lundi 16 juillet 2018 - par

Les poésies-savoirs avant et autour de Socrate (bréviaire réfléchi)

Le philosophe Gaston Bachelard encore, au milieu du XXème siècle, et sur une base jungienne, écrit la Psychanalye du feu, l'Air et les songes, l'Eau et les rêves, la Terre et les rêveries -de la volonté et -du repos – cinq livre, comme en quintessence, sachant que l'éther n'était déjà plus d'actualité scientifique alors : poésies-savoirs.
Or Bachelard est très-connu pour ses travaux ès épistémologies scientifiques, avec le Nouvel Esprit scientifique ou encore le Surrationalisme ! Au-delà, un anthropologue tel que Gilbert Durand ne fera pas autre chose, avec ses Structures anthropologiques de l'imaginaire, identifiant les constantes structurales de l'imaginaire humain (ainsi que Joseph Campbell traiterait structuralement du Monomythe universel du héros, ou bien Vladimir Propp de la structure universelle du conte dans sa Morphologie idoine).

Cela se vérifie avant et autour de Socate, un peu comme Albert Einstein a dit que « l'imagination est plus importante que le savoir ».

Image : extrait de l'affiche du Cinquième élément, 1998, de Luc Besson

 

 

Les Sept Sages de la Grèce antique

L'authenticité des préceptes attribués aux Sept Sages de la Grèce antique n'est nullement établie : on en a qu'à titre indicatif. Ils comportent probablement des éléments postérieurs et des proverbes d'origine inconnue.

Presque tous les Sept Sages passent pour avoir été des législateurs, mais leur nombre (7) est symbolique. De toutes les énumérations, on en a quatre récurrents : Thalès, Pittacos, Bias et Solon. On a encore : Aristodème, Pamphile, Chilon le Lacédémonien, Cléobule, Anacharsis, Périandre, Acousilaos, Scala l'Argien, Myson, Épiménide, Phérécyde.

Diogène Laërce rapporte que, selon Hermippe dans son livre sur les Sages, ils furent dix-sept et que chacun en choisit sept selon ses préférences ! ...

Selon Paul Tannery, historien des sciences fin XIXè-début XXè, dans
la Chronologie des Physiologues, chap.II :

Une légende, qui avait déjà cours au temps de Platon, supposait que les personnages ainsi désignés avaient été célèbres à une même date précise. Cette date avait été fixée par Démétrios de Phalère [360-282, qui fut élève d'Aristote] sous l'archontat de Damasias, qui, d'après les marbres de Paros, correspond à Olympiade 48,3 = 586 avant J.-C.

Voyez plutôt :

Démétrios de Phalère, Apophtegmes des Sept Sages, a écrit :I. Cléobule de Lindos, fils d'Évagoras, a dit :

- La mesure est la meilleure des choses. - Il faut respecter son père. - Prenons soin de nous bien porter de corps et d'âme. - Il faut aimer écouter, mais non pas tout indistinctement. - Il convient de savoir beaucoup, non d'ignorer. - Aie une langue bienveillante. - C'est le propre de la vertu et le contraire de la méchanceté que de détester l'injustice. - Observe la piété. - Donne à tes concitoyens les meilleurs conseils. - Tiens ta langue. - Ne fais rien avec violence. - Éduque tes enfants. - Adresse des prières à la fortune. - Mets un terme à tes haines. - Considère comme un ennemi public quiconque hait le peuple. - En présence d'autrui, il ne faut ni se chamailler avec sa femme, ni la caresser ; la première attitude est la plus mauvaise, mais la seconde peut conduire à une folle passion. - Ne châtie pas tes esclaves quand ils sont en état d'ivresse ; sinon on te croira ivre toi-même. - Marie-toi avec une femme de même condition que toi ; si tu prends une plus riche, ce sont des maîtres que tu auras, non des parents. - N'encourage pas le moqueur par tes sourires. Tu te feras détester de ceux qu'il raille. - Dans la bonne fortune, ne te montre pas orgueilleux ; dans la mauvaise, ne t'humilie pas.

