jeudi 25 octobre 2018 - par C’est Nabum

Les points de suspension

Le funambule de l’inutile.

Il était une fois un écrivain en mal d’imagination. Les mots s'échappaient péniblement de sa plume d’autant plus qu’il utilisait un clavier. Il avait le phrasé lourd, la ponctuation laborieuse, le lexique sans imagination ni fioritures. Il cherchait ses mots, allait à la ligne plus souvent que nécessaire, tentant ainsi de reprendre son souffle.

Il pissait du texte comme on dit si prosaïquement dans le métier. Il se perdait en répétitions, s’égarait en métaphores creuses, se fourvoyait en calembours incertains. Il avait perdu la main quoique, pour une fois, les fautes de frappe ne fussent pas légion. Il faut admettre qu’il avançait péniblement sur le chemin d’un écrit qui ne sortait pas du cœur.

Il se prit alors au jeu de la confusion, singeant les mots tordus, il devait se contenter de mots crochus, de glissades lexicales, de confusions sémantiques, d’approximations phoniques. C’était laborieux et cela n’aurait certainement pas intéressé grand monde si soudain, par un incroyable renversement de dernière minute, la lumière n'était venue, le miracle ne s'était produit.

Incapable de trouver le mot de la fin, l’équilibriste de la chronique, le funambule de l’inutile , sans espoir de chute, dut se rabattre sur une pirouette dont il avait le secret. Il laissa en suspens sa dernière phrase, lui octroyant des points de suspension qui permettaient l'ellipse et ouvraient de nouvelles perspectives à des lecteurs qui resteraient forcément sur leur faim. En multipliant par trois son point final habituel, il pensait certainement élargir son propos.

C’est alors que les trois points absorbèrent lentement tous les mots inutiles qui avaient vainement tenté de constituer un récit médiocre. L’écran avait pris la main, le clavier ne répondait plus et, médusé, le pauvre scribe ne put que constater l’effacement irrémédiable d’un texte qui, de toute manière, ne serait pas resté dans les mémoires, à l’exception notable de celle de son disque dur.

Les points se gonflèrent, devinrent bien vite énormes. Ils avaient littéralement tout avalé. Il ne restait plus qu’eux en bas de page. Ils occupaient la dernière ligne qui était, dans le même temps, la première. L’auteur vit alors, médusé, les trois points s’élever lentement sur la page, comme s’ils étaient des ballons gonflés à l’hélium. Ils montaient en lâchant du lest, en laissant échapper quelques lettres, des espaces et des signes de ponctuation, des minuscules et des majuscules dans une écriture à rebours dont notre homme ne percevait pas encore le sens.

Puis, progressivement, il comprit que la machine avait pris le contrôle, qu’elle jouait elle aussi avec les lettres, qu’elle se servait de la masse de données qu’il lui avait confiée pour créer à son tour un texte plus satisfaisant à ses yeux que l’immonde salmigondis que son maître lui avait confié. L’ordinateur ordonnait autrement, il donnait libre cours à son imagination.

Un texte naissait ici, par la magie des points de suspension en élévation. Quand ils en vinrent au sommet de la page, ils éclatèrent en une explosion magnifique. Les ultimes signes cabalistiques qui étaient restés inemployés se transformèrent, se colorèrent, s’octroyèrent une nouvelle police, s’offrirent un corps plus gros et s’étalèrent en lettres capitales en tête de chapitre. Un titre était né et les points de suspension pouvaient tirer leur révérence en disparaissant de l’écran telles des étoiles filantes.

Notre écriveur à la petite semaine ne dit jamais rien de la métamorphose qui venait de se dérouler devant lui. Il signa, toute honte bue, l’œuvre magnifique que lui avait octroyée sa machine. Il eut du succès grâce à ce premier écrit mécanique, se fit un nom, fréquenta alors les salons littéraires, les plateaux de télévision, les grands salons du livre. Il y avait désormais devant lui de grandes files d’attente : les chalands se précipitaient pour obtenir sa dédicace. Il vendait, il était célèbre.

Il se garda bien d’avouer l’origine de sa verve extraordinaire, de sa prose si variée, de son imagination si féconde. Il usurpait une gloire dont il avait toujours rêvé. Parfois cependant, dans le secret de son bureau, quand l’ordinateur accomplissait seul le travail de distribution des signes et de création littéraire, il avait bien quelques scrupules mais il jouissait pleinement de ses bienfaits sans chercher à comprendre.

