Les orateurs champêtres
La langue de chez nous.
Quelque part, en un charmant village, des élus en goguette viennent ouvrir officiellement une manifestation culturelle, liée au livre. Je ne peux vous en dire plus afin de ne pas froisser les organisateurs et les bénévoles qui font tout, comme bien souvent partout ailleurs, pour se mettre en quatre et réaliser des miracles.
Ceux qui n’ont rien fait, si ce n’est éventuellement accorder quelques subsides (ce qui manifestement n’était pas le cas en ce lieu) viennent récolter le fruit du travail des autres pour briller un peu en société, donner la preuve tangible de leur utilité et, dans le même temps, attester de leur faconde légendaire. Il est bien connu que l’art oratoire distingue la classe politique du commun des mortels.
C’est du moins ce que je croyais jusqu’à ce que notre bel aréopage ne vienne massacrer la langue française, irriter nos oreilles et ruiner notre patience. Je ne compte plus les hésitations, les fautes de lecture, les maladresses et les errements sémantiques de celui qui avait eu la délicate pensée de préparer son intervention, hélas, sans vraiment se la mettre en bouche,.
Le livre était à l’honneur : il eût été agréable et opportun d’entendre quelques citations, de célébrer de glorieux écrivains régionaux, de dire un passage ou bien simplement d’évoquer une lecture qui a changé la vie de nos élus aux champs. Point de tout ça mais des phrases creuses, des mots malhabiles qui eussent pu être dits pareillement au comice agricole ou bien à l’élection de la plus belle andouille.
Nos braves potiches de service étaient des élus municipaux, départementaux et même nationaux. Il apparaît que la proximité d’un grand rendez-vous électoral, fait sortir les importants du bois. Ils pourraient venir avec quelques munitions pour affronter un public qui n’a que faire d’un verbiage, relevant souvent du babillage.
Je fus atterré à la fois par la vacuité des propos, la longueur des interventions et la parade de congratulations réciproques et insincères. C’est comme ça à chaque fois et, ce jour là, je n’étais pas en mesure de supporter cette pantalonnade. Car, voyez vous, nos chers tribuns de pacotille n’avaient même pas pris la peine de faire le tour de la manifestation, de venir à la rencontre des auteurs. Ils vinrent porter leur parole et lever un verre tout en souriant pour la photographie indispensable.
La foire aux vanités en somme. Le vide dans les interlignes, la quatrième de couverture pour unique culture. Ne vous méprenez pas , ces braves gens ne sont que le reflet de tous les autres : ministres pressés, députés en retard, sénateurs au pas de course, conseillers en tous genres entre deux manifestations. Se montrer est bien plus important que d’être un tant soi peu !
Le plus insupportable à mes oreilles horrifiées est bien leur rapport à la langue et surtout au discours. On peut concevoir que dans une équipe il y ait des élus de dossiers, des experts maniant la prévision, les réglementations, les contraintes avec habileté et discrétion. Que ceux-là ne sachent pas tenir un auditoire en haleine tout en œuvrant pour le bien de la collectivité, je veux bien le concevoir. Mais s'avère nécessaire une part non négligeable de représentation, de présence bavarde sur le terrain et il serait de bon ton que le verbe soit honoré comme il convient.
Combien de fois a-t-on entendu le brouhaha se propager dès qu’un élu insignifiant prend la parole ? L’éloquence en vadrouille, il déblatère un propos inepte. Personne n’est donc en mesure de conseiller à ces verbeux de se taire ou bien de confier la mission à de véritables porte-paroles, maniant la locution et l’émotion, l’humour et la gravité, la modulation et la verve ? Hélas, être sur la photographie est bien plus important que risquer le ridicule, piège auquel ils n’échappent quasiment jamais !
Mais le pire, c’est qu’ils font traîner en longueur des discours si mal nommés. Chacun s’évertuant à tenir le crachoir plus longtemps que celui d’avant, moins haut placé dans la pyramide des vanités. La corvée devient pensum et les guignols gâchent la fête. Qu’ils achètent un livre et qu’ils se taisent ! Mais sont-ils encore lecteurs ceux qui ne se préoccupent que des électeurs ?
Livresquement leur.