II. Solon l'Athénien, fils d'Exécertidès, a dit :

- Rien de trop. - Ne siège pas comme juge, autrement tu seras haï de celui que tu auras fait condamner. - Fuis le plaisir qui engendre la tristesse. - Observe scrupuleusement l'honnêteté dans ta conduite ; elle est préférable même à la parole donnée. - Scelle tes paroles par le silence et le silence même par les circonstances. - Ne mens pas, dis la vérité. - Ne te consacre qu'à ce qui est honnête. - Ne prononce pas des paroles plus justes que tes parents. - Ne t'empresse pas trop d'acquérir des amis ; quand tu en possèdes, ne les repousse pas après épreuve. - Quand tu auras appris à obéir, tu sauras commander. - Si tu juges bon que les autres te rendent des comptes, consens à en rendre toi aussi. - A tes concitoyens conseille non ce qui est le plus agréable, mais ce qui est le meilleur. - Ne te montre pas insolent. - Ne fréquente pas les méchants. - Consulte les dieux. - Respecte tes amis. - Honore tes parents. - Prends la raison comme guide. - Ne dis pas tout ce que tes yeux ont vu. - Quoi que tu saches, consens à te taire. - Sois doux envers les tiens.

- Conjecture ce qui es invisible, d'après ce qui est visible.

III. Chilon le Lacédémonien, fils de Damagétès, a dit :

- Connais-toi toi-même. - En buvant, garde-toi de parler beaucoup ; tu ne manquerais pas de commettre des fautes. - Ne menace pas les hommes libres ; c'est inconvenant. - Ne médis pas d'autrui ; sinon tu entendras des réflexions qui ne te plairont pas. - Va lentement, si c'est pour festoyer avec tes amis ; en toute hâte, si c'est pour secourir leurs infortunes. - Célèbre tes noces à peu de frais. - Attends la mort d'un homme pour le proclamer heureux. - Respecte tes aînés. - Déteste celui qui s'occupe indiscrètement des affaires d'autrui. - Mieux vaut une perte qu'un gain honteux ; dans le premier cas, tu n'auras à t'affliger qu'une fois, dans le second, toujours. - Ne ris pas des malheureux. - Si tu es robuste, tiens-toi tranquille ; les autres te respecteront plus qu'ils ne te craindront. - Dirige bien ta propre maison. - Que ta langue ne devance pas ta raison.

- Modère ta colère. - En chemin, ne te hâte pas d'avance, ni de lever la main ; c'est l'attitude d'un fou. - Obéis aux lois. - Si tu as subi une injustice, réconcilie-toi avec l'auteur ; si c'est un outrage, venge-toi.

IV. Pittacos de Mitylène a dit :

- Sache discerner le moment favorable. - Ce que tu projettes de faire, ne le dis pas, car si tu ne réussis pas, on rira de toi. - Aie des amis. - Ce que tu reproches à autrui, ne le fais pas toi-même. - Ne fais pas des reproches à un malheureux ; c'est alors qu'intervient la vengeance divine. - Rends ce qu'on t'a confié. - Supporte les petits inconvénients que les autres te causent. - Aime ton prochain, même si tu lui es légèrement inférieur. - Ne dis pas du mal d'un ami, ni du bien d'un ennemi ; c'est là signe d'irréflexion. - Grand avantage que de discerner le futur : le passé est assuré, l'avenir incertain. - La terre est sûre, la mer ne l'est pas. - Le gain insatiable. - Acquiers l'honnêteté. - Tâche de montrer du respect. - Aime l'instruction, la modération, la prudence, la vérité, la bonne foi, l'expérience, l'adresse, la compagnie d'autrui, l'exactitude, l'application aux soins de la maison, l'art, la piété.

V. Thalès de Milet a dit :

- Fais des promesses ; la faute n'est pas loin. - Souviens-toi de tes amis, qu'ils soient absents ou présents. - N'embellis pas ton extérieur ; c'est par ton genre de vie qu'il faut t'embellir. - Ne t'enrichis pas malhonnêtement. - Prends garde de te rendre odieux par tes paroles à ceux qui sont liés à toi par serment. - N'hésite pas à flatter les auteurs de tes jours. - Rejette tout ce qui est malhonnête. - Les bons offices que tu auras accordés à tes parents, attends-toi à les recevoir dans ta vieillesse de tes enfants. - Il est difficile de connaître le bien. - La plus grande satisfaction est d'obtenir ce qu'on désire. - L'oisiveté est pénible. - L'intempérance est un mal. - L'ignorance est un lourd fardeau. - Apprends et enseigne ce qui vaut le mieux. - Repousse l'oisiveté, même si tu es riche. - Cache ton bonheur, pour éviter de provoquer la jalousie. - Fais en sorte de ne pas susciter la compassion. - Fais preuve de mesure. - Garde-toi de donner à tous indistinctement ta confiance. - Si tu commandes, gouverne-toi toi-même.

