Lettre ouverte à Joaquin Phoenix
Cher Joaquin, ou « Leaf » (feuille),
Je me permets de te dire tu car, comme Prévert, « je dis tu à tous ceux que j’aime ». Aux dernières nouvelles... des étoiles, ça n’irait pas fort pour toi, tu filerais même un mauvais coton. On t’aurait vu bouffi, poilu façon Sébastien Tellier, et carrément à l’Ouest sur un plateau tévé en compagnie du rappeur, et « mauvais garçon », P.Diddy (cf. photo) - d’aucuns allant même jusqu’à dire que tu avais renoué avec de mauvaises fréquentations et, qu’en continuant ainsi, tu risquerais de finir comme ton regretté frère River*, qui a eu de gros soucis avec la drogue avant d’en mourir, cash. Non, ne te fâche pas, je sais bien que tu n’aimes pas qu’on te compare à ton frangin, blond et angélique, alors que toi tu es brun et bien sombre, « Ca m’énerve qu’on me compare à mon frère River. C’était une personne magnifique et un acteur exceptionnel. » (Inrocks n° 677, nov. 2008). OK, essayons de comprendre ta ligne de fuite actuelle : tu t’essaies peut-être à un nouveau look, ton entrée dans le monde de la musique doit, va savoir, aller de pair avec une attitude de véritable bad boy rocker cultivant de mauvais travers et habitudes ainsi qu’un laisser-aller confinant au dandysme trash. Pour autant, en ce moment, quelle tronche pas piquée des hannetons ! Semblant mixer Salman Rushdie et Sébastien Chabal, tu n’es plus vraiment le jeune homme plein de charme d’autrefois. Je me dis également qu’avec ta retraite (dorée ?) anticipée, tu veux peut-être te la jouer façon le dernier Brando à Paris, euh… pardon, à Tetiaroa (Polynésie française) : isolé, cassant à jamais son image de sex-symbol, et regardant de très loin - de son île paradisiaque et/ou de ses paradis artificiels - le monde superficiel du métier d’acteur mais, par rapport au mythique Marlon Brando, tout de même, tu es un peu jeune (34 ans) pour prendre ainsi la tangente, non ? Joaquin, trêve de plaisanterie, tu traverses une grave crise existentielle et, par respect pour toi et ton talent d’acteur, il n’y a pas de quoi en faire des gorges chaudes et des lignes à tire-larigot.
Il n’empêche, tu ne peux pas arrêter le cinéma comme ça ! Tu avais annoncé au cinéaste James Gray, sur votre dernier tournage (Two lovers), que tu allais mettre fin à ta carrière pour te consacrer à la musique : « Mec, je n’en peux plus… Je ne sais pas si je peux encore faire ça. » Mec, fais gaffe ! Faire sa Sheila ou son Sinatra (répéter que l’on se retire et revenir sans cesse pour la soi-disant dernière fois), ça va un temps, mais tu ne peux pas nous planter comme ça, c’est pas très gentil, tu sais. Selon Gray, qui parle encore de toi en interview, « Il met tout dans ses rôles, il devient vraiment son personnage… Joaquin a juste besoin de se reposer. » puis, a contrario, « C’est fini. Il ne reviendra pas dessus. Il est star depuis qu’il est enfant. Il craque. Il cherche quelque chose de plus humain que le cinéma. Je lui souhaite d’être heureux dans la musique. » Moi aussi, je te le souhaite ! Mais bon sang, Joaquin, toi, l’acteur fétiche de Gray, le Commodus retors de Gladiator, le Johnny Cash légendaire par procuration, le Leonard poignant du newyorkais Two lovers, ton dernier chef-d’œuvre crépusculaire en date, t’as toujours été Walk the Line avec le cinéma, aussi on a envie de continuer à te suivre, et plus que jamais. On va suivre qui d’autres sinon ? Bon, à Hollywood Boulevard, on a encore Sean Penn, Michael Pitt ou George Clooney, mais ça fait peu. Faut continuer mon gars. Certes, pour toi, le septième art devient le… cinémarre, je comprends tout à fait : les hommes vivent plusieurs passions au cours de leur vie et une passion peut en chasser une autre : « Two lovers est mon dernier film. J’arrête le cinéma, je veux me consacrer à la musique et faire enfin un vrai travail artistique. » Ecoute Joaquin, si c’est la musique qui te travaille, t’es pas obligé non plus, au rayon cinéma, de tout plaquer d’un coup. Tu serais cinéaste, je comprendrais, cette activité bouffe un temps fou mais acteur, et acteur-star en ce qui te concerne, ça laisse du temps tout de même en dehors des tournages et des sentiers de la gloire (feux de la rampe, tournées promotionnelles et autres Walk of Fame).
Et, my man, t’es pas le seul dans le cinoche à vouloir tâter de la musique. Par exemple, en France, un cinéaste comme Bertrand Bonello en connaît un rayon question musique, et ça ne l’empêche pas de faire des films transversaux, ou pluridisciplinaires, tendant vers « l’art total ». Et pour en revenir aux acteurs, chez nous, on a Melvil Poupaud, c’est un fan absolu - et reconnu ! - de Bob Dylan, eh bien il a son groupe fusion MUD et joue de temps en temps dans le groupe de musicos de son frangin, Yarol de FFF, ce qui ne l’empêche pas de jouer au cinéma, on l’a vu dernièrement en DJ (tiens, tiens) dans Un Conte de Noël de Desplechin et en animateur frenchy survolté dans l’épatant Speed Racer. En marge de ces « grosses machines » filmiques, il fait même des mini-films autobiographiques en DV qui rencontrent un certain public, celui des festivals ou des salles d’art et d’essai. Autre exemple, Jared Leto, c’est un jeune acteur au physique avantageux, comme toi. On l’a vu dans Panic Room de Fincher et, plus récemment, dans Lord of War (2006) et Chapitre 27 (2008). A côté, il est aussi auteur de chansons et musicien, via son groupe 30 Seconds To Mars. L’un (ciné) n’empêche pas l’autre (zikmu), tu vois. Ecoute-moi Joaquin, toi qui m’a séduit dans des personnages marginaux et inquiétants (Prête à tout, U-Turn, 8 mm) et qui m’a ému en homme fatigué, usé par la vie (Le Village, The Yards,
Franchement, Joaquin, pour incarner une profondeur blessée, une amertume devant la vie et une mélancolie aux bruns viscontiens, t’es l’homme de la situation. Ton frère River est hélas exit, tes sœurs Rain et Summer sont désormais aux abonnées absentes, ça suffit comme ça ! Bref, continue ton parcours d’acteur unique en ton genre, reviens hanter nos imaginaires de cinéphiles, réalise un biopic sur toi-même qui fusionne tout ce que tu es – cet egotrip va te faire un bien fou, j’en suis sûr ! - et ne te retire pas définitivement du monde du cinéma : je ne veux pas que tu abandonnes les plateaux, c’est compris !? A mon humble avis, j’ai (encore) l’espoir que tu portes à la perfection ton patronyme : tu t’enterres, tu t’isoles, quitte à te brûler les ailes, pour, tel le phénix, renaître de tes cendres. C’est bien ça, hein ?, rassure-nous et, diantre, évite tout de même de pratiquer le sacro-saint Moteur-Silence trop longtemps !
* River Phoenix, né en 1970 à Madras (Oregon, USA), est décédé le 31 octobre 1993 - arrêt cardiaque par overdose - à Hollywood,