du Grand café  ; L’anatomie du conscrit). Et de fait, Paul Lack – de son vrai nom Louis Callamand – connut un franc succès avant que la Grande Guerre ne vienne jeter un voile tragique sur la vie des Français et qu’il ne se lance dans une carrière cinématographique.

Outre Le Jardin des Plantes aquatiques, quelques autres titres de Paul Lack ont résisté au temps et sont parfois repris dans des florilèges discographiques et radiophoniques puisant dans le répertoire populaire. Parmi ces titres : Elle avait une jambe de bois, Il a tout du ballot et, sur un sujet toujours d’actualité, La polka des pauvres contribuables. Mais revenons à Paris dans le 5e arrondissement. Paul Lack nous y invite pour une visite humide et ruisselante de la ménagerie du Jardin des Plantes submergée par les eaux lors de la célèbre crue de janvier 1910. Une visite en musique sur l’air de La Paimpolaise emprunté à Théodore Botrel :

Lorsque la Seine débordante
Un beau matin quitta son lit
Elle alla au Jardin des Plantes
Les fauves en furent tout surpris
Ce fut parmi eux
Un vrai "fauve-qui-peut"

Les lions s'agitant dans leur cage
Rugissaient pleins d'indignation
"Dire qu'on n'a même pas un garage
Quand en face c'est la gare des Lyon"

Les pauvres ours, comme l'on pense
Dans leur bain de siège tout trempés
Pensaient "Notre fosse manque d'aisance
Va falloir nous carapater
Et chercher en chœur
Une foss'...oyeur"

Les serpents dans leur maisonnette
Agitaient sans interruption
Avec désespoir leur sonnette
Comme à la Chambre monsieur Brisson

Plus loin on entendait les plaintes
Des zèbres qui trempant dans l'eau
Voyaient toutes leurs couleurs déteintes
Y avait plus une raie sur leur dos
I' s' plaignaient entre eux
En langage zébreux

Un éléphant d'un air très grave
Offrit sa trompe à son gardien
Pour lui pomper l'eau dans sa cave
Mais i' s' trompa et pompa l' vin



Les crocodiles versant des larmes
Augmentaient le niveau de l'eau
Mais les phoques crièrent pleins d'alarmes
"Si vous pleurez comme des veaux
On n' verra ici jamais l'eau... tarie"

Les canards dirent "Faut qu'on s' cavale"
Et prenant leur cane à la main
Ils s 'dirigèrent en file spéciale
Vers la rédaction du Matin

L'hippopotame eut une joie vive
Car il se trouva transporté
En s'en allant à la dérive
Jusqu'au faubourg Saint-Honoré
D'une chic maison
Il tira l' cordon

Comme c'était la d'meure de Fallières
Le concierge, myope, dit-on
Salua c't animal jusqu'à terre
En croyant qu' c'était son patron

Bref, la Société Protectrice
Mit les animaux rescapés
Dans un vaste local propice
Que sans doute vous devinez
Ils sont pour l'hiver
Logés à Chantecler

Pour les voir au Jardin des Plantes
Autrefois ça ne coûtait rien
Aujourd'hui Rostand fait des rentes
En les faisant voir chez Coquelin

L’anticlérical Henri Brisson, ancien président du Conseil, était effectivement président de la Chambre des députés lorsque fut composée la chanson. Quant au « canard » Le Matin, il soutint Alfred Dreyfus, employa Colette et Albert Londres, puis disparut en 1944 pour cause de « collaboration » durant l’Occupation. La « chic maison » est évidemment le palais de l’Élysée dont le locataire était alors le président de la République Armand Fallières, précurseur de l’abolition de la peine de mort et fervent partisan de la Triple-Entente. Enfin, Chantecler fait référence à la pièce « animalière » d’Edmond Rostand créée en 1910 avec le concours de... 70 acteurs au théâtre de la Porte-Saint-Martin que dirigeait Jean Coquelin. Une pièce au texte étonnant dont voici un extrait :

« Oui, Coqs affectant des formes incongrues, 
Coquemars, Cauchemars, Coqs et Coquecigrues,
Coiffés de cocotiers supercoquentieux… 
– La fureur comme un Paon me fait parler, Messieurs ! J’allitère !… –