VI. Bias de Priène, fils de Teutamidès, a dis :

- La plupart des hommes sont malhonnêtes. - Il faut te regarder dans un miroir : si tu te trouves beau, agis honnêtement ; si tu te trouves laid, corrige par l'honnêteté de ta conduite l'imperfection de ta nature. - Mets de la lenteur pour aborder une entreprise ; mais, le travail commencé, poursuis-le avec énergie. - Déteste la précipitation et le bavardage, tu éviteras ainsi des fautes, car on ne tarde pas à regretter ces défauts. - Ne sois ni sot ni méchant. - Ne commets pas d'imprudence. - Aime la prudence. - Au sujet des dieux, dis qu'ils sont des dieux. - Réfléchis à ce que tu fais. - Sois un auditeur complaisant. - Parle à propos. - Si tu es pauvre, ne reprends les riches que si tes reproches sont particulièrement utiles. - Prends les gens par la persuasion, non par la violence. - Quand tu fais une bonne action, rapportes-en la cause aux dieux, non à toi. - Adolescent, applique-toi à l'action ; vieillard, à la sagesse. - A ton travail tu apporteras de la mémoire ; à ton caractère de la noblesse ; à tes efforts de la modération ; à tes craintes de la piété ; tu corrigeras la richesse par l'amitié ; tu mettras de la loyauté dans tes paroles, de la bienséance dans ton silence, de l'équité dans tes jugements ; dans tes entreprises hardies un courage viril, dans tes actes de la puissance ; dans la gloire de l'autorité ; dans ta nature de la noblesse.

VII. Périandre, Corinthien, fils de Cypsélos, a dit :

- L'étude embrasse tout. - Le repos est une bonne chose. - La témérité est dangereuse. - Un gain honteux constitue une accusation pour notre nature. - La démocratie est préférable à la tyrannie. - Les plaisirs sont mortels, les vertus immortelles. - Dans le bonheur, montre de la mesure ; dans l'adversité, de la prudence. - Il vaut mieux mourir dans l'économie que vivre dans le besoin. - Montre-toi digne de tes parents. - Pendant ta vie, tâche qu'on te donne des louanges et qu'après ta mort, on juge que tu as été heureux. - Sois le même pour tes amis heureux ou malheureux. - Transgresse les mauvais engagements que tu as pris malgré toi. - Ne divulgue pas les entretiens secrets. - Fais des reproches avec l'idée que, dans peu de temps, tu deviendras un ami pour ceux à qui tu les adresses. - Sers-toi des lois anciennes, mais d'une nourriture fraîche. - Non seulement châtie les coupables, mais empêche-les de faire des fautes. - Cache tes malheurs pour ne pas donner de sujet de joie à tes ennemis.
Source : Penseurs grecs avant Socrate, GF-Flammarion,
trad., intro. et notes par Jean Voilquin, 1964

On mesure toute la généralité préceptorale des choses.
Mais c'est drôle alors, comme elles semblent parfois se rapprocher de la sagesse biblique (livres de la sagesse) tout en valorisant pourtant une plus grande intrépidité et audace. Soit donc qu'il y a du bon sens humain si l'on veut, là-dedans, tout court – pour qui veut se tenir couramment de par la vie – tout en témoignant du « caractère grec ».

Autre chose : on mesure aussi, tout ce que Socrate doit aux Sept Sages, et pas que Socrate, mais derrière lui toutes les écoles philosophiques de l'Antiquité. Reste que ce propos est à relativiser : élève d'Aristote, et les Sept Sages demeurant mystérieux, Démétrios de Phalère peut très bien – tout comme son époque – avoir subi l'influence de Socrate déjà.
Pour autant, on peut supposer un substrat, et plus généralement un bain culturel propre à cette aire civique, en cette ère historique.

Vraiment, et pour laconiques & lacunaires que soient ces sentences, il semble que « la philosophie » leur doive. En effet, la sagesse, comme sapience sophistiquée, ne nous leurrons pas, demeure un genre de tekhnè praxéologique (logique pratique) comme thymologique (logique émotive), à la fois éthique & théorique.

 

 

Thalès et l'arkhè hydrique (l'eau au principe de tout)

L'Eau est au principe de tout, disait Thalès.

Ce n'est pas idiot poétiquement-savamment, quand on sait que l'on sue, que l'on est à 80% fait d'eau résonnantique vibratoirement, telluriquement ... quand on sait encore que l'eau fait largement le climat ... quand on sait encore que nous vivons sur la Planète Bleue, d'où émergea la Vie ... etc.

Ces présocratiques étaient de
bons poètes doués d'intuitions logiques !

Par ailleurs, Thalès était mathématicien et politologue, à la Sun Zu ou Machiavel, donc on ne peut pas croire qu'il se décida pour l'
arkhè hydrique « au petit bonheur ».