Puis, un jour, il découvrit que les autre vedettes de la littérature procédaient de la même manière que lui. Elles disposaient toutes d’un ordinateur autonome, d’une machine douée de sensibilité. Il n’était pas le seul : il avait simplement eu la chance d’être choisi parmi les milliers de besogneux de l’écrit. Un virus informatique avait fait de lui un élu, tout ça grâce à trois petits points de suspension qui avaient su faire leur chemin, l’élever vers les sommets de la notoriété.

Il garda cette habitude et tous ses textes désormais se terminaient par ce petit signe magnifique. Le funambule de l’inutile n’avait pas trouvé de raison à sa folle assuétude : elle demeurait toujours aussi vaine mais cette fois, on ne lui tournait pas le dos : les gens importants boutaient leur chapeau à son passage, réclamaient sa présence. Il est vrai que cette société aime à honorer les moins brillants des siens…

Suspensivement vôtre.



27 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 18:51

    De la transition aux point de suspension. J’avoue m’être prise aussi les pieds dans le tapis de vos jeux de mots. Puisant de-ci delà des idées qui m’invitaient au voyages. Sans vraiment savoir ou les mots me mèneraient de nuages en nuages en lignes séparées et rejointes d’oies sauvages, récupérant des idées et les raccrochant à d’autres trains récupérée sur cet boîte à malice qu’est internet. Partir d’un point, sans savoir exactement le chemin à suivre. Habituée des brocantes, je divaguais de gauche à droite, attirées par l’inconnu ou le familier. Cette indécision prolifique me fut souvent reprochée. Cela n’a aucun sens, aucune direction, pas d’éventail, de directives. Cela part en sucette. On ne vous suit pas. Votre ombre prend plus de place que votre réalité.....vous envahissez par votre absence. On vous suit à la trace sans trouver de repère ni de caillou. Qu’importe, puisqu’au final, je suis arrivée à bon port. et tant pour ceux qui ne me comprenne pas. ni ne mettent leur pas dans les miens. Chacun sa chaussure. De cela au moins je suis sûre. 


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 19:02

    J’espère bien n’être jamais reconnue. Je sais qui me regarde et approuve mon travail. Que vaut le regard torve, de ceux qui peut-être vous jalousent et pensent déjà prendre votre place. La chaleur insupportables des projecteurs. L’intrusion dans votre vie. Mes tableaux, seront vendus après ma mort. Tel est mon voeux de vie, ayant déjà reçu l’essentiel. Le verre risque alors de déborder.... Créer pour créer, tel est mon point final. Ma porte blindée devant la mort qui déjà risque de se précipiter sur vous,...Je viens d’en faire l’expérience sur un autre média. Etre au sommet, c’est déjà préparer sa chute, Isabelle Nyssen doit en avoir avaler des couleuvres. Je n’en aime pas le goût. 


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 19:19

    doit en avoir avalé des couleuvre. Je l’ai fait pour la mémoire de mon fils. Tes motivations on s’en fout,....


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 19:37

    Relu : De la transition aux points de suspension. J’avoue m’être prise aussi les pieds dans le tapis de vos jeux de mots. Puisant de-ci delà des idées qui m’invitaient au voyages. Sans vraiment savoir ou les mots me mèneraient de nuages en nuages en lignes séparées et rejointes d’oies sauvages, récupérant des idées et les raccrochant à d’autres trains récupérées sur cette boîte à malice qu’est internet. Partir d’un point, sans savoir exactement le chemin à suivre. Habituée des brocantes, je divaguais de gauche à droite, attirées par l’inconnu ou le familier. Cette indécision prolifique me fut souvent reprochée. Cela n’a aucun sens, aucune direction, pas d’éventail, de directives. Cela part en sucette. On ne vous suit pas. Votre ombre prend plus de place que votre réalité.....vous envahissez par votre absence. On vous suit à la trace sans trouver de repère ni de caillou. Qu’importe, puisqu’au final, je suis arrivée à bon port. et tant pis pour ceux qui ne me comprennent pas. ni ne mettent leurs pas dans les miens. Chacun sa chaussure. De cela au moins je suis sûre.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 19:43

    Ma démarche est plus ou moins la même que Vélosolex. Juste une envie de laissez la trace du passage de son vélo. Moi des mes routes empruntées pour arriver dans les nuages. Nous savons aussi, que seuls quelques’’un suivront. C’est toujours mieux que d’être aimés par des personnes que dans la vie nous n’aimerions pas....On t’aimait Johnny. Moi pas,...


