mardi 24 septembre 2019 - par C’est Nabum

Mon histoire de la Loire

 J : Le commerce du XV ° et XVI ° siècles

 

Les Pancartes des péages non seulement précises les denrées qui sont sujettes à taxation mais nous informent dans le même temps de ce qui était transporté à l’époque sur la Loire et les rivières allant à icelle. Nous avons ainsi quelques surprises à commencer par le transport d’animaux. Les chevaux, les ânes mais aussi le bétail voyagent sur l’eau. Les oiseaux sont aussi du voyage, surtout pour la fauconnerie mais encore pour l’agrément comme le fameux perroquet Vert-Vert. Quelques animaux sauvages semblent être là pour gagner des pièces lors de démonstrations et enfin tout les hôtes de la basse-cour et leurs produits dérivés trouvent place sur le pont. Les poissons d’étang, de Loire et issus de la mer trouvent place dans des bascules (viviers) pour rester frais et l’œil vif. Les viandes trouvent placent dans des barils. Les poissons de mer eux sont salés et rangés en baril. Ils font inévitablement l’objet de tricherie sur le sel …

Les grains sont encore une part importante du transport et exigent de grandes précautions et de la maintenance. Le risque d’échauffement est grand tout comme la possibilité de ne pas arriver à destination si la disette sévit. Le fourrage se déplace également preuve qu’il y a des régions productrices et d’autres utilisatrices. L’économie ne fonctionne déjà plus en autarcie. La marine de Loire l’atteste de manière éclatante. Les légumes, les fruits fournissent aussi de belles occasions d’arriver les premiers à Paris avec les primeurs. Rien de nouveau sous le merveilleux soleil angevin !

Le vin est la grande vedette du transport. La Loire est une rivière à vin, grande est la variété des régions de production et des cépages transportés par voie d’eau. Les mariniers se servent avec gourmandise, ne leur jetons pas la pierre. Le vinaigre se fait lui aussi une belle place avec la ville d’Orléans, capitale tournante de la chose. On y compte les vinaigreries par centaines. En toute logique, l’huile profite elle aussi du voyage. Elle vient du sud pour l’essentiel et remonte le Rhône avant que de prendre la route de Lyon jusqu’à Roanne.

Le sel a un traitement particulier à cause de la Gabelle. C’est un transport sous haute surveillance, en train de bateaux avec des gardes armés. Le sel a sa plaque tournante à Nantes. Il faut ajouter encore les produits de la droguerie et les épices dont les provenances sont souvent lointaines, preuve que le commerce se moque des distances déjà.

Les étoffes roulent elle aussi sur les flots. Le chanvre, le lin, le coton et la soie voyagent et en toute logique les fils et les cordes aussi. Chaque région a sa spécialité, les unes font des étoffes, les autres des toiles, certaines des draps et d’autres encore des coutils ou des Serges. La laine n’est pas en reste et vient principalement d’Espagne et de Bretagne. Les feutres ne sont pas en tête des matières transportées ça va de soi mais certains vont fort loin comme ceux d’Olivet qui aimèrent couvrir les chefs trucs.

Dans cet inventaire à la Prévert, il faut encore ajouter les tapis, la passementerie, les peaux de bête, les pelages d’animaux à fourrure, les plumes y compris celles d’autruche, les vêtements, les bonnets, les chasubles, la literie, les métaux et tous les objets manufacturés et transformés. Nous pouvons considérer que tout ce qui se fabrique et se vend dans le royaume peut être transporté et taxé sur la Loire.

Le bois de chauffage n’est pas en reste. Le charbon arrive de l’<Allier et de la Haute-Loire, le bois de charpente descend lui aussi le cours de la rivière même si les trains de bois sont réservés essentiellement au Morvan. Instrument indispensable au transport, les tonneaux sont les grandes vedettes de la navigation. Ils permettent de ranger tellement de produits sur les bateaux. Ce sont des quantités colossales de tonneaux qui circulent ainsi. Certains voyageant même plusieurs fois.

Les armes ne sont pas en reste et apportent elles aussi leur pierre à ce commerce immense. Elles iront également servir de monnaie d’échange pour le commerce triangulaire. Les livres voyagent eux aussi sur ce roman-fleuve qu’est notre Loire. Les ardoises ne servent pas à écrire et nous viennent d’Anjou La faïence, la terre cuite sont aussi du voyage en mettant les petits plats dans les grands.

Les pierres sont encombrantes. Elles sont pré-façonnées avant que d’être chargées pour gagner du poids. Toutes les formes de pierre et tous les usages sont cités dans les fameuses pancartes de la pierre à fusil à la meule du moulin. Même en dehors de Pâques les cloches prennent la Loire notamment les coches Bolés à Saint Jean de Braye.