 

 

Anaximandre et l'arkhè apeironique (l'indéfini au principe de tout)

Anaximandre, d'héritage thalésien, crut bon de contredire l'arkhè hydrique de son maître, pour une arkhè apeironique. L'apeiron, c'est l'indéfini.

Même les « barbares » Germains et les Slaves fondèrent leur mythologie sur le Chaos, à l'époque, et ses contemporains de Grecs (à Anaximandre) posèrent les Titans chaotiques pour commencer (même fond indo-européen, selon l'anthropologue Georges Dumézil). Mythologiquement, donc, rien d'étonnant à poser l'apeiron à la base.

Au-delà, voyez que, psychologiquement, nous avons tous un fond psychoïde chaotique, à nos névrotisations (structurations) personales - avant que d'éventuellement sombrer en névrotismes malsains, passons. Et puis, il y a Giordano Bruno à la Renaissance, qui infinitisa le cosmos, et sur la base duquel nous vivons toujours. (Il y a même l'être du « sujet transcendantal » kantien, dans cet apeiron, quand on se laisse aller aux méditations poétiques-savantes.) Et assurément de la mathématique, puisque, selon l'axiomatique réelle, le Zéro est compris entre deux infinis Négatif & Postitif, à vous interdire de diviser par l'Infini et autre (alors qu'on peut y voir comme une récursion infinitisante du divisé, mais passons encore).

Aussi bien, dire de l'Apeiron qu'il était condition de possibilité arkhèique, ce n'était vraiment pas con, aussi peu con que l'Eau thalésienne – ou que le Feu héraclitéen. A tout le moins, c'était moins se mouiller et moins mettre sa main au feu …

 

 

Héraclite et l'arkhè pyrique (le feu au principe de tout)

Le Feu est à la base de tout selon Héraclite.

Or franchement, ce n'est pas idiot poétiquement-savamment, non, pas pour un sou, quand on sait que nos corps sont à 37°C, crevant de froid ou de chaud, voire d'engelure et de brûlure … quand on sait que le soleil est thermodynamiquement source de vie … quand on sait que la thermodynamique est une puissante cause scientifique, descriptivement … quand on sait qu'il est meilleur de manger cuit que cru de la viande au moins, sans parler de toutes les « alchimies » culinaires gastronomiques, ès mijotages comme fermentations … quand on sait que le désir nous chauffe les reins et pas que les reins … quand on sait que toutes les émotions suscitent des afflux sanguins calorifères … quand on voit bien que le feu « prométhéen » est à la base de nos technologies, feu auquel on peut facilement associer l'arc électrique, poétiquement-savemment … etc.

Pas étonnant alors, que
Polemos soit Père du devenir héraclitéen, parce [musique !] « leee feuuu ça bruuûle ». C'est fort, quoi, ça échauffe – à moins que ça n'icarise ! Haine et amour ?

 

 

Empédocle et la double-arkhè érotique-neikotique (l'attraction et la répulsion au principe de tout)

Rien de plus simple que la métaphysique d'Empédocle ; rien de plus simple que l'empédocléisme :

Empédocle constate que « tout dans l'univers » fonctionne sur la base de l'attrait et du retrait, de l'attirance et de la déshérence, de l'association et de la dissolution, des épousailles et des batailles, dans une espèce de magnétisme électrique avant l'heure, pressenti métaphorique, et c'est donc l'Amour (Éros) et la Haine (Neikos).

Métaphysiquement, ces deux principes d'Amour et de Haine seraient à la base de tout, et à l'origine, et alterneraient cycliquement leur présence dans des moments de présence pure et de coprésence impure. Un peu comme si, métaphoriquement, le Big Bang était un principe d'Amour constitutif universel, et que le Big Crunch était un principe de Haine destitutif universel, avec entre-temps la formation des mondes Amoureuses, et leur distanciation accélérante Haineuse.

Mais cela fonctionne pour tout : des groupements politiques aux couples, humainement.

Si l'on ne saurait dire qu'il s'agit un peu d'un Yin et d'un Yang, où le Yin contiendrait une touche de Yang toujours prête à se manifester, et où le Yang réciproquement contiendrait une touche de Yin toujours prête à se manifester, il n'en reste pas moins qu'il y a codynamique universel empédocléenne de ces deux principes et, somme toute, c'est efficace.

Alliance, reliance, mésalliance, déliance. Amour, amitié, indifférence, inimitié. Concorde, accord, décor, discorde. Fusion, confusion, diffusion, effusion. Etc … c'est la danse des sphères, atomes, sociétés ou astres (microcosmes, mésocosmes, macrocosmes).

