vendredi 26 décembre 2008 - par Vincent Delaury

« Les Ailes pourpres », la vie en rose ou presque...

« Il y a plus de gens qui ont marché sur la lune que sur les langues de terre où viennent nicher les flamants. » (Matthew Aerberhard & Leander Ward) 

Les Ailes pourpres, Le mystère des flamants
, ce film américain (2008), réalisé par Matthew Aeberhard & Leander Ward, produit par Disneynature et soutenu par la LPO*, est un beau film documentaire, une ode à la beauté - et à la cruauté - de Dame Nature. Les deux réalisateurs ont planté leurs caméras pendant douze mois au bord du lac Natron, situé au nord de la Tanzanie (Afrique orientale), l’un des plus grands lacs salés de la Vallée du Rift, afin de capter des images splendides du « mystère », autrement dit du cycle de vie, des flamants roses évoluant dans un milieu magnifique mais fort hostile.

« Un lac. Un million de flamants. Une histoire extraordinaire.  » annonce la catchline suggestive de l’affiche française. On se laisse bercer par les nappes scintillantes de la musique planante de The Cinematic Orchestra et, en VF, par la jolie voix investie de la narratrice Zabou Breitman - et non pas, comme on aurait pu s’y attendre, par celle de Flavie... Flamant (passons !). Pour autant, cette voix didactique, sur fond de poésie scolaire gentillette, en dit parfois trop, et il manque certainement à ce docu pédagogique un parfum de mystère plus grand lui permettant d’être, non seulement un film pour enfants, mais également un spectacle pour adultes convaincant à 100%. Malgré ce côté gnangnan, ne boudons pas notre plaisir, l’esthétique superbe et parfois envoûtante du film - un pur jeu de lignes géométriques, par exemple, lorsque les flamants entament un tango barok’n’roll sur fond de castagnettes amusées -, permet au film quelques envolées lyriques bienvenues. On suit avec plaisir, et parfois quelque crainte lorsque se profilent à l’horizon des prédateurs acharnés (les marabouts ou les mangoustes !), ces grands échassiers fiers, à l’étoffe teinte de pourpre royale, que sont les flamants roses de la Tanzanie, terre des Masaï. On se surprend même à vouloir les défendre, ou les sauver, et on en viendrait presque à prier les cameramen de laisser tomber leur caméra pour abattre un prédateur vorace, menaçant un bébé flamant, ou gratter avec un canif les pattes paralysées des oisillons phagocytés par des gangues salines !

D’après une légende africaine (et non pas flamande !), on dit même que les flamants roses seraient les « enfants du lac » et qu’ils naîtraient de cette mer étale – le « lac de feu » de Natron, l’un des ultimes sanctuaires de la vie sur Terre - parce qu’ils seraient directement constitués de sel, nichant tous autant qu’ils sont, en colonies, sur les lagunes salées ; les huit lagons du lac Natron, à haute teneur en sels de sodiums, forment une région d’environ 80 kilomètres carrés. Mais la réalité n’en est pas moins surprenante : ils résident un moment sur des plaques de sel, dans une eau parfois à 50° C, afin que les femelles puissent y pondre leur œuf. Puis, à l’instinct (… de vie), les flamants roses, petits comme grands, se sentent le besoin de migrer car bientôt les armatures de sel solidifié emprisonnent leurs longues pattes d’oiseaux échassiers palmipèdes, au plumage généralement rose, voire carrément pourpre, quand vient la saison des amours. Bloqués, résistant tant bien que mal à l’assaut de chasseurs acharnés et cruels - des oiseaux au bec pointu, les marabouts, alors qu’eux ont un bec noir recourbé complètement inoffensif -, ils courent alors par milliers, jusqu’à un million !, pour échapper au massacre - dont l’addition s’avère salée - de nouveau-nés hagards ou blessés. Les oiseaux de feu tracent alors dans un paysage minéral, rappelant le monde flottant des estampes japonaises, des lignes rectilignes ou des dessins de « nymphéas » fascinants, afin d’atteindre, libres comme le vent, les eaux fluides et chaudes du lac Natron. Là-bas, ils peuvent y vivre fort longtemps, c’est leur Eldorado, leur territoire, leur archipel libertaire. Ces êtres élégants, parés de fleurs de rose rougeoyante, y grandissent et voient leur plumage, rappelant la tunique romaine à bande de pourpre, s’émanciper. Bientôt, les flamants, tels des escadrons volants, pourront déployer leurs grandes ailes de plumes tricolores et découvrir un nouveau monde, leur monde vu du ciel. Ils auront la vision - mais naturelle - d’un Yann Arthus-Bertrand, photographe-reporter globe-trotter qui prend d’hélicoptère, à vol d’oiseau, la Terre vue d’en haut. A vol de flamants roses, notre planète bleue est un véritable paradis, voire un miracle d’alchimie et d’équilibre naturel, où tous les éléments fusionnent afin de créer un écosystème propice à la vie, secrète ou non, sous toutes ses formes. Leurs trajectoires dans les cieux vaporeux forment comme autant de compositions abstraites fascinantes. On dirait un Soulages ou un Stella en mouvement. C’est bien l’art qui imite la nature et non l’inverse, nuance. Christo n’a qu’à bien se tenir !

