vendredi 30 août 2019 - par Oulan Bator

Note de lecture – The Valley, une histoire politique de la Silicon Valley – Fabien Benoit

Au début de ce livre, Fabien BENOIT présente l'université Standford comme étant le fondement de ce qui allait devenir la Silicon Valley. Sans elle, rien n'était possible, et l'université rivalisera avec ses homologues de la Côte Est américaine. Standford devenant, au long du 20ème s, le centre incubateur des technologies militaires électroniques.

                                

Cette université, d'après Fabien Benoit, a été marquée par ses fondateurs en un sens élitiste et inégalitaire, et se proposait d'emblée l'amélioration de l'espèce humaine comme un objectif. Ce qui était vrai de Standford l'est de la Silicon Valley, pour Fabien Benoit. Ce dernier cite, notamment, Frédéric Terman, eugéniste raciste, qui aspirait à constituer une classe héréditaire d'individus intelligents orientant le reste du monde et qui fût un fondateur de Standford. Il insiste, d'autre part, sur William Shockley, également eugéniste, qui préconisait la stérilisation en cas de QI inférieur à 100.

Unanimement détesté, Shockley verra ses élèves former un groupe indépendant, qu'Arthur Rock financera, et qui, avec Robert Noyce à leur tête, inventeront le transistor bipolaire, utiliseront le silicium, ce qui rendra possible la micro informatique, et la Silicon Valley.

Cet essai met en évidence les axes idéologico-techniques qui ont fait de la Silicon Valley un centre d'influence modifiant notre histoire.

1. Fabien Benoit retrace l'apparition progressive de l'ordinateur domestique. Il en mentionne les initiateurs, Ed Roberts (Altair), Bill Gates, Paul Allen (intuition d'une industrialisation du logiciel).

2. le projet Arpanet deviendra Internet. A noter que l'esprit de cette entreprise n'est pas uniquement militaire. L'esprit des hackers lui est associé. On peut le constater par le mode d'organisation de la société qu'il engendre.

3. Par ailleurs, sur un plan plus idéologique, Fabien Benoit relate brièvement le mouvement qui conduira à l'intelligence artificielle. Il évoque ces grands initiateurs : Marvin Minsky, John McCarthy – père de l'IA - Douglas Engelbart.

Ce mouvement souhaitant mettre en œuvre la symbiose homme-machine.

4. Sous un angle plus philosophique, Fabien Benoit insiste sur le libertarianisme, qu'il distingue du libertarisme, en ce qu'il accepte l'économie de marché. Centrale, dans ce mouvement de pensée, la philosophe Ayn Rand dont l'auteur estime qu'elle eut « une influence colossale ». D'après elle, liberté individuelle et démocratie sont non compatibles. Elle défend « l'individualisme comme une nouvelle foi ».

Il en cite un passage :

« Ma philosophie par essence est le concept d'homme en tant qu'être héroïque avec son propre bonheur comme objectif moral de sa vie, avec l'accomplissement productif comme sa plus noble activité et la raison son seul absolu ». On croirait, en fait, entendre Macron. Et cela précise ce notre président entend par héros, lui qui nous a souvent dit que la société française en avait besoin, et citant pour cela Johnny Halliday.

Ayn Rand a inventé le "capitalisme des mythes".

 

D'après Fabien Benoit, la Seasteading institute – dont le fondateur est Peter Thiel, créateur de Paypal – manifeste bien les effets réels de la politique de la Silicon Valley. Cette fondation est en effet à l'origine de ce projet d'îles flottantes en Polynésie Française. Il concrétise bien les aspirations anti-étatique et de séparatisme social de la Valley (il faut préciser que ce projet semble dysfonctionner, et qu'il paraît connaître des difficultés à se financer).

Sur un plan philosophique, le transhumanisme récapitule en lui la marque eugéniste de Standford évoquée plus haut, assume la symbiose homme machine dont rêvaient les fondateurs de l'IA, accentue les capacités individualistes des libertariens, bref, promeut le changement du monde, et de l'homme, de manière effective.

Ces conceptions philosophiques ne sont pas à la périphérie mais au cœur de la Silicon Valley. L'université de la singularité (Peter Diamandis et Ray Kurzweil) est installée sur le campus de la NASA depuis 2008.

La singularité technologique est une nouvelle religion. Le point Goodwin de tout ce beau monde, d'après Fabien Benoit : changer le monde, marché global, disruption ; voilà la doxa.

 

Commentaire de l'ouvrage.

Qui veut trop embrasser mal étreint. L'ouvrage est sérieux, intéressant, mais n'approfondit pas assez, et donne des arguments qui ne sont pas assez étayés.

Par exemple, dès le début, il souligne que les fondateurs de Standford étaient eugénistes. Ok. Mais peut-on dire que cette marque était autre chose qu'une disposition temporaire ? N'était-ce pas le résultat du ségrégationnisme américain ? Je crois que l'on peut considérer que le transhumanisme conserve cette marque eugéniste. Mais le lien n'est pas étudié par Fabien Benoit.

D'autre part, le livre insiste trop sur l'histoire technique de la Silicon Valley alors qu'il s'intitule « histoire politique ». Un léger hors sujet donc. Cela m'aurait intéressé de connaître les effets politiques de la Silicon Valley à Washington, par exemple. Et la manière dont elle influe sur la politique extérieure, et intérieure, des Etats-Unis.

 

Enfin, il est clair que quelque chose se cherche dans la connexion permanente de l'homme à la machine. Que quelque chose se cherche dans l'implant. Ce Graal, ne plus mourir, Ray Kurzweil – directeur de l’ingénierie chez Google – le recherche. Mais Fabien Benoit ne développe pas ce point. Il se contente de l'esquisser. Pour autant, la question se pose, si l'un des solutions à notre mortalité passait par le transfert de notre conscience en une machine, est-ce que Google, pour lequel Kurzweil travaille, collecte les données de ses utilisateurs afin de fabriquer une machine susceptible de recevoir les éléments venus de notre cerveau ? A mon avis, oui, mais ce point n'est pas approfondi par Fabien Benoit.



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