 

 

Parménide et l'arkhè ontique/noétique (l'Être/pensée au principe)

Parménide est premier penseur de l'Être connu, et il le pense à caractère fixiste, reléguant au non-être « le reste » d'un point de vue purement logicien (si ça n'est pas, ça n'est pas ; si c'est, c'est). Il identifie dans ses vers le pensé (l'élément pensé) à l'être, et c'est ontologiquement intéressant, cette tendance à corps défendant protagorasienne à « faire ainsi de l'Homme mesure de toute chose », en semblant l'ignorer de l'avoir objectivé.
Cela donne un statut/une dignité ontologique à l'Homme, que n'a pas renié Heidegger avec son
Dasein, en repartant de Parménide.

Si donc « la même chose est [le fait de] penser, et ce à cause de quoi il y a pensée », c'est donc que « la cause de quoi il y a pensée », c'est le [fait de] penser. Où le penser, donc, acquiert la dignité d'
arkhè. Ce qui dit donc que l'arkhè parménidienne est noétique, où la noèse est le tréfondement de l'ontique

Il y a un
Gestell ( dispositif) heideggerien – ce que Heidegger nomme lui-même sa verbosité, ou son verbiage ; quand bien même il critique ce Gestell ès sociotechnies modernes – tout à fait dans ces cordes fixistes. Et le beau Heidegger, qui se croyait amétaphysicien, retombe « en enfance » ... dans une épistémè logicienne « à la Parménide ».

Platon s'en inspira.

 

 

Démocrite et l'arkhè atomique

Démocrite pose les atomes comme unités insécables minimales du réel, un peu comme les linguistiques posent le phonème, le [t] par exemple …

C'est que Démocrite a eu cette intuition devant une nuée de poussières flottant dans un rayon de lumière. Mais il l'eut peut-être en observant le sable, l'érosion de la terre et des pierres (en les fracturant et les effritant), ou bien en assistant à la chute d'une muraille sous les coups d'un bélier lors de l'attaque d'une cité, ou encore en observant ce qu'il restait d'une bûche de bois après que le feu ait fait son œuvre, et toujours en subsumant que derrière la friction aérienne quand on agite le bras ou subit un vent violent, il y avait une multitude de « grains », etc. etc. etc.

Ce n'était poétiquement-savamment pas idiot ! puisque derrière lui, cela donna à Épicure l'idée que le monde était livré au hasard combinatoire atomique, sans plus de destin ni rien, et cela donna encore à Lucrèce cette idée du clinamen, ou déviation des trajectoires atomiques, par quoi il indéterminisa le déterminisme atomique : ce que les sciences contemporains ne nient plus, quantiquement.

Mais par ailleurs, on a vu que la matière était faite de 0,1% d'atomes (l'aimantation-répulsion « à la Empédocle  » fait plus ou moins le reste, si l'on ignore la matière noire & l'énergie sombre) ce qui nuance alors l'engrenage atomique supposé par le trio Démocrite-Épicure-Lucrèce – trio qui de toutes façons devait supposer une sorte de Vide (que nous dirions aujourd'hui lieu de l'aimantation).

De plus, aujourd'hui, les sciences décrivirent opératoirement (une science n'explique jamais les choses que fantasmatiquement, quand bien même elle s'y implique ès descriptions opératoires : elle ne détient pas la clef de voûte du réel ! prétendre cela serait néo-alchimiste dans l'âme !) … Bref : les sciences décrivirent opératoirement un monde trans-atomique, par lequel fonctionne l'aimantation, sans parler des quanta ; description opératoire provisoire toujours-déjà, et au-delà science-fictionnellement même, à admettre que de l'information finisse par y être décelé type ADN, décrivant opératoirement enfin pourquoi nous pensons, matérialistement – ou plutôt, précisément, physicalistement, de ce que le matérialisme est une philosophie ancienne … à reléguer au passé démocritéen ! Pardon pour ces circonvolutions. Retenons simplement alors que : il n'y a pas d'atome !

L'atome n'est plus aujourd'hui qu'une étiquette, descriptivement opératoire ès sciences physiques – de même que les autres présocratiques intuitèrent poétiquement-savamment les sciences modernes (qu'un Richard Dawkins jugent encore-toujours éminemment poétiques quant à elles, par ailleurs).