Les Pancartes distinguent les produits locaux, produits à proximité et destiné à une consommation proche et les produits lointains venant de l’étranger. Ainsi Roanne est le centre du commerce avec les pays du Sud, Nantes celui de ce qui vient par mer, Orléans le centre d’acheminement vers Paris. Saumur commerce avec le Poitou, Angers avec le bassin de la Maine. Une véritable toile d’araignée commerciale se tisse sur la Loire avec une forte activité pour les villes disposant d’un pont.

Les deux grandes cités commerciales sont Nantes et Orléans. Les mouvements y sont considérables. On estime à près de 10 000 chalands transportant plus de 300 000 tonnes de marchandises les bateaux qui arrivent chaque année à Orléans. Une véritable fourmilière en somme.

 

 K : Le transport du vin

 

 

La Loire fut dès l’origine du transport fluvial une rivière à vin. Les marchands qui venaient de Méditerranée pour aller chercher l’étain avaient des amphores de vin comme monnaie d’échange bien avant que la vigne établisse domicile sur nos rives. Nous allons examiner le transport lié au vin.

 

Pour permettre la culture de la vigne des régions deviennent fournisseuses des territoires vinicoles. Les échalas, ces grands tuteurs pour la vigne en pin sont ainsi acheminés là où ils guideront la plante vers le ciel. C’est pour la tonnellerie que le plus grand négoce aura lieu. Il en faut des barriques et donc nécessairement du bois et des cerceaux de fer. Le vocabulaire est riche en ce domaine du merrain aux futailles, des tonneaux aux poinçons, des traversins aux feuillettes, des busses et des grands tonneaux blancs qu’on nomme hambourgs, des pipes, des barils, des barillons, des barioles, des bottes des bottes, des cuves, des foudres et des muids et nous devons en oublier.

Le vin nous vient de partout. Vous en saurez bien plus en consultant le livre « La Loire un fleuve de vins » Ce livre d’Henri Nochez et Guy Blanchard se trouve aux éditions Thoba’s. Il retrace l'aventure du plus grand fleuve français intérieur du pays et l’histoire des vignobles qu'il traverse. Il évoque les hommes qui ont vécu la grande aventure de la navigation fluviale, de l'organisation du commerce et des aléas du transport.

La Loire a conservé les traces de plus de deux millénaires d'aventure humaine et commerciale. Elle est le lien naturel entre le nord et le sud de la France et en a longtemps représenté le moyen de transport le plus rapide. Objet de convoitise et de craintes, elle a façonné les économies locales, régulé la vie de milliers d'êtres, véhiculé la peur et la détresse. A Saint-Rambert, à Roanne, à Pouilly-sous-Charlieu, à Digoin ou à Decize... Les hommes ont construit des bateaux, risqué leurs vies pour affronter les eaux, le froid, le vent, les crues et les sables, toujours sous la protection de Saint-Nicolas (avant qu’il ne soit marchand de vin). Les vins du Languedoc, des Côtes du Rhône, de Côtes du Forez et du Roannais, les vins du Beaujolais et du sud de la Bourgogne, le Sancerre... , tous ont transité par la dame Liger.

La Loire a été appelée à juste titre « le fleuve du vin » . Le vin n'est pas seulement une marchandise : c'est toute une culture locale, un art de vivre. Les bateaux transportant du vin, de même que pour les fruits, ont priorité sur les canaux desservant la Loire et paient le droit qu’on nomme « La Navigue ». Les ports de la Loire restaient ouverts pendant la saison de vendange par préconisation d’une charte royale, le vin doit parvenir à la cour, c’est une évidence.

Le vin est donc la marchandise la plus transportée sur tout son bassin versant. Quels sont ces vins ?

En haute Loire le vin complète les cargaisons de charbon. Le charbon étant chargé à Saint Rambert, Brassas, Andrézieux avant le terrible saut du Perron, il ne faut pas charger totalement les sapines. C’est donc à Roanne ou plus en aval que les barriques viennent compléter la cargaison. Ce sont les Beaujolais assez proches ou les vins du Vivarais qui arrivent sur des mules. En Auvergne on embarque des vins de rendement de piètre qualité pour les bistrotiers de Paris. Plus bas, les bateaux chargent des vins plus nobles ; Pouilly, Sancerre, Giennois, Saint Pourçain. Puis ce sont les vins du vignoble du Val de Loire dont l’Orléanais qui sont à leur tour embarqués.

