mercredi 16 novembre 2016 - par C’est Nabum

Lire à haute voix

Pour oublier Saint Augustin

La célébration de l’écrit.

Vous avez dans les mains un livre qui résonne en vous d’une étrange manière. Vous sentez qu’entre lui et vous, se noue une belle amitié, un bonheur qui ne se satisfait pas du silence habituel de vos lectures. Celui-ci réclame un engagement plus fort, une promesse de tendresse, une envie de communion. Vous désirez l’honorer comme il le mérite, lui accorder ce privilège rare d’une lecture à haute voix.

Vous avez néanmoins quelques scrupules. La pratique n’est pas habituelle. Les vôtres s’interrogeraient sur cette folie soudaine. Lire désormais se fait au plus profond de soi, dans le recueillement presque. Il y a bien longtemps, vous vous souvenez que le grand-père lisait le journal à haute voix d’un ton monocorde. Vous ne goûtiez guère cette curieuse manie qui voulait sans doute donner de la solennité aux informations, ainsi dévoilées à la connaissance de toute la maisonnée.

Vous vous revoyez encore, enfant, en phase d’apprivoisement des lettres, déchiffrant à haute voix le livre d’initiation posé sur la table de la cuisine. La « pie » passait sa vie dans le « nid » ; vous étiez en souffrance devant un exercice alors périlleux. Vous avez eu la chance de dompter cet apprentissage : vous êtes devenu un lecteur quand tant d’autres sont restés sur le bord de la route, lecteurs incertains, malhabiles ou pire encore, sans plaisir.

La lecture vous a accompagné, le livre également. Toujours dans une poche ou bien un sac, il est votre compagnon fidèle et nécessaire. Il vous a suivi en vacances, au travail, dans les transports, durant vos insomnies. Il est surtout le gardien de vos rêves, posé sur la table de chevet, dernier lien avec la vie éveillée avant que vous ne coupiez l’électricité pour vous endormir en fin de chapitre.

Mais cette fois, il vous faut donner de la voix, laisser résonner les mots de l’auteur, les entendre se répandre dans la maison, occupant l’espace comme ils se sont emparés de votre esprit. Alors, profitant d’être seul, vous osez ce que vous n’aviez pas fait depuis l’école : vous lisez à haute voix. Vous êtes envoûté par ces mots qui se répandent insidieusement ...

Au début, vous hésitez un peu : vous murmurez, craignant sans doute que quelqu’un ne vous surprenne et vous juge. Puis, vous prenez de l’assurance, votre voix envahit l’espace, se fait théâtrale, rebondit dans la maisonnée. Vous êtes votre propre auditeur ; vous êtes sous le charme de votre lecture : elle vous grise, vous entraîne vers des contrées lointaines. La musicalité du style, la petite musique intérieure de l’auteur vous donnent le tempo. Vous êtes son interprète.

Vous aviez oublié que cela était aussi agréable. L’envie vous prend alors de partager ce moment, de l’offrir à celle que vous aimez. Elle trouve étrange cet instant ; elle est un peu jalouse. Cette voix qui susurre des mots qui ne lui sont pas destinés l’intrigue et l’inquiète. Elle ne reconnaît pas votre voix : elle se sent exclue de cette relation par trop intime. Vous vous êtes fourvoyé. Le livre est une autre histoire d’amour ; il ne faut pas éveiller la jalousie de votre compagne.

Vous décidez alors d’inviter des amis à cet incroyable partage. Ils seront plus compréhensifs sans doute, moins impliqués par l’amour que vous vouez à cet écrit. Vous comprenez bien vite que la proposition va surprendre, faire rire ou bien déranger. Les gens ont perdu cette habitude de la veillée et des échanges simples. Il faut du clinquant, du spectaculaire, de l’image et du bruit ; le livre est passé de mode, la lecture plus encore.

Vous repoussez cette idée : elle est trop farfelue. Vous vous promettez alors d’aller lire dans un salon du livre : voilà qui semble plus approprié. N’en faites rien ; je sais par expérience que ces endroits sont peuplés surtout d’auteurs qui désirent vendre et n’ont nulle envie de donner à entendre ce qu’ils ont écrit. Je les soupçonne de ne pas être particulièrement fiers de leur prose. Je les crois aussi incapables de se montrer ainsi : nus devant le lecteur potentiel. Ils me demandent souvent de me taire, lire certes, mais un livre dûment acheté et loin des oreilles curieuses ...

Il ne vous reste plus qu’à vous inscrire dans un atelier de lecture à haute voix, un cercle de doux rêveurs ou bien un club de pauvres nostalgiques des plaisirs d’antan. Vous serez émerveillé des lectures de vos coreligionnaires, emporté par leurs choix puis, à votre tour, vous les entraînerez dans vos secrets frissons. Cela deviendra pour vous une belle et douce assuétude. Le livre ne sera plus un plaisir solitaire. Il se donnera en partage sans aucune pudeur.

