mardi 11 octobre 2016 - par Paul ORIOL

Miracle à Milan

Miracle à Milan (Miraculo a Milano), 1951, Grand prix à Cannes la même année (La Palme d’or n’existait pas de l’époque) est un film de Vittorio de Sica d’après un roman de Cesare Zavattini, Totò il buono de 1943. De Sica, comme réalisateur, et Zavattini, comme scénariste, ont réalisé ensemble plus de vingt films et font partie du néo-réalisme dont l’histoire s’étend de 1943 à 1955.

Pour Cesare Zavattini, un de ses théoriciens, le néoréalisme veut faire reconnaître l’existence et la peine des hommes, dans leur dure réalité, afin de correspondre à l’appel qui est fait par les victimes de notre égoïsme, appel qui rend toujours plus urgent la demande de solidarité.

Parmi les films néoréalistes les plus célèbres, Roma, città aperta (Rome, ville ouverte), 1945, de Roberto Rossellini, Sciuscià, 1946, de Vittorio de Sica, Païsa de Rossellini, 1946, Ladri di biciclette (Le voleur de bicyclette), 1947, de Vittorio de Sica, Caccia tragica (Chasse tragique), 1947, de Giuseppe De Santis, La Terra trema (La terre tremble), 1948, de Luchino Visconti.

Néoréaliste, Miracle à Milan veut montrer la peine des hommes…. victimes de notre égoïsme… et la nécessaire solidarité. Mais c’est aussi une fable, un conte (il était une fois...) et il ne faut pas chercher dans ce film la vraisemblance, il faut voir la réalité à travers la fable, le conte.

Par opposition aux films du temps de Mussolini, dits des téléphones blancs, les films néoréalistes étaient tournés dans la rue avec des acteurs non professionnels. Ici, les acteurs sont des professionnels qui ont, quelquefois, beaucoup joué au cinéma avant Miracle à Milan et le film a été tourné en studios.

Film inoubliable, vu pour la première fois, il y a 50 ans en ciné-club. Seul souvenir précis, René Nelli avait fait remarquer que, dans la dernière scène, les « zonards  » s’envolent sur les balais suivant l’axe de la cathédrale de Milan et donc vers l’est. Vers Jérusalem ? C’était un film chrétien. Vers Moscou ? C’était un film communiste…

C’est plus probablement un film chrétien, on pourrait même dire franciscain. Bien qu’on ne voit dans le film, à part la cathédrale finale, aucun prêtre, aucun signe religieux, en réalité un signe de croix non significatif. Seulement des anges (?), plutôt défenseurs de la loi et l’ordre : ils respectent même les indications de l’agent qui règle la circulation !

Miracle à Milan

Au contraire, Totò, est bon, naïf, de bonne foi, toujours en compréhension, en confiance, avec les gens qu’il rencontre, riches ou pauvres. Il pousse par l’exemple à l’organisation des pauvres, à la solidarité. Il met les pouvoirs que lui confère la colombe donnée par sa mère, Lolotta, au service de la résistance non-violente ou presque de ses compagnons et exauce leurs vœux personnels...

Il fait preuve d’empathie avec les enfants, avec les cabossés de la vie… Totò ne juge pas ou rarement. Il a même une certaine référence naïve devant les riches à la sortie de l’opéra où il est le seul à applaudir, devant le couple bourgeois et hautain qui est obligé de venir se réfugier dans le bidonville où ils montrent qu’ils savent encore exploiter la jeune servante et la naïveté des gens…

Le film est découpé en plusieurs épisodes, la jeunesse de Totò, rapidement décrite, la reconstruction du bidonville dans la solidarité, la lutte plus ou moins animée contre le propriétaire du terrain et ses troupes, la satisfaction des désirs des gens de la zone, la défaite et l’envol final de tous les compagnons.

La liaison, entre ces épisodes et entre les scènes, est souvent faite de raccourcis rapides, menés en douceur par fondu-enchaîné et annoncés ou accompagnés sur la bande sonore par le sifflet du train, des paroles, des cris, de la musique.
Par exemple, deux médecins, en noir, dignes de Molière, encadrent Lolotta, dans son lit blanc, et prennent son pouls. On les entend encore compter alors que, par un fondu-enchaîné, Totò prend place, seul derrière le corbillard de sa mère.

Ces deux médecins en noir annoncent l’entrée du petit Totò, sept-huit ans, à l’orphelinat, minuscule entre deux hommes habillés en noir. Qui ressort immédiatement, âgé de 18 ans, encadré par deux hommes qui lui serrent la main et le laissent partir, seul avec une petite sacoche. A l’entrée comme à la sortie, on voit au fond, le porche de l’orphelinat avec les mêmes pensionnaires, faisant la même gymnastique.

