jeudi 17 janvier 2013 - par Franck Gintrand

Les héros sont-ils de gauche ou droite ?

Tous les héros de nos fictions préférées cultivent un sens aigü de la justice mais chacun le fait à sa façon. Certains, comme Robin des bois, sont fauchés et révoltés. D’autres, comme Batman, défendent l’ordre établi et n’ont pas franchement de problème d’argent. Si les seconds semblent nettement plus nombreux que les premiers, peut-on en déduire pour autant que les héros sont plus à droite qu’à gauche ? Il semblerait bien que oui. Pour une raison assez simple : le héros ne peut pas à la fois faire les courses, sauver les gens et faire la révolution. Quoi que de jolis contre-exemples démontrent que, dans l’univers de la fiction, rien n’est impossible. Y compris conjuguer préoccupations quotidiennes et esprit de justice.

A droite

La richesse sans complexe

Pour faire régner la justice et combattre le mal, le héros doit avoir du temps et un minimum d’argent. Une problème qui ne se pose plus dès lors que le héros est un riche héritier, un agent secret bénéficiant d’un crédit illimité ou d’un jeune retraité. 

La figure de l'héritier

Qui a dit que les riches ne pensaient qu’à eux ? Les héritiers font souvent de parfaits justiciers. Ces jeunes playboys semblent tout avoir pour être heureux. Diego chante, rit et joue de la guitare (quoi que toujours brièvement). Bruce mène une vie mondaine. Tony adore les voitures de sport. Tous sont de parfaits séducteurs. Mais les apparences sont trompeuses. Wayne et Satark s’ennuient ferme dans la vie civile. Zorro fait mine de passer pour un lâche afin de ne pas éveiller les soupçons de son père. Batman dissimule une dépression qui ne dit pas son nom depuis l’assassinat de ses parents. Quant à Iron man, mortellement blessé par une mine, il est condamné à feindre l’ironie pour cacher son angoisse de la mort toujours menaçante. Tout ça pour rappeler que l’argent ne fait pas le bonheur. Mais pas question de tout lacher. Les « fils de » sont fiers de leur père. Et chacun entend reprendre le flambeau pour faire fructifier la fortune familiale.

L’agent secret ou… le retraité

Le Saint est un gentleman, raffiné et élégant. Comme James Bond, il est amateur de jolies femmes et de belles voitures. Un point commun qu’il partage aussi avec ce héros très différent qu’est Magnum. Même amour de la vie, même rapport décomplexé avec l’argent. Si Templar évolue dans un environnement mondain, Magnum vit sur une île de rêve, habite dans une maison de rêve et roule dans une voiture de rêve. Et alors, où est le problème ? Que l’on soit bien né ou qu’on l’ait vraiment mérité, les inégalités sociales ne sont pas, ne peuvent pas être une injustice en soi.

Méfiant vis-à-vis de l’Etat

La plupart des super-héros sont par nature méfiants vis-à-vis de la puissance publique. D’ailleurs s’ils sont si supers c’est bien parce que le gouvernement et sa police ne le sont pas assez. Logique. Bien sûr, nos justiciers travaillent souvent avec la police mais il arrive aussi qu’après avoir constaté son impuissance, ils fassent comme si elle n’existait pas ou qu’après avoir découvert sa corruption, ils la combattent.

A gauche

Pauvres et proche de la nature

Qui mieux que la Petite maison dans la prairie incarne ce monde révolu d’honnêtes Américains, travailleurs forcenés et épris de justice, indifférents aux tentations de la chair et résolument étrangers à notre société de consommation ? Comparé à aux univers de Dallas et de Dynastie, ce protestantisme teinté de puritanisme n’est pas sans évoquer le mouvement éco-citoyen. Dans sa traduction latine, la communauté primitive, encore épargnée par les affres de l’argent, est nettement plus anarchique et singulièrement moins laborieuse même si la face obscure, celle du rejet de l’étranger, n’est absente ni du village d’Astérix, ni de celui des schtroumpfs.

Jeune en galère et personnages ordinaires

Certains héros ressemblent à leurs lecteurs. Eux aussi ont des soucis de coeur et d’argent. Dans la vie ordinaire, Superman et Spiderman doivent gagner leur vie. Le premier est journaliste, le second étudiant et photographe. Quand Clark Kent souffre de l’indifférence de Loïs qui n’a d’yeux que pour Superman, Peter Parker doit se plier aux colères et à l’avarice du patron du journal qui l’emploie. De son côté, Colombo est la figure par excellence d’un policier très ordinaire. Plus proche de Maigret et encore plus d’Hercule Poirot. Pris de haut par ses interlocuteurs, il subit le mépris dont souffrent tous les gens ordinaires.