Et s’amusant à les étourdir d’une volubilité caquetante et gutturale
Oui, Coquards cocardés de coquilles, 
Coquardeaux Coquebins, Coquelets, Cocodrilles, 
Au lieu d’être coquets de vos cocoricos, 
Vous rêviez d’être, ô Coqs ! de drôles de cocos ! 
Oui, Mode ! pour que d’eux tu t’emberlucoquasses, 
Coquine ! ils n’ont voulu, ces Coqs, qu’être cocasses ! 
Mais, Coquins ! le cocasse exige un Nicolet ! 
On n’est jamais assez cocasse quand on l’est ! 
Mais qu’un Coq, au coccyx, ait plus que vous de ruches, 
Vous passez, Cocodès, comme des coqueluches ! 
Mais songez que demain, Coquefredouilles ! mais 
Songez qu’après-demain, malgré, Coqueplumets ! 
Tous ces coqueluchons dont on s’emberlucoque, 
Un plus cocasse Coq peut sortir d’une coque, 
– Puisque le Cocassier, pour varier ses stocks,
Peut plus cocassement cocufier des Coqs ! 
– Et vous ne serez plus, vieux Cocâtres qu’on casse,
Que des coqs rococos pour ce coq plus cocasse !
 »

Le Jardin des Plantes aquatiques et une trentaine d’autres chansons de cette époque sont à retrouver dans ce florilège : La chanson française à la Belle Époque (juin 2012). Deux autres florilèges suivent : Chanson française : de la Grande guerre aux Années folles (novembre 2012), puis Chanson française 1930-1939, ou l’insouciance aveugle (septembre 2013). 

Autres articles sur la chanson :

Lady d’Arbanville, la belle endormie (juillet 2018)

Inoubliable et envoûtante Lili Marlène (décembre 2017)

1966 : un goût de sucettes (novembre 2016)

« Sixteen tons » : 70 ans déjà ! (août 2016)

Ils ont changé sa chanson (mai 2016)

Mary Bolduc, ou la vie quotidienne turlutée (février 2016)

Il y a 40 ans : « A vava inouva » (janvier 2016)

Loreena McKennitt la flamboyante (avril 2014)

Raoul de Godewarsvelde, canteux et capenoule (mars 2014)

Musique : balade africaine (janvier 2012)

Véronique Autret vs Carla Bruni (décembre 2011)

Amazing Grace : plus qu’un chant ou une mélodie, un hymne ! (septembre 2011)

Des roses blanches pour Berthe Sylva (mai 2011)

Splendeur et déchéance : Fréhel, 60 ans déjà ! (février 2011)

« Waltzing Matilda » ou l’enfer des Dardanelles (novembre 2009)

Amalia Rodrigues : 10 ans déjà ! (Octobre 2009)

 

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Paul Lack


6 réactions


  • gruni gruni 16 novembre 2018 07:40

    Bonjour Fergus

    « En cette période de tensions sociales, économiques et politiques... 

    Tout à fait. Quant à sourire un peu, même si la musique adoucit les moeurs, nous rions surtout jaune en ce moment.

    Tiens, je vais en profiter pour réécouter »Viens Poupoule"


    • Fergus Fergus 16 novembre 2018 08:42

      Bonjour, gruni

      « nous rions surtout jaune en ce moment. »

      C’est vrai. Et cela vaut pour tout le monde, y compris les membres du gouvernement qui serrent les fesses. 

      En réalité, personne ne sait ce qui va se passe, ni quelles conséquences aura cette journée de protestation qui s’annonce très suivie.


  • Surya Surya 16 novembre 2018 11:32

    Bonjour Fergus,

    Très sympa votre article. De toute façon vous écrivez toujours d’excellents articles culturels, c’est toujours un plaisir de vous lire.

    Bonne journée  smiley


    • Fergus Fergus 16 novembre 2018 11:40

      Bonjour, Surya

      C’est très gentil de votre part !
      Confidence pour confidence, j’apprécie également beaucoup les vôtres car ils sont ancrés dans les réalités et fourmillent d’observations très pertinentes de la société dans laquelle nous vivons.

      Cdlt


    • Shaw-Shaw #Shawford 16 novembre 2018 11:49

      @Fergus

      Ça va la comparsitude ?

      C’est pas parce que la putréfaction en charentaise furtive de la Moquée d’à côté se pose en ce moment même des questions existentielles qui lui coupent la chique, que vous pouvez croire que cette Agora ne sera pas à nouveau hantée par ses Torquemadas habituels asap !

      Y’a juste un risque de passation d’impuissance, mais je vous promets pas -pour mon humble et petite part, que ce sera plus coton en cas de transition énervée-tiques

      C’est vous qui voyez !


    • Fergus Fergus 16 novembre 2018 12:50

      Salut, Shawford

      La mosquée, j’y vais parfois, lorsque je suis à Paris dans ce quartier, non pour y observer « la putréfaction en charentaise furtive »  ????—, mais pour y déguster un thé à la menthe. smiley


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