La seule personne rejetée par tous, y compris par Totò, c’est Rappi, joué par Paolo Stoppa, égoïste, méprisant, traître... que Totò ridiculise comme il ridiculise l’armée, la police... Il le chasse de la zone poursuivi par une flopée de hauts de forme…

Dans ce film sur la misère, les occasions de rire ne manquent pas : les deux médecins en noir, ridicules, prenant le pouls de Lolotta ; dans l’antre du capitaliste, un homme suspendu, dehors, à la fenêtre, donne le temps qu’il fait pour que le patron mette un foulard autour du cou ; dans la baraque des bourgeois du bidonville, l’enfant est attaché au bout du cordon de la sonnette et crie qu’il y a quelqu’un quand il est secoué ; rencontre des deux capitalistes au moment du marchandage pour le rachat du terrain sur lequel est le bidonville, la négociation est faite de propositions contradictoires et ils finissent par aboyer sous les regards des zonards qui font la même chose ; la jeune servante qui pour récompenser Totò de l’avoir soutenue face à sa patronne en disant qu’il aime être arrosé, lui verse à nouveau un seau d’eau sur la tête ; le marchand de ballons un peu trop léger, à qui Totò donne un sandwich tandis qu’on met des pierres dans ses poches pour qu’il ne s’envole pas…

Mais c’est surtout quand il est pourvu de pouvoirs exceptionnels par la colombe que Totò organise la résistance pacifique de la zone face aux militaires, en les ridiculisant, sans violence : les gaz lacrymogènes repoussés par les zonards qui soufflent, les ordres d’assaut donnés sur un air d’opéra, les parapluies face aux lances à eau qui se tarissent rapidement, le terrain qui devient une piste de patinage sous les pieds des policiers…

Quand Totò utilise son pouvoir pour répondre aux désirs de ses compagnons, les résultats sont cruels. Dans la zone, c’est souvent chacun pour soi. Aucune demande de solidarité, quelquefois demandes de concurrence, de surenchère : avoir un million de millions de millions... plus un ajoute celui qui veut avoir le dernier mot. Beaucoup ont un rêve personnel : une machine à coudre, une armoire qui n’entre pas dans la cabane, une valise (demandée par le voleur pour remplacer la sacoche volée à Totò), une fourrure comme le traître et les riches, et tout le monde en veut une, des habits encore plus beaux pour être encore plus bourgeois prétentieux. Totò leur donne satisfaction même s’il hésite à donner vie à la femme-statue... Il donne à l’homme qui ne mesure qu’un mètre vingt, par tatonnement, la taille qu’il désire et répond au désir du Noir qui, par amour, veut devenir blanc et à la jeune femme banche qui, par amour, veut devenir noire… Impossible rencontre…

Par deux fois, Totò utilise ses pouvoirs pour son seul bénéfice personnel dans l’oubli des autres... Et, à chaque fois, les anges lui reprennent la colombe.

Finalement, Lolotta rapporte la colombe et l’amour change de mains, de Lolotta à Edvige, de la mère à la jeune servante, et les zonards arrivés sur la place du Duomo, s’emparent des balais des employés qui nettoient la place, les abandonnent, ce n’est pas la Révolution, et s’envolent pour un pays où Bonjour, veut dire bonjour.

Miracle à Milan


2 réactions


  • Piere CHALORY Piere CHALORY 11 octobre 2016 16:45

    Merci pour cet article,


    Miracle à Milan est 1 film parabolique, au sens du décalage complet entre Parabole & réalité.

    Réalité de l’époque, noyée dans le factice, l’après guerre, la haine et la matérialité déifiée, 1 peu comme aujourd’hui.

    Miracolo a Milano est exceptionnel, à plus d’un titre. D’abord il est un des seuls films à évoquer l’énergie incroyable de la pureté face à l’abject.

    N’allez pas croire que je suis catho-intégriste mais bon.

    Totò, le héros, est un enfant trouvé par une femme à l’âge avancé, trop contente de materner ce bébé sympathique. Elle disparaît rapidement vu son âge, et Totò se retrouve seul et désemparé.

    Face au monde hostile qui l’entoure, Totò ne comprend plus rien, habitué qu’il est à la Gentillesse et la Bonté permanente que lui prodiguait sa mère adoptive.

    Dans l’adversité, ne voyant pas le mal, il se propose d’aider les uns & les autres.

    Dans l’univers des bidonvilles romains où il évoluera, une fois sorti de l’orphelinat, ce n’est pas si simple. 

    La caricature implacable de Vittorio de Sicca n’épargnera ni riches, ni pauvres ; mis au même niveau dans une croyance identique imbécile . 

    Toto totalement désintéressé désarme les suspicieux en leur proposant son aide sans aucune arrière pensée. Les affreux interpellés ne comprennent pas pour quelle raison il veut les aider, s’imaginant qu’il cherche à tirer quelque profit d’eux ; quelque part.

    Jusqu’au jour où, par le truchement d’anges relayant l’Amour de Lolotta : Totò se voit nanti de pouvoirs multiples, destinés à faire le Bien autour de lui. Le réalisme se mixe avec le rêve, et c’est très bien.

    Toto exauce les désirs basiques des uns et des autres à la manière d’un Christ juvénile. 

    Lors que cet entourage choyé réalisera la vacuité de ces désirs simplistes, tous partiront vers un monde meilleur...





  • Paul ORIOL 12 octobre 2016 08:14

    Je ne sais pas corriger les articles une fois publiés...

    Deux erreurs dans l’article. Le titre italien du film est « Miracolo a Milano ».

    Par ailleurs... Bien qu’on ne voit dans le film... Il faut lire « Bien qu’on ne voie »...

    Avec mes excuses

    Paul


Réagir