Lecteurement sien.

 



7 réactions


  • juluch juluch 16 novembre 2016 17:54

    je dois vous avouer que j’aime pas lire à haute voix.....et j’en ai lut des centaines de bouquin.


    Je l’avais essayé il y a fort longtemps et ça m’avait pas plu. Alors quand je dois lire un texte à quelqu’un...galère. smiley

    Et puis il faut avoir l’intonation pour captiver....pas pour moi.

    c’est plus facile pour vous Nabum vu que vous etes conteur et bonimenteur 
     smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 16 novembre 2016 19:31

      @juluch

      J’ai toujours aimé lire à haute voix

      La lecture d’un roman chaque jour en classe fut pour moi et je crois pour mes élèves un grand moment de bonheur avec des jeux des espiègleries, du théâtre ...

      Je crois être devenu conteur ainsi

      essayez, vous verrez ça vient vite


  • ENZOLIGARK 17 novembre 2016 06:07

    Un relais de 1300 Russes pour lire - Война и Мир - (Guerre et Paix ) de Leon Tolstoi - a la tele ... . ... АФФ ИСС ...


  • velosolex velosolex 17 novembre 2016 10:31

    Bonjour. Bravo pour votre article. Je m’y suis ressourcé 

    Je ne comprend pas pourquoi un abruti vous moinsse. Pas que j’accorde une importance quelconque d’ailleurs à ce comportement dans un article d’opinion, mais ce trait compulsif dans un article lié simplement à l’usage des lecteurs s’apparente au syndrome de Gilles de La Tourette, et fait rire.....Digression inutile me direz vous. 
    Aux Etats unis, et dans d’autres pays, il a toute une culture des lectures publiques. Comme ils ont raison. Il y a la beauté du texte qui raisonne, qui n’est pas lu en diagonale, mais aussi le plaisir du partage : Celui qui vous rend solidaire de l’auteur, mais aussi de tous les autres auditeurs. Le même phénomène qu’on connait dans une salle de cinéma. Certains textes ne résistent pas à la lecture à voix haute, d’autres en ressortent magnifiés. Toute personne qui écrit devrait soumettre son billet à ce « crash test », sans logiciel trafiqué, sans émission de carbone, et qui fait pourtant avancer....Je me souviens d’avoir lu chaque soir quelques pages de « La vie mode d’emploi » ce superbe livre de Georges Perec. C’était il y a 40 ans lors d’un voyage en vélo au retour de Grèce. La mémoire s’organise bien mieux alors. Les textes s’impriment dessus avec des chaussures à crampons. Oui, la beauté de cet exercice est encore magnifié par le moment particulier. Proclamer Rimbaud en avançant sur un sentier perdu longeant un fleuve impassible vous envoie à des hauteurs indéfinissables, vous fait complice du voleur de feu...Je n’apprend rien je sais à ceux qui lisent beaucoup, autant qu’à ceux qui marchent. Au fond des activités similaires. Tout comme l’art du conte, une lecture sans partition, mêlée d’improvisations créatives. 
    Je viens de finir « sur le chemins noirs » de Sylvain Tesson, et j’en ai été bouleversé. Un accident terrible a handicapé cet homme. Il en est sorti plus Russe, dans ce parcours à pied d’une France abîmée elle-même. Lui qui cherchait tant les steppes d’oural, il a fallu qu’il tombe d’une falaise pour les trouver sur ces chemins noirs, dans cet hexagone soviétisée par les lendemains de l’horreur économique, laissant des pans de territoire infirme, 
    Car tout ce que l’on rencontre est la production de deux mondes en mouvements l’un vers l’autre, quand ils ne se fuient pas...Sa voix raisonne de façon bien plus profonde et authentique qu’auparavant. Un texte à lire à voix haute, alors que tant ne mérite que le silence.Peut être bien écrirais-je un billet là dessus. L’écriture est aussi l’arme de ceux qui veulent rester éveillés, et rester résistants au monde actuel, soumis au remembrement économique, qui retire les buttes du paysage et les temps du plus que parfait de la tête des hommes dans le même remembrement mortifère. 

    • C'est Nabum C’est Nabum 17 novembre 2016 13:02

      @velosolex

      J’ai l’honneur de disposer ici de quelques ennemis compulsifs

      La culture leur fait horreur, ils aiment salir et se vautrer dans la méchanceté
      Ils sont tout le contraire de ce qui est défendu ici.

      Ils sont aussi les symboles d’une société qui ne sait plus faire la part des choses, qui ne parvient plus à admirer le beau, à se laisser aller aux véritables émotions, pas celles qui sont commandées dans l’intérêt des pouvoirs

      Oublions les et poursuivons notre quête de grands auteurs

      Merci à vous


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