 

 

Aristote et l'arkhè quitessentielle (la quintessence – l'essence quintuple – au principe)

Oui, Aristote n'est pas considéré historiographiquement comme présocratique, mais bon : Démocrite est considéré comme un présocratique, alors qu'il mourut après Socrate. Or il y a l'historiographie (l'écriture de l'Histoire) et il y a les observations :

Aristote fonda sa compréhension de la physique sur les quatre éléments (Terre, Air, Feu, Eau). De sorte que, historialement, l'homme-Aristote, philosophant, se situait mentalement dans un tout autre rapport au temps que nous, l'actualité aristotélicienne s'abreuvant encore allègrement à ce que nous voyons comme « la source de jouvence présocratique » par biais rétrospectif.
Or, cette source de jouvence, elle s'intéressait à la physis : tous les « présocratiques » cités s'intéressaient diversement à la physis (la « poussée essentielle des choses, qui les fait exister »).


Aussi bien, Aristote, pour postsocratique qu'il soit à nos biais, puisa chez les « présocratiques » – dont Platon d'ailleurs tira aussi bien évidemment ses inspirations majeures (Parménide, entre autres).

Cette physis désigne tréfondamenlement la poussée, l'instigation du réel, comme en bourgeonnement avènementiel. (Ce qui est dire qu'Heidegger, avec son Être ré-originé en Parménide, chercha au bon endroit le sens de (l')être dans la philosophie oxydentale – s'il en est bien d'autres civilisationnelles, de philosophies.)
Tout ce qui est dire, qu'il y a comme une dynamique
émergentiste « des choses » (terme apparu au XIXème siècle pourtant, par quoi on voit bien que les modernisants n'ont pas inventé la poudre).

Que virent émerger « les présocratiques » de la
physis, copiés par Aristote – qui toutefois y adjoint l'éther quintessentielle ? (Et encore, sur une base empédocléenne, à ce qu'on sait ! or l'éther était encore intéressante pour les scientifiques début XXème !) Les « présocratiques » donnèrent naissance aux « quatre/cinq éléments ».
C'est donc qu'Aristote & précédents, procédaient relativement et globalement d'une
arkhè quintessentielle, à laquelle les médiévaux & modernes-historiographiques imputeront longtemps une valeur remaniée alchimiquement – la quintessence philosophale … : « on n'a rien sans rien », « rien ne se perd ni ne se crée mais tout se transforme », « il n'y a pas de création ex nihilio », etc. : tout une mémétique …
Or, voilà que ça n'est poétiquement-savamment pas idiot de la part d'Aristote – et c'est prudent, – pour toutes les raisons évoquées aux auteurs précédemment cités. Aristote se situait dans une restitution-récupération continuée. Aristote le naturaliste est bien plus « présocratique » qu'on ne le croit, bien qu'il vint « après Platon ».

Mais voici une dernière surprise :

 

 

Abraham, Moïse, et l'arkhè chtonienne & gaïenne (la Terre au principe)

Moïse, dont on ne sait s'il exista, mais dont on théorise qu'il s'identifie à Akhenaton, le pharaon … voulut instaurer le culte monothéique d'Aton (le Soleil) au mépris des +/- 1400 dieux égyptiens (comme il y a pléthore de dieux hindous et de saints catholiques … ).

Cela déplut tant à la population, qu'elle bouta cet homme du trône, alors que normalement les pharaons sont des dieux-sur-terre. Forcément : un pharaon monothéique ne pouvait être lui-même un dieu, par quoi il devenait légitimement boutable … Mais alors, la théorie (Freud, Moïse & le monothéisme en premier chef) imagine qu'Akhenaton aurait quitté l’Égypte avec une frange d’Égyptiens qui, en passant par le mont Sinaï, auraient adoptés un primitivement dieu-du-tonnerre du nom de YHWH ou assimilé, suite à quoi advint l'hébraïsme, par construction d'une identité nationale mémorielle autour « des Livres » (de la Bible). C'est d'ailleurs autour de la rédaction des « Livres de l'Exode », que les archéologues situent la rédaction des « Livres de la Genèse » – sur des bases très-mésopotamiennes comme on sait, avec par exemple le Déluge inspiré de l'épopée sumérienne de Gilgamesh. (Pour une autre preuve, lisez plutôt ce lien.)

A ce point, qu'on me permette d'antécéder & d'élargir la notion de présocratiques au biblisme.

En effet, Elohim (Lui-les-Dieux de la Genèse) crée l'homme « en sa ressemblance » avec de l'adam & de l'eve (étym. de la glèbe & de l'eau), de sorte qu'il soit permis de dire que sa volonté insuffle la Terre, sur le modèle du potier : image typique dans les milieux chrétiens, par exemple – mais un évangile apocryphe et le Coran parlent encore de Jésus, formant un oiseau d'argile et l'animant en lui soufflant dessus.