L'académicien Mignot de Montigny écrit en 1752

« En sortant d'Orléans on traverse un vignoble immense, étendu dans une vaste plaine. Il s'avance dans l'espace de plus de quatre lieues sans interruption, au bord de la Loire jusques et par delà Cléry... »

Depuis Tavers près de Beaugency jusqu'à Chateauneuf-sur-Loire, il y avait des vignes à perte de vue. C’est la même chose plus bas en Touraine et en Anjou avec notamment le Vouvray, le vin d’Amboise, le Saumur, le Bourgeuil le doyen de la Loire sans doute appelé Berton.

La vallée de la Loire bénéficie d’un climat favorable et les crues fertilisent les terres tant qu’il n’y a pas de digues. Ce sont les conditions idéales pour le vignoble. C’est ainsi que durant des siècles, le vin du Val de Loire est réputé le meilleur de France avec sa vedette, l’Auvernat, un pinot noir qui, venu du sud, a fait une étape par l’Auvergne.

Le canal de Briare est à ce titre commencé sous le Bon roi Henry IV dans le seul but de pouvoir acheminer du vin sans le secouer jusqu’à la Capitale. Paradoxalement, les canaux vont provoqués la chute du vignoble de l’Orléanais. Les producteurs locaux voyant là une occasion considérable de s’enrichir multiplie leurs surfaces de vigne tout en privilégiant la quantité à la qualité. Ce sont des flots de piquette qui vont arriver à Paris et briser la réputation des vins de Cléry et d’Orléans.

Pendant un certain temps encore, le cout des taxes donne encore un avantage aux vins de Loire puis les réputations vont basculer vers d’autres régions. Mais ceci est une autre histoire. Quant au vinaigre, il fera la fortune d’Orléans, comme quoi la piquette n’a pas que du mauvais. Là encore, gardons-nous de nous gausser et conservons ce récit pour la bonne bouche.

 

 L : Le vinaigre d'Orléans.

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On ne prête qu'aux riches, l'usage vaut pour les hommes comme pour les rivières. La Loire, notre grand et dernier fleuve sauvage n'échappe pas à cette terrible loi. Il se voit décerner bien des défauts et attribuer bon nombre de forfaits qui ne sont pas de son fait. Oyez donc la mesquinerie des hommes, toujours prompts à se défausser pour ne pas rendre compte de leurs propres turpitudes.

 

Il en va ainsi pour notre bon et célèbre vinaigre d'Orléans. Les livres d'histoire, l'office du tourisme, la rumeur et même les notables du pays aiment à raconter une belle sornette pour plaire aux voyageurs, aux rêveurs et aux discoureurs. La fable est si parfaite qu'elle passe pour véridique. Je devine bien aux nez pincés et aux regards tords de ceux qui connaissent la légende que je n'ai nul espoir de vous en faire changer d'avis.

Pourtant je ne serais pas vrai marinier si je venais ici vous tenir grosse menterie. Si nous naviguons sur des bateaux à fond plat, c'est que nous avons la profondeur au fond du cœur. Jamais, je n'accepterai que l'on puisse montrer du doigt notre Loire. L'histoire a beau être belle, elle est pure invention de vilains traines lattes, arcandiers notoires, marins restés à quais, fripons et gredins de trop basses lignées.

Je devine à votre étonnement que je vous embrouille avec mes propos liminaires, que je n'avance pas assez vite en besogne et que vous allez bientôt perdre patience. Il est grand temps de vous rafraîchir la souvenance pour peu qu'il se trouve ici encore pauvre diable à ne pas savoir le mensonge qu'on nous sert trompeusement pour vrai.

Le vinaigre d'Orléans serait, voudrait-on vous faire croire, un don du soleil et des caprices de la Loire. Pour le soleil, je veux bien qu'on lui accorde un petit rôle ! Quant à la Loire, elle n'est certes pas capricieuse, tenez-le vous pour dit une bonne fois pour toute, mais encore, elle n'a en jamais, au grand jamais trempé dans cette lamentable affaire.

Des esprits peu avisés prétendent donc, nous finissons par y arriver, que le grand commerce de vin qui avait lieu sur le fleuve, avait pour plaque tournante la place d'Orléans. D'amont ou bien d'aval, nos chaland débordaient de barriques qui s'en allaient trouver gosiers à leur convenance. De Bourgogne ou d'Anjou, des vins de Cléry ou bien du Forez, des côtes Roannaises et des vins du Berry se donnaient le mot ou bien le pot pour venir parler métier sur les quais d'ici.