Le spectateur suit leur périple à hauts risques, on apprend des choses : ils sont 6 millions au monde (Afrique, Europe, Asie et Amérique), ils peuvent vivre jusqu’à 40 ans ; ce sont des animaux sociables, grégaires, ils aiment la compagnie, il leur suffit de délimiter clairement, leur petit promontoire de sel, et ils se montrent être des parents attentifs, et protecteurs, debout sur une seule patte. Sur les tapis salins, frangés de récifs coralliens, ils forment une foultitude – une foule sentimentale pourrait dire un Souchon qui se prendrait pour son ami voyageur Voulzy. Oui, en ce qui concerne ces oiseaux de pourpre au sang chaud, aux quilles sans fin et au corps recouvert de plumes légères comme l’air, comment ne pas être subjugué par leurs couleurs enchanteresses (blanc cendré et rose bonbon virant au rouge vif), par le décor limite irréel (notamment un volcan rougissant crachant des cendres dans les ciels azuréens) et par leur histoire, digne d’une épopée ? A la fin du film, un carton nous annonce qu’ils sont en danger, du fait de la pollution et d’un environnement humain contemporain qui ne cesse de grignoter leur terrain, et la question finale interroge alors l’espèce humaine, souvent trop pédante et méprisante, de par sa supériorité supposée quant au peuple animal, « et si les flamants roses disparaissaient demain, qui s’en apercevrait ? ». A méditer, afin d’éviter un possible chant du cygne aux flamants, qui s’en iraient ainsi dormir à jamais dans le paradis blanc. Ce film animalier-écolo-bio fait réfléchir, nous renvoie à notre propre condition humaine et, à travers l’aventure vitale des flamants roses, s’avère être un voyage (initiatique) pour comprendre et respecter toutes formes de vie sur Terre. Allez-voir ce film, en famille ou non, car en plus d’être dépaysant, il nous invite, mais sans pathos, anthropomorphisme rasoir ni remontrances, à ouvrir bien grands les yeux pour se rappeler à notre bon souvenir la beauté céleste du spectacle naturel. In fine, laissons le mot de la fin à la scénariste Melanie Finn : « [Les flamants roses] ont une vie secrète qui n’a rien à voir avec les humains, (…) cette vie est certainement bien plus complexe que ce que nous pouvons imaginer. J’espère que les gens sortiront de ce film avec une impression de mystère, le sentiment que les oiseaux n’ont pas été expliqué de A à Z, qu’ils n’ont pas été "résumés" ». C’est noté, et en pourpre s’il vous plaît !

* Ligue Protectrice des Oiseaux




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