La légalité, rien que la légalité

La loi n’est pas toujours juste mais à l’inverse des héros de droite qui voient dans sa relativité, voire dans son inefficacité, une raison de faire justice soi même, les héros de gauche, eux, mettent un point d’honneur à la respecter au pied de la lettre et à jouer des contraintes que ce respect suppose. Même lorsqu’il se trouve humilié par l’arrogance des riches ou révolté par leur cynisme, Colombo veille à ne jamais verser dans ce qui pourrait être assimilé à un abus de pouvoir mais à manifester son attachement à la loi. Rien que la loi. 

Pour l’Etat (un Etat légitime, bien sûr)

On peut être Américain, riche et pro-étatique. Zorro en est la preuve. Fils de bonne famille, animé par un sens aigu de la justice, il se bat contre le tyran local, représentant d’un pouvoir occupant et, par conséquent illégitime. Foncièrement convaincu de la nécessité d’un changement, il ne va toute fois pas jusqu’au bout de sa logique qui serait de prendre le maquis, d’organiser la résistance et de faire la révolution. N’est pas Robin des bois qui veut. La période a changé. La complexité de la modernité oblige à composer. Zorro serait-il social démocrate ?

Franck Gintrand



9 réactions


  • Francis, agnotologue JL 17 janvier 2013 09:43

    Intéressant.

    Il manque à cette galerie les figures des détectives « pour le plaisir », différents des Colombo et Maigret, tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Fantomas ...


  • soi même 17 janvier 2013 11:00
    Les héros, mais de quel héros parlez vous ?

    Les véritables finissent toujours par être détestés par tous, car leurs rôles justement est de brisé les tabous.

    Seul à mes yeux , le véritable héros est celui qui défend la liberté de conscience, les autres c’est du marketing politique, et finisse toujours avec une responsabilité gouvernemental qui trahie leurs sincérités.

     


  • lulupipistrelle 17 janvier 2013 13:04

    Vous ne suivez pas l’actualité ...


    Ned Stark du Trône de Fer est le héros des jeunes en ce moment : fier, noble, intègre et accessible à la pitié... il sera exécuté pour sa probité. Tyrion Lannister, un nain hédoniste, intelligent et bon, né du mauvais côté... est l’autre héros. 

    Les temps changent. 

  • Cocasse Cocasse 17 janvier 2013 14:17

    Votre article est très amusant. Y répondre demanderait un gros travail de recherche et de catalogage.
    Un bon nombre de héros sont des sortes d’anarchistes d’extrême-droite. Sortes de justiciers qui pour appliquer la justice n’hésitent pas à enfreindre la loi. D’ailleurs, ce sont les plus nombreux dans les séries B, et assurément la catégorie que l’on retrouve le plus souvent.

    Il y a les héros qui suivent juste leur route, avec une certaine moralité. Par exemple, celui de la série Highlander. C’est un personnage plutôt bon, mais dont les motivations tournent essentiellement autour de sa vie d’immortel et des problèmes qui vont avec.

    C’est une sorte de personnage que j’aime bien. A la base, ce ne sont pas des héros proprement dit, mais des personnes se retrouvant là où ils sont à la suite de circonstances, et qui poursuivent leurs motivations propres.
    Exemple :
    Le Prisonnier, contraint à la résistance face à une adversité non choisie.
    Sherlock Holmes, davantage animé par son obsession pour les énigmes que la loi.
    Les personnages ordinaires pris au piège dans les films de zombies.


  • LE CHAT LE CHAT 17 janvier 2013 14:35

    Gaston Lagaffe , lui doit s’en battre de la politique comme de son premier gafophone !
    Fred Pierrafeu est un prolétaire , conducteur de diplodocus dans une carrière !
    Rahan est un SDF des âges farouches ! smiley
    lucky luke est un travailleur indépendant , chasseur de primes !


  • easy easy 17 janvier 2013 14:40

    Avec Homère, il y avait des héros très dépendants des caprices des dieux. Les héros ne jugeaient pas, seuls les dieux jugeaient mais jamais de manière absolue puisqu’ils n’étaient jamais d’accord entre eux. Aucun idéal sinon celui d’assumer les flots de l’existence sans faiblir de courage

    Avec Satyricon, l’influence des dieux s’estompe, il n’y a plus aucun héros et chacun devient soucieux de son érection 

    Avec Cervantès, il n’y a plus de dieu mais apparaît alors le cas d’un individu essayant une forme d’héroïsme tout en étant ridicule car orienté par ses seuls vents intérieurs

    A partir de Defoe arrive le héros alfa qui s’oriente par rapport à la réalité de la vie avec l’autre, aucun délire. C’est probablement le meilleur héros. Il se pose des questions sur lui-même, sur son éthique. Il nous invite à nous interroger sur nous-mêmes. Il ne nous offre pas de croire en quelque chose et de foncer alors.

