mercredi 7 octobre 2020 - par C’est Nabum

Notre vie en rade

JPEG

Au bistrot de l’amer.

Ils ont longtemps symbolisé notre douce et belle France même si parfois, quelques-uns se perdaient sur le zinc, allaient de naufrages en naufrages au cours de bordées qui ne s’achevaient que le nez dans le ruisseau. Ils furent notre refuge quand l’adolescence nous donna des ailes et des envies d’ailleurs. Nous y avons découvert cette liberté que donne le vent dans les voiles et l’insouciance de quelques verres grisants.

Ils furent encore nos ports d’attache pour donner des rendez-vous, prévoir une expédition festive, espérer une conquête ou vider notre amertume d’être une fois encore restés sur le bord du quai. Pour noyer notre déception, le flipper ou le baby-foot acceptaient d’encaisser nos frustrations de jeunes loups qui n’avions pas encore découvert la haute mer.

Nous y découvrîmes des musiques qui ne passaient pas sur les radios qu’écoutaient nos parents. Une drôