mardi 1er septembre 2009 - par Vincent Delaury

« Les Derniers jours du monde » : on connaît la chanson !

La fin du monde est annoncée, une seule priorité pour Robinson Laborde (Mathieu Amalric) : surmonter l’échec d’un grand amour avec une belle androgyne (Lae / Omahyra Mota ) qui lui avait fait quitter femme et enfant. Face au désastre du monde, il se lance alors à corps perdu dans une escapade l’entraînant sur les routes de France et d’Espagne, jusqu’à une cabane au Canada.

Le dernier film des Larrieu ? Je dirai entre Léo Ferré et Léo Foiré, il a un côté bancal intéressant. Alors, je vais écrire un truc facile, cet aspect « bancal », c’est peut-être parce qu’ils sont deux, c’est le film de l’entre-deux, comme s’ils avaient le cul entre deux chaises et que c’était constamment assumé. Et comme ces Derniers jours du monde est aussi une histoire de cul... te, je me dis que tout s’explique ! 

A dire vrai, je n’ai pas tout aimé dans Les Derniers jours du monde, du 3 sur 5 pour moi. Je l’ai trouvé trop long (2h10), trop poseur (Larrieu’s Brothers en épicuriens autoproclamés) et trop bavard - trop de lieux disparates (Biarritz, Toulouse, Paris, le Japon, Pampelune et on en passe et on s’y perd). Dommage, car dans la SF, on le sait, c’est souvent mieux de jouer sur une idée fixe et sur une topographie limitée afin de faire monter la tension, comme chez Bilal (Bunker Palace Hôtel et ses récits en vase clos) ou Spielberg (la fameuse séquence de 30 mn de la cave de sa Guerre des mondes). Mais il y a quelques moments de grâce au pays des Larrieu : la pluie de cendres des corps défunts du début, la plage ensoleillée avec Robinson et Laetitia en clin d’œil à Vendredi et, last but not least, la séquence finale, lorsqu’on voit Robinson (Amalric) et Lae la tentatrice (Omahyra Mota) gambadant tout nus dans Paname. C’est grotesque tel un dessin grotesque, ou plutôt grottesque, celui qui vient des primitifs, des cavernes, d’avant Grosz et Dix. C’est leur mis à nu totale (et tant mieux, car « ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau  » Paul Valéry, il ne leur reste plus que l’essentiel) ; c’est leurs jours et leurs nuits confondus : Eros rejoint Thanatos, c’est leur première et dernière fois, c’est Noël, c’est leurs vacances de fin du monde, c’est l’enfance de l’homme et de l’art et le raccord parfait avec la phrase entendue dans le film alors que le monde est en plein chaos : « La jeunesse, c’est quand on ne sait pas ce qui va arriver. Peut-être que les choses ne vont pas si mal que ça. Le monde est simplement en train de rajeunir.  » ; et puis, cerise sur le gâteau, cette nudité, sur fond d’odyssée amoureuse des corps hors limites, s’épanouit sur du Léo Ferré (Ton style), comme en écho au Je l’aime tant, toujours signé Ferré, de leur Peindre ou faire l’amour.

Au niveau chanson encore, il y a une scène que j’aime beaucoup dans ce film : Robinson (Amalric) part à la recherche de son objet de culte au Japon (l’androgyne Lae), il arrive dans un bar à putes. Un Japonais, entouré de prostituées, fait un karaoké. Un grand classique au Pays du soleil levant. Robinson le regarde. Les frères Larrieu et nous aussi. Il fait « employé de bureau » lambda, coincé dans ses obligations de vie sociale et professionnelle, mais il se lâche sur cette chanson. Il y met toute son âme. Elle semble vouloir dire beaucoup de choses pour lui, peut-être l’enfance, la jouissance de l’instant, l’insouciance de l’adolescence, l’esprit libertaire, c’est visiblement sa soupape, son échappatoire. Les Larrieu ont l’intelligence de laisser filer le morceau, et ce « temps réel » fait qu’on glisse subrepticement du pathétique de la situation (style « tiens, encore un karaoké pourrave ») au poignant - toujours cette idée de l’entre-deux. Tout compte fait, ce mec-là ne se débrouille pas si mal, il vit cette musique, c’est son moment à lui, respect. Ce Japonais y met ses tripes, c’est son trip à lui, et cette bulle de temps renvoie, à l’occasion, à la façon dont les frères Larrieu savent laisser entrer dans leur film des plages musicales (le fameux Ton style de Léo Ferré, entre autres) pour laisser filer la métaphore et la poésie. Entre jouissance de l’instant et « voyage en utopie » (ou rêverie mélancolique), les Larrieu font, me semble-t-il, un bel usage de la musique.

En ce qui concerne l’art d’amener la musique sur des images, on parle souvent de la Tarantino’s touch, mais il serait bon aussi de souligner la « Larrieu’s touch », à savoir leur chanson de geste. La stase spatio-temporelle finale des Derniers jours du monde est poétique et poignante. Séquence émotion. Comme Léo Ferré avec Baudelaire, Apollinaire et autres Aragon, Jean-Marie & Arnaud Larrieu se font alors passeurs – du cul au cœur, il n’y a qu’un pas - et on garde alors longtemps en tête ces « Ton style c’est ton cul c’est ton cul c’est ton cul / Ton style c’est ma loi quand tu t’y plies salope ! / C’est mon sang à ta plaie c’est ton feu à mes clopes / C’est l’amour à genoux et qui n’en finit plus / Ton style c’est ton cul c’est ton cul c’est ton cul / (…) Tous ces ports de la nuit ce môme qu’on voudrait bien / Et puis qu’on ne veut plus dès que tu me fais signe / Au coin d’une réplique enfoncée dans ton bien / Par le sang de ma grappe et le vin de ta vigne / Tout cela se mêlant en mémoire de nous / Dans ces mondes perdus de l’an quatre-vingt mille / Tous ces trucs un peu fous tout cela c’est ton style / (…) A tant vouloir connaître on ne connaît plus rien / Ce qui me plaît chez toi c’est ce que j’imagine / A la pointe d’un geste au secours de ma main / A ta bouche inventée au-delà de l’indigne / Dans ces rues de la nuit avec mes yeux masqués / Quand tu ne reconnais de moi qu’un certain style / Quand je fais de moi-même un autre imaginé / Tous ces trucs imprudents tout cela c’est ton style / Ton style c’est ton cul c’est ton cul c’est ton cul / Ton style c’est ta loi quand je m’y plie salope ! / C’est ta plaie c’est mon sang c’est ma cendre à tes clopes / Quand la nuit a jeté ses feux et qu’elle meurt / Ton style c’est ton cœur c’est ton cœur c’est ton cœur. » Chut, un ange passe. Et, comme chez Cocteau ou Lynch, la poésie est venue habiter le cinéma et vice versa. Silencio !

 



9 réactions


  • Fergus Fergus 1er septembre 2009 10:07

    Excellente critique de film. Dommage que la très pesante et interminable citation du dernier paragraphe vienne ternir le propos par sa poésie de bazar !


    • Yohan Yohan 1er septembre 2009 21:51

      Salut Fergus
      Dans le genre de prose, je préfère de loin l’interprétation du grand Marielle. Le seul à manier cet art à la perfection


  • LeGus LeGus 1er septembre 2009 10:52

    La vraie fiction de ce bazar c’est que le gus délaisse successivement les sublimes Karin Viard et Catherine Frot pour le porte-manteau sur patte de Omahyra Mota.