Ce qui est donc dire au moins symboliquement, que le dieu se projeta potièrement dans de la glèbe (arkhè chtonienne & gaïenne, comme en sa Création) donnant à la Terre une dignité particulière (par laquelle, d'ailleurs, le renouveau charismatique actuel défend des principes écologistes, comme ré-entendement bienveillant du fameux « tu seras maître de la Terre » adressé par le dieu aux Hommes, sur une base franciscaine d'ailleurs, qui n'a pas attendu le pape François Ier pour émerger).

Mais ce n'est pas tout : non seulement « Moïse » reçoit-il les fameuses « Tables de la Loi » au mont Sinaï, symbole érectile de la Terre insurgée – à l'époque volcaniquement spermatique (d'où l'anecdote du buisson ardent ? comme en logos spermatikos), – mais en sus les Psaumes davidiques (très-retenus par la tradition chrétienne d'ailleurs) emploient sans cesse l'image du dieu comme roc, rocher, en arrimage. Auparavant d'ailleurs, ce seigneur avait promis à Abraham une descendance innombrable (l'Histoire ne l'a pas démenti ?!) non pas dans l'au-delà, mais ici-bas. D'ailleurs, les premiers « yahvites » n'ont ni enfer ni paradis, mais rien qu'un shéol pour les âmes errantes, et un dieu unique accouplé à Shekina, la sagesse, à la fois redoutable & surveillant ainsi qu'un pâtre-premier-patriarche, tout comme ces pâtres patriarchiques alors, pour qui la terre, le sol, a une signification nomadique toute particulière (Régis Debray, Dieu, un itinéraire).

Le dieu créateur a fait sa Création (surtout en cette vaste Asie mineure) terre & rien que terre, afin de nomadisme pour des glébeux à soi comparables : arkhè chtonienne & gaïenne de la Création, pour le créateur de la terre qu'il sépara « des eaux » (cieux & mers, pour eux à l'époque). Et ce dieu affermit comme en terre-ferme son peuple jusqu'en Canaan au moins, tandis qu'il les punit en les dispersant par les terres. « Souviens-toi, Israël », sionisme ... qu'on retrouve bien entendu dans l'implantation (la « settelment ») chrétienne, ainsi que musulmane – certes pour des motifs très-politiques aussi ! mais d'abord, la Jérusalem ou la Kaaba, elles correspondent tout aussi bien aux lieux sacrés d'un Amérindien ou d'un Sibérien, pour qui la Terre est tréfondamentalement importante. Il y a donc dans tout cela un spiritualisme terrien, « adamique » (glébeux), chtonien & gaïen.

Mais on me dira que ça n'est pas très rationnel, tout de même, en regard des autres présocratiques.

Est-ce si sûr ? … N'y a-t-il pas là-dedans une poétique-savante originelle originale, très-archaïque, par laquelle on voit alors que les Anciens Hébreux mariaient le dieu à la sagesse ? Rude divinité, & rude sagesse en vérité ! pour des mœurs rudes en effet. Que l'on retrouve dans le Tanakh (Bible hébraïque, « Ancien Testament ») signifiant Torah, Neviim, Kefiim – soit dans les « Livres de la Loi, des Prophètes & de Sagesse ».

Or, imaginez un peu comme devait se vivre un Ancien Hébreu alors, nomade initial, sédentaire colonial : il était porteur d'une sapience toute contenue dans l'Arche d'Alliance (arche, provenant du grec arkhè d'ailleurs) circulant sur Terre avec les siens, sa tribu & son peuple. Cette sapience sécrétait une sagesse : timshel ? – sagesse qui n'a rien à envier aux mystères d'Héraclite, par exemple.

Elohim-YHWH est un principe terrestre : son souffle, bon & mauvais, parcourt les terres (voir à ce titre, l'excellente Bible Bayard 2012).

A la fin, je dirai que Nietzsche, si fameux critique du monothéisme (qui relança l'intérêt philologique puis philosophique pour les présocratiques au XIXème), avec son sens de la terre zarathoustrien, n'aurait rien à leur enlever, s'il n'y adjoignait pas l'impiété, la divinisation de la Terre éciellée, l'immoralisme & le perspectivisme.

Nietzsche, qui célébra la volonté de puissance des Anciens Hébreux :

Nietzsche, dans Par-delà bien et mal, a écrit : §52.
Dans l’ « ancien Testament » juif, le livre de la justice divine, il y a des hommes, des choses et des discours d’un si grand style que les littératures grecque et hindoue n’ont rien à leur opposer. On s’arrête avec crainte et vénération devant ces vestiges pro­digieux de ce que l’homme était autrefois et l’on songe tristement à la vieille Asie et à sa petite presqu’île, l’Europe, laquelle voudrait absolument signifier « progrès de l’homme » à l’égard de l’Asie. Il est vrai que celui qui n’est lui-même qu’un ani­mal domestique docile et falot, celui qui ne connaît que les besoins de l’animal domestique (pareil à nos hommes cultivés d’aujourd’hui, sans oublier les chrétiens du christianisme « éclairé » —) celui-là ne doit ni s’étonner ni s’attrister parmi ces ruines. Le goût pour l’ancien Testament est une pierre de touche pour connaître ce qui est « grand » et « petit ». Peut-être trouvera-t-il le nouveau Testament, le livre de la grâce, plutôt selon son cœur (on y trouve des traces nombreuses de cette véritable odeur des cagots et des petites âmes tendres et bornées). Avoir accolé à l’ancien Testament ce nouveau Testament, au goût si rococo à tous les points de vue, pour n’en faire qu’un seul livre que l’on a appelé « Bible », le « livre des livres », c’est peut-être la plus grande témérité, le plus grand « péché contre l’esprit » que l’Europe litté­raire ait sur la conscience.

 

 

L'école sophistique (l'école de sagesses)

L'École sophistique (car, au fond, dans son genre, c'en est belle & bien une, du moins à nos yeux ébahis de Modernes historiquement déficients) ... eh bien, l’École sophistique, donc, en tant qu'elle s'intéresse vivement à la langue, son expressivité, sa valeur, sa constitution, ses formations, sa rhétorique, bref : sa littérature ... est à sa façon toute sienne précurseure de la critique littéraire, au moins énonciative & pragmatique, qui s'intéresse tant aux trois niveaux locutoire, illocutoire & perlocutoire.

A savoir : l'énoncé lexical-grammatical comme tel (locutoire), ses sous-entendus & présupposés contextuels (illocutoires) & ses potentiels effets agents réels, qui certes lui échappent toujours (perlocutoire), mais qui tentent d'influencer autrui. Bref : aucun énoncé n'est neutre, et tous les énoncés sont des actions sans-réserve, quand bien même les modalités diffèrent du seul mouvement physique.

A ce titre, donc, Nietzsche réalisa bien, selon son mot, que l'Homme est « pris dans les rets du langage », et derrière lui une bonne partie de la philosophie du XXème (Wittgenstein, analytique, structuraliste, at least, aboutissant très concrètement aux USA à quelque French Theory nourrissant aujourd'hui les gender studies, les postcolonial studies, etc.) sinon que massivement, cette hérédité n'est jamais qu'une sorte d'épure nominaliste (les Mots et les choses, Michel Foucault) dualiste matérialiste, de ce qu'elle postule très-clairement toujours le réalisme des choses, que les mots ne feraient que mettre en perspective, ainsi qu'un voile d'Isis ou un vortex.

Ce n'est pas faux, mais les sophistes - et Nietzsche qui relança leur « carrière » - vont au-delà : ils disent que le réel en-deçà du langage n'est jamais qu'une folie, et Nietzsche va jusqu'à le dire définitoirement (Dionysos, genre de psychose) or les psychologues des profondeurs notamment, sont nombreux à penser que le langage informe (Apollon, genre de névrose) cette folie, dans ce qu'on appelle raison. Le langage est un grand ordonnateur du monde, où les monothéistes ne s'y trompèrent pas exactement, à faire de leur dieu Verbe, logos - sinon qu'ils y perdirent le tréfonds, les profondeurs, et avec eux toute l'articité de la chose langagière. Ou, si vous préférez, l'impact artial (artialisation) ou artificial (artificialisme) qui lui est intrinsèquement constitutif, pour notre « compréhension du monde » (inévitable poésie-savoir « présocraitque », et pas que « présocratique »).

En somme et pour tout le monde : il y a « compréhension idiomatique » du monde, serait-ce « scientifiquement ».

Les sophistes jouent dessus, et ont encore la véracité de le dire, quand quiconque à leur place se leurre (dans cette perspective), à prétendre tenir « un discours rigoureusement vrai », surtout quand ce discours s'imagine légitimé par une méthode voire un pouvoir - ajouterai-je - de ce que les méthodes et les pouvoirs ne sont pas autre chose que des discours rigidifiés, avec leur illocutoire comme leur perlocutoire, sur « la chose considérée ».

 

 

Petite conclusion

Bref, nous ne sommes ni moins, ni plus, sages que les Anciens. En fait, et comme toujours, tout dépend de la personne considérée, au moment considéré, dans l'endroit considéré - voire à ce qu'on ne nous la fasse pas à l'envers, affolante et dépersonnalisée.

 

Mal' - LibertéPhilo

 




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