lundi 31 octobre 2005 - par Argoul

Le message de Confucius

Il y a un demi-siècle, Etiemble, professeur de chinois, écrivain et traducteur, publia un livre sur Confucius, disponible en Folio. De l’homme, on sait peu de choses, sinon que les Jésuites en Chine latinisèrent son nom Kong Fuziu en « Confucius ». Il a vraiment existé, mais n’est pas l’auteur de toutes les œuvres qu’on lui attribue. Il est né autour de 551 avant notre ère, et mort à peu près vers - 479. Moraliste à la manière de Montaigne, de 2000 ans son successeur sans le connaître, il a pensé une période semblable à celle des guerres de religions françaises. Car, de - 591 à la fin officielle des Tcheou au IIIe siècle avant, la Chine n’a connu que conflits entre chefferies. Sage et non prophète, Confucius est l’auteur d’essais que l’on connaît sous le titre d’« Entretiens familiers » (Folio).

Dans la Chine de cette époque, on ne pouvait être que noble ou esclave. Les nobles sans terres, lesquelles s’étaient amenuisées par les partages successifs, ne pouvaient que se faire lettrés, et conseiller les princes. Confucius fut l’un des derniers -et le plus flamboyant- de cette lignée de clercs. De bonne naissance, mais pauvre, et orphelin, il n’avait que dix-sept ans lorsqu’un grand officier, sur le point de mourir, l’institua maître de son fils. « On le chargea de l’intendance, dès lors les comptes furent exacts. On le chargea du bétail, dès lors le cheptel prospéra » p.64. Car l’essentiel, pour Confucius, est la vertu.

Certes, les hommes n’en sont pas remplis, mais « les oiseaux et les bêtes sauvages, nous ne pouvons nous associer à eux, ni vivre en leur compagnie. Si je ne fréquente pas les hommes tels qu’ils sont, avec qui frayer ? » p.65. La base de la pensée est de bien définir les mots du discours, pour bien comprendre, et bien être compris. En effet, « dénominations incorrectes, discours incohérents ; discours incohérents, affaires compromises ; affaires compromises, rites et musique en friche, punitions et châtiments inadéquats (...) le peuple ne sait plus sur quel pied danser, ni que faire de ses dix doigts. » p.69. Nos politiciens pourraient utilement s’inspirer de ces conseils de bon sens, lorsqu’ils prononcent leurs discours ou qu’ils élaborent la loi. "Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement". De plus, si l’on se dit « souverain », « ministre », « père », ce sont autant de noms qui engagent, comme la noblesse oblige. Il n’y a de vertu que dans la droiture de l’intention et la pureté du cœur. Cela se manifeste par la civilité, le premier des rites, qui est respect pour autrui autant que pour soi-même.

L’homme n’est pas un être idéal, mais un naturel que l’on éduque, par l’exemple plus que par les conseils. Le recours aux anciens permet de tourner les croyances et les manies, mais c’est bien l’homme présent qui doit réfléchir par lui-même et agir. « Parce que je suis maître de moi, je suis maître de l’univers, ou digne de le devenir. Qui veut gouverner doit d’abord se gouverner ». Car telle est la sagesse : on ne change pas le monde par décret, non plus que le peuple, ni les comportements. On ne peut que commencer par ce qui est à sa portée. En premier par soi-même. Seuls le maintien d’une bonne santé, puis l’exemple de la vertu, permettront, de proche en proche, de changer comportements, hommes et monde. Tout le reste n’est qu’utopie, dans son sens mauvais d’idéal inaccessible, donc alibi pour ne rien faire. Si nos « alter  » en politique veulent changer quoi que ce soit, ils doivent commencer par comprendre le monde, puis eux-mêmes, et enfin donner l’exemple. Le modèle de « l’entreprise publique à la française » serait-il par exemple cette SNCM, dont ils défendent becs et ongles les privilèges indus ? Que je sache, « le capitalisme » n’a rien à voir dans les sureffectifs, les exigences de « préférence nationale » corse, le chantage permanent à la subvention pour renflouer les caisses et autres fermetures des yeux « politiques » en cas de malversations. La première vertu est de donner un modèle. A artir de sa réussite « exemplaire », les convictions se forgeront, et le monde pourra suivre. Ce n’est pas l’inverse qui est vrai.

Ne jamais désespérer de l’homme, dit Confucius, mais aimer, comme haïr, avec discernement. Point de juste milieu, mais le « milieu juste », tel la flèche tirée au centre de la cible, et pas à côté. Pour cela, respecter, écouter, étudier avant de dire et d’agir. « L’homme de qualité n’est pas un spécialiste » p.107, mais il est amateur de tout, et il s’enquiert. L’homme vulgaire ne pense qu’à son bien-être et à son intérêt, tandis que celui qui aspire à l’équité s’ennoblit. Sa récompense est la paix du cœur et de l’esprit, la satisfaction de voir se diffuser la justice, et le bonheur associé. Pas besoin de dieux pour injonction ou pour sanction, l’homme suffit, qui est semblable à nous, un frère.

« Tout passe comme cette eau ; rien ne s’arrête, ni jour, ni nuit » p.115, et l’homme de qualité imite ce mouvement. Il vit dans le temps, avec son temps, sans regretter un mythique âge d’or ou se consoler dans un avenir radieux. Ce qu’il faut changer est ici et maintenant, avec les hommes tels qu’ils sont, et les rapports de force présents. Pour guide, le sage a la « raison raisonnable et non point rationaliste, et nullement ratiocinante ». p.129. Point de technocratie ni de foi aveugle dans le seul « calculable », point de coupage de cheveux en quatre pour noyer le poisson. La justice exige le bon sens, la voie juste, un regard étendu et l’écoute de tous, même si la décision est une. Dialectiquement, elle se situe « après ».

« Les anciens, qui désiraient que la terre entière resplendît de la resplendissante vertu, commençaient par bien gouverner leur principauté. Comme ils désiraient bien gouverner leur principauté, ils commençaient par mettre en ordre leur famille. Comme ils désiraient mettre en ordre leur famille, ils commençaient par se perfectionner eux-mêmes. Comme ils désiraient se perfectionner eux-mêmes, ils commençaient par régler leur cœur. Comme ils désiraient régler leur cœur, ils commençaient par purifier leurs intentions. Comme ils désiraient purifier leurs intentions, ils commençaient par étendre leur savoir » p.137. Tout Confucius est là - et tout est dit. Il sert de grand exemple aux Chinois d’aujourd’hui.



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