Là, il faut admettre que la chose est vraie et que jamais on ne vit plus belle collection de barriques ou de muids, se serrer les foudres en si bonne compagnie. Mais, nos menteurs à touristes affirment que parfois, la joyeuse troupe avinée perdait toute contenance quand les eaux de la Loire venaient à manquer. Pour peu que le soleil se mit de la partie , alors les vins de tous les coins de France tournaient d'œil en notre bon pays.

De qui se moque-t-on à nos servir cette fable ? Les marchands de vin sont gens avisés bien plus qu'avinés. Ils connaissaient le métier et ne se seraient jamais hasardés à livrer leur précieux breuvage en période de basses eaux. Nous étions en une époque où le commerce n'allait pas à flux tendu, les commerçants et les clients savaient encore prendre leurs précautions, ne se laissaient jamais surprendre par une rupture de stock.

Personne dans tout le pays n'aurait eu la folie de livrer du vin au moment ou menaçait l'étiage. Même les buveurs de Bacou avaient encore assez de tête pour ne pas commettre pareil hérésie. Si quelque chose devait tourner, ce n'était certainement pas le vin en barrique ! Le grand exode des fûts ne se faisait pas en été, la chose est avérée et pourtant la fable continue de tailler sa route sur cette stupidité …

Laissons-là ce triste mensonge. Nous savons, nous la pitoyable vérité. Nous vous la livrerons si vous nous baillez quelques verres à boire avant que le vin ne réclame sa mère.

Le secret que depuis des lustres, les gens d'Orléans cherchent à ne pas dévoiler, explique qu'ils avaient quelques forfaits sur la conscience et pratique inavouable qu'il fallait garder dans les brouillards de la Loire. Je ne sais, maintenant que vous m'avez payé à boire, si je dois, briser le pacte de silence que depuis toujours, les orléanais ont scellé.

Je me suis trop avancé, le vin est tiré, il me faudra le boire. Ne m'en gardez pas rigueur, la vérité est moins belle que la légende. C'est souvent le cas, il ne faut pas s'en étonner ! Il y avait en ce temps là sur le quai du Châtelet, du Poids du Roy et du Fort Alleume une troupe de malandrins qui imposait sa loi par de vilains expédients.

S'inspirant des pratiques qui ont toujours porté leurs fruits, ils imposaient une dime à tout le trafic qui passait dans leur zone d'influence. Personne n'échappait au racket de ces vilains. Chaque tonneau se voyait prélevé d'un seau, une taxe au vin affrété, la célèbre TVA qui, plus tard, donna bien des idées à d'autres bandits de la même espèce.

L'affaire était rondement menée. Les fûts décalottés, les seaux plongeaient bien vite dans les barriques et s'en allaient plus promptement encore se réfugier dans quelques caves secrètes de la basse ville. Les lascars n'étaient pas très avisés en matière d'œnologie. Ils ne se préoccupaient pas de provenance des fûts ponctionnés. Il y avait dans leur caverne un joli mélange de crus et de qualités, de vins de garde ou de soif, de piquettes comme de breuvages de fort bonne tenue.

Ils n'en avaient cure, ils avaient une gourmandise telle que beaucoup de seaux n'arrivaient pas pleins dans leur repère. Ils mettaient ce qui restait, en vrac, dans de grandes cuves qu'ils n'arrivaient pas à vider. Quand les convoyages venaient à cesser à l'approche de l'été, ils avaient toujours immense réserve pour passer la soif des grandes chaleurs..

Et c'est là que le soleil fit son effet un été plus chaud que les autres affirment les uns, quand d'autres prétendent qu'un des chalands brigandé était un transport de vinaigre de Dijon. Toujours est-il que dans les immenses foudres, se fit une jolie alchimie. Tout le vin tourna et devint tellement vinaigre que même ces bandits ne pouvaient plus y tremper les lèvres.

Un homme avisé trouva alors l'occasion de se lancer dans un nouveau négoce. Il acheta le stock pour un poignée de cerises et de là est né le célèbre vinaigre Des Seaux ! Le quartier s'en fit même une spécialité et le sieur adopta cet étrange patronyme pour continuer un commerce qui semblait profitable.

Voilà, vous savez tout. Orléans doit sa réputation à une bande de brigands. Des maraudeurs des quais qui ne valaient pas tripette. La fable éclipsa la peu glorieuse réalité. Si vous préférez oublier ce que vous venez d'entendre, je ne vous en tiendrai nullement rigueur. Buvons un verre et taisons ce qui ne doit pas être répété.

Vinaigrement vôtre.

Peintures de

Joseph Mallord William Turner

 

 

 



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