    A partir de Poe et Doyle arrive le héros ayant un nouveau dieu, la science. Son dada c’est de faire triompher la science. Il fonce. 
    Mais Hugo et Zola veillent et appellent à s’intéresser à la justice sociale

    On se retrouve donc, après 1900, avec des héros favorables au progrès, Rahan compris, et à la justice. 
    Comme il s’agit de héros ils sont caricatures et caricaturent 
    Tout est considéré de manière la plus manichéenne qui soit 

    Tous ces héros étant destinés à servir de sujet à achat de livre, ils sont tous sociaux.
    Il n’existe aucun héros cénobite.
    Il n’y a jamais d’invitation à méditer sur autre chose que la relation sociale
    Même quand un héros vole dans les nuages, il n’en jouit pas. 
    La plupart des héros évitent même de jouir avec un partenaire.
    Il jouit de son pouvoir social, rarement de baise, jamais de lui-même.
    Même un cow boy réputé lonesome n’est héros qu’en société.

    Gauche ou droite peu importe mais jamais solitaire car il tire son essence héroïque de son jeu dans la masse.


    En Asie, de manière traditionnelle, le héros ressemble souvent à Ulysse (Ramayana & Mahabhabarataj), il combat souvent en Ivanhoe, mais il va parfois à affronter carrément des dieux (qui n’ont rien de sage), il vieillit, il a faim, il aime, il déprime, il meurt.
    Ce qui empêche le manichéisme et l’émergence du jugement absolu. Il n’en ressort de sagesse que l’acceptation de l’ineffable bazar qui résulte de la nécessaire combattivité de chacun
     
    Par ici, il est fait très peu de cas de ceux qui ont pourtant été considérés comme héros historiques (Jeanne d’Arc, Du Guesclin...). Ici les héros sont très inventés

    En Asie, on part très souvent de cas réels qu’on augmente 
    Les plus grands héros d’Asie sont fondés sur ces cas réels (dont celui des 47 ronins) 
    C’est d’ailleurs en Chine qu’il y a régulièrement, encore de nos jours, des gens du peuple érigés en héros au sens de Bruce Lee (et on est très loin du principe de notre Légion d’Honneur)

    La Chine où règne un gouvernement très policier invite toujours et paradoxalement à des comportement héroïques à partir desquels existe une résistance, une audace à la désobéissance.
    L’homme aux chars surgit de ce contexte, Tian’anmen aussi, Falun Gong aussi.
    On peut y voir par exemple un Ravaillac érigé en héros par une masse populaire (parce qu’on aura compris qu’il avait eu à subir un paquet d’injustices policières) 
    Et il va de soi que les avocats qui défendent des accusés politiques et qui deviennent à leur tour proscrits voire incarcérés, sont vus comme des héros par le peuple.

    Ici on est dans l’héroïsme fantasmatique, très théâtralisé et très normé (d’où l’éminence de nos Depardieu et notre colère puérile de spectateurs de salle quand ils font pschiiiit )

    En Asie, on trouve stupide notre conception du héros
    Au mieux, on admet le héros de guerre, le grand artiste et l’homme qui se sacrifie. Pas celui qui est invulnérable aux balles.

    L’héroïsme asiatique est concret, surgit d’individus d’allure banale sans panoplie ni pouvoirs et surprend toujours :
    Tel le cas de ce Chinois qui avait refusé l’expropriation de sa maison placée sur une trajectoire d’autoroute et qui a longtemps résisté obligeant alors les bâtisseurs à le contourner.
    Tel le cas des volontaires de Fukushima Daichi (Je parle des ingénieurs compétents, pas des balayeurs recrutés dans des parcs). 
    Tel le cas de cette gamine indienne qui s’était suicidée pour que son père et son frère puissent profiter de ses organes (mais elle fut incinérée avant qu’on ait découvert sa lettre expliquant son objectif) 
    Du coup il n’exclut pas du tout de son panthéon des étrangers ayant eu des comportements héroïques (Bethune, Aylward, Yersin, Rabe...)


  • agent orange agent orange 18 janvier 2013 08:56

    L’industrie du divertissement est au service de la propagande et du formatage des esprits.
    Lisez Edward Bernay.


  • agent orange agent orange 18 janvier 2013 09:15

    Не имеется ни левых, ни правой стороны. У системы и враги системы

    (Il n’y a ni gauche, ni droite. Il y a le système et les ennemis du système)

    Edouard Limonov


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