Les héros sont-ils de gauche ou droite ?
Tous les héros de nos fictions préférées cultivent un sens aigü de la justice mais chacun le fait à sa façon. Certains, comme Robin des bois, sont fauchés et révoltés. D’autres, comme Batman, défendent l’ordre établi et n’ont pas franchement de problème d’argent. Si les seconds semblent nettement plus nombreux que les premiers, peut-on en déduire pour autant que les héros sont plus à droite qu’à gauche ? Il semblerait bien que oui. Pour une raison assez simple : le héros ne peut pas à la fois faire les courses, sauver les gens et faire la révolution. Quoi que de jolis contre-exemples démontrent que, dans l’univers de la fiction, rien n’est impossible. Y compris conjuguer préoccupations quotidiennes et esprit de justice.
A droite
La richesse sans complexe
Pour faire régner la justice et combattre le mal, le héros doit avoir du temps et un minimum d’argent. Une problème qui ne se pose plus dès lors que le héros est un riche héritier, un agent secret bénéficiant d’un crédit illimité ou d’un jeune retraité.
La figure de l'héritier
Qui a dit que les riches ne pensaient qu’à eux ? Les héritiers font souvent de parfaits justiciers. Ces jeunes playboys semblent tout avoir pour être heureux. Diego chante, rit et joue de la guitare (quoi que toujours brièvement). Bruce mène une vie mondaine. Tony adore les voitures de sport. Tous sont de parfaits séducteurs. Mais les apparences sont trompeuses. Wayne et Satark s’ennuient ferme dans la vie civile. Zorro fait mine de passer pour un lâche afin de ne pas éveiller les soupçons de son père. Batman dissimule une dépression qui ne dit pas son nom depuis l’assassinat de ses parents. Quant à Iron man, mortellement blessé par une mine, il est condamné à feindre l’ironie pour cacher son angoisse de la mort toujours menaçante. Tout ça pour rappeler que l’argent ne fait pas le bonheur. Mais pas question de tout lacher. Les « fils de » sont fiers de leur père. Et chacun entend reprendre le flambeau pour faire fructifier la fortune familiale.
L’agent secret ou… le retraité
Le Saint est un gentleman, raffiné et élégant. Comme James Bond, il est amateur de jolies femmes et de belles voitures. Un point commun qu’il partage aussi avec ce héros très différent qu’est Magnum. Même amour de la vie, même rapport décomplexé avec l’argent. Si Templar évolue dans un environnement mondain, Magnum vit sur une île de rêve, habite dans une maison de rêve et roule dans une voiture de rêve. Et alors, où est le problème ? Que l’on soit bien né ou qu’on l’ait vraiment mérité, les inégalités sociales ne sont pas, ne peuvent pas être une injustice en soi.
Méfiant vis-à-vis de l’Etat
La plupart des super-héros sont par nature méfiants vis-à-vis de la puissance publique. D’ailleurs s’ils sont si supers c’est bien parce que le gouvernement et sa police ne le sont pas assez. Logique. Bien sûr, nos justiciers travaillent souvent avec la police mais il arrive aussi qu’après avoir constaté son impuissance, ils fassent comme si elle n’existait pas ou qu’après avoir découvert sa corruption, ils la combattent.
A gauche
Pauvres et proche de la nature
Qui mieux que la Petite maison dans la prairie incarne ce monde révolu d’honnêtes Américains, travailleurs forcenés et épris de justice, indifférents aux tentations de la chair et résolument étrangers à notre société de consommation ? Comparé à aux univers de Dallas et de Dynastie, ce protestantisme teinté de puritanisme n’est pas sans évoquer le mouvement éco-citoyen. Dans sa traduction latine, la communauté primitive, encore épargnée par les affres de l’argent, est nettement plus anarchique et singulièrement moins laborieuse même si la face obscure, celle du rejet de l’étranger, n’est absente ni du village d’Astérix, ni de celui des schtroumpfs.
Jeune en galère et personnages ordinaires
Certains héros ressemblent à leurs lecteurs. Eux aussi ont des soucis de coeur et d’argent. Dans la vie ordinaire, Superman et Spiderman doivent gagner leur vie. Le premier est journaliste, le second étudiant et photographe. Quand Clark Kent souffre de l’indifférence de Loïs qui n’a d’yeux que pour Superman, Peter Parker doit se plier aux colères et à l’avarice du patron du journal qui l’emploie. De son côté, Colombo est la figure par excellence d’un policier très ordinaire. Plus proche de Maigret et encore plus d’Hercule Poirot. Pris de haut par ses interlocuteurs, il subit le mépris dont souffrent tous les gens ordinaires.
La légalité, rien que la légalité
La loi n’est pas toujours juste mais à l’inverse des héros de droite qui voient dans sa relativité, voire dans son inefficacité, une raison de faire justice soi même, les héros de gauche, eux, mettent un point d’honneur à la respecter au pied de la lettre et à jouer des contraintes que ce respect suppose. Même lorsqu’il se trouve humilié par l’arrogance des riches ou révolté par leur cynisme, Colombo veille à ne jamais verser dans ce qui pourrait être assimilé à un abus de pouvoir mais à manifester son attachement à la loi. Rien que la loi.
Pour l’Etat (un Etat légitime, bien sûr)
On peut être Américain, riche et pro-étatique. Zorro en est la preuve. Fils de bonne famille, animé par un sens aigu de la justice, il se bat contre le tyran local, représentant d’un pouvoir occupant et, par conséquent illégitime. Foncièrement convaincu de la nécessité d’un changement, il ne va toute fois pas jusqu’au bout de sa logique qui serait de prendre le maquis, d’organiser la résistance et de faire la révolution. N’est pas Robin des bois qui veut. La période a changé. La complexité de la modernité oblige à composer. Zorro serait-il social démocrate ?
Franck Gintrand