    • rhea 1481971 25 octobre 2018 20:30
      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      • Bernard Dugué, je suis interdit de commentaires sur ces articles
      • j"ai tendance à bousiller ses théories, il est dans l’ordre expliqué
      • je pense dans l’ordre impliqué.


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 20:35

      @rhea 1481971

      Sur Dugué, j’ai juste cité le titre d’un livre mieux (vaut ne pas renouveler l’exercice) : bloquée). Il s’estime surdoué. C’est certainement vrai dans de nombreux domaines. Mais personnellement, je ne bloquerais JAMAIS quelqu’un qui peut m’apprendre quelque chose. Un surdoué qui n’est ni dans l’amour, ni l’échange de son savoir pour moi a raté l’essentiel,...

    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 25 octobre 2018 20:38

      @rhea 1481971


      Celui qui n’est pas d’abord dans l’amour, rate la première marche et le reste de ses théories risque de s’écrouler par manque de : socle.

    • foufouille foufouille 25 octobre 2018 20:45

      @rhea 1481971

      bienvenu au club des virés pou rien. pareil pour duguette car j’ai dit que c’était du gloubiboulga. c’est du délire complet de pataphysiques.
      il ne supporte pas la critique car seul des magazines de pseudos sciences acceptent ses torchons.


    • rhea 1481971 26 octobre 2018 10:32
      @foufouille
      • J’en suis à calculer un karma c’est une autre science.

    • rhea 1481971 26 octobre 2018 10:34
      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      • J’en suis à calculer un karma, c’est une autre science.

    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 26 octobre 2018 11:18

      @rhea 1481971


      Seul l’amour traverse le temps. Pour penser par le cerveau, il faut passer par le coeur, son essence, sa puissance (c’est lui qui contient le plus d’ADN-Arche De Noe). Dugué ne risque certainement pas de passer le gué qui le conduira vers le futur. Sa pensée desséchée mourra dans le terreau aride. Il faut, de l’eau, un fleuve pour traverser le temps. 

      Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître

      Le reste est confondu dans un suprême oubli.

      Vous qui avez aimé, vous pouvez disparaître :

      Son voeu s’est accompli.


      Quand un souffle d’amour traverse vos poitrines,

      Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus,

      Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines,

      vous jettent éperdue ;


      Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ;

      Il aura sillonné votre vie un moment ;

      En tombant vous pourrez emporter dans l’abîme

      VOTRE EBLOUISSEMENT. 


  • nono le simplet 26 octobre 2018 05:36

    bien qu’étant un grand spécialiste des points de suspension je n’ai pas encore été touché par la grâce ... smiley


  • juluch juluch 26 octobre 2018 10:18

    J’utilise beaucoup aussi ces fameux points vous avez du vous en apercevoir....ça termine bien une phrase...


    que les points retournent sur l’écran et qu’ils arrêtent de faire les malins... smiley

    a bientot....Nabum...
     smiley

  • gaijin gaijin 26 octobre 2018 10:23

    les points de suspension , c’est une phrase qui ne veut pas mourir ..........


  • Sergio Sergio 26 octobre 2018 14:20

    Les points de sus-pension, vous vouliez parler des re-traites, ah la vache !


  • marmor 26 octobre 2018 15:05

    Prétention, fausse modestie, tout y est ………….


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 26 octobre 2018 15:24
    La vie est une longue phrase peu ponctuée, mais avec beaucoup de parenthèses.

    Publié par Dominique84 - Catégories : #Des mots et des jeux

     
    Ainsi va la vie :
    elle nous propose une version de l’existence
    sans point, ni virgule,
    c’est à nous de la ponctuer...
    et c’est cette ponctuation
    qui fera toute la différence.

    - Dariosah -

     

     Ponctuation

    __ Ce n’est pas pour me vanter,
    Disait la virgule,
    Mais, sans mon jeu de pendule,
    Les mots, tels des somnambules,
    Ne feraient que se heurter.

    __ C’est possible, dit le point.
    Mais je règne, moi,
    Et les grandes majuscules
    Se moquent toutes de toi
    Et de ta queue minuscule.

    __ Ne soyez pas ridicules,
    Dit le point-virgule,
    On vous voit moins que la trace
    De fourmis sur une glace.

    Cessez vos conciliabules.

    Ou, tous deux, je vous remplace !

    Maurice Carême

     


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