  • docdory docdory 1er septembre 2009 16:10

    @ Vincent Delaury 


    Merci de cette excellente critique , qui rejoint , pour l’essentiel , l’opinion que j’en ai eu après l’avoir vu . Ce film, bien que plein d’imperfections , n’est cependant pas un film médiocre ni dénué d’intérêt .
    Il est très intéressant de comparer ce film avec un autre film récent relatant une « fin du monde » , le film « Prédictions » ( knowing ) , avec Nicholas Cage .
    La comparaison des deux films illustre deux choses :
    1°) l’incapacité quasi structurelle du cinéma français à faire un véritable film de science-fiction. 
    La tentative la plus connue est « le 5ème élément » de Luc besson , qui est plus un space-opéra un peu kitsch qu’un véritable scénario de SF . Pour ce qui est des « derniers jours du monde » , là-encore , si la thématique du film est une thématique de science-fiction , on ne peut néanmoins pas parler de film de science-fiction. 
    En effet , l’apocalypse en cours , qui semble plus être en rapport avec une accumulation de catastrophe écologico-virales entraînant un pétage de plomb généralisé et, en fin de compte, un conflit nucléaire, cette apocalypse de survenue progressive, donc, sert plus de décor à une sorte d’étude socio-psychologique qu’à un véritable scénario de science-fiction . 
    Dans « Prédictions », par contre , il y a une vision très science-fictionnesque des prémisses de cette apocalypse , avec la découverte par le fils du héros de ces messages codés écrits cinquante années auparavant par une petite fille apparemment n’ayant pas toute sa raison ...
    2°) La comparaison de ces deux films ne sauraient mieux illustrer les différences de civilisation entre les USA et la France :
    - Dans le film américain , le scénario ne peut s’empêcher des allusions bibliques ( le livre d’Ezéchiel ) , et l’attitude de ceux qui se rendent compte qu’ils ne peuvent échapper à la catastrophe est de se retrouver en famille pour une dernière prière, illustrant la tradition très américaine des valeurs familiales et religieuses . Ce parti pris abouti à la dernière scène quasi-inadmissible de trois minutes, qui frise le ridicule et gâche un peu la fin du film ( je pense que cette scène a du être rajoutée à la demande des producteurs , le scénariste n’aurait , je l’espère , jamais inventé une fin kitschissime aussi contraire à l’esprit de ce film , excellent par ailleurs ! )
    - Dans le film français , ceux qui se rendent compte qu’ils ne vont pas échapper au cataclysme se livrent à une frénésie d’orgies plus ou moins décadentes , le « héros » du film multipliant les aventures sexuelles , et la plupart des personnages se suicident juste avant la fin, après avoir joui sans entraves , dans une tentative de garder, in fine, la maîtrise de leur destin après une fin de vie pétillante comme du champagne .
    La scène la plus forte du film étant la dégustation d’une dernière omelette aux truffes dans un hôtel du Périgord ou du Quercy , devant une magnifique rivière, avec une lumière somptueuse , alors que cet hôtel est déjà rempli de cadavres !
    Dans les deux films , il s’agit plus de la fin d’un monde que de la fin du monde. Dans les deux films il y a une lueur d’espoir à la fin . Dans le film américain , la Terre est entièrement détruite et les survivants expédiés sur une planète adaptée . Dans le film français , la fille du « héros » part naviguer avec une bande d’ami(e)s en attendant que ça se tasse , On peut donc supposer que le conflit nucléaire ne les atteint pas directement , et qu’il y a donc des survivants en mer, qui peuvent repartir sur de nouvelles bases . Donc , refus , dans les deux cas , de l’idée d’une apocalypse absolument complète.


  • sisyphe sisyphe 1er septembre 2009 19:53

    Excellente critique.

    Film un peu foutraque, trop long, avec des scènes inutiles, mais d’autres particulièrement réussies.

    L’ambiance de fin du monde est très bien rendue, sans effets superflus.

    Les frères Larrieu, comme on avait déjà pu le voir dans le totalement loupé « Peindre ou faire l’amour » ont, décidément, un rapport pas clair du tout avec le sexe ; ils en rajoutent, là où la suggestion serait beaucoup plus parlante, et font le forcing pour évoquer à tout prix toute la palette des relations sexuelles (échangisme, partouzes, homosexualité), quand ce n’est pas du tout utile au sujet.

    Sinon, effectivement, une belle ambiance poétique par moments, bien souteenue par la musique, bien choisie.
    Pour ma part, cette façon de faire entrer les plages musicales dans le film m’évoque plutôt celle d’Almodovar.

    @ Fergus : traiter de « poésie de bazar » une des plus belles chansons d’amour de Léo Ferré, qui clot le film en majesté, me semble le fait ; soit d’un parti pris (dont on ignore les causes), soit d’une absence totale d’appréciation de ce qu’est la chanson, et la poésie.
    Dommage.


    • Fergus Fergus 1er septembre 2009 20:33

      J’avoue que si je suis un « fan » de la poésie dégagée par les textes de Brassens, de Brel ou de Ferrat, j’ai toujours été allergique à ceux de Ferré, malgré la sympathie que m’inspiraient le personnage et ses idées.


    • sisyphe sisyphe 1er septembre 2009 21:29

      C’est ton droit.
      De mon point de vue, c’est dommage pour toi ; d’autant qu’il s’agit non de textes seuls, mais bien de chansons ; et que la musique y a, évidemment, un part aussi importante ; on ne peut dissocier l’un de l’autre.

      Personnellement, tu l’auras compris, j’adore Ferré (pas tout, évidemment) ; et aussi sa façon d’écrire ; notamment dans son livre « Benoit Misère ».

      Et « Ton style » est, de mon point de vue, un hymne magnifique à la femme et à l’amour.

      A tout hasard ...

      p.s. : on trouve aussi, dans le film, l’orchestration de « Night and day »  ; au début...


  • Vincent Delaury Vincent Delaury 1er septembre 2009 21:35

    Merci pour vos différents retours, et notamment pour l’intervention détaillée de docdory autour du rapport France/USA.


  • tylhdar tylhdar 2 septembre 2009 00:38

    http://www.youtube.com/watch?v=te4chW9OkgE

    Ça nous préparent a quoi tout ces films catastrophe qui sortent en ce moment ?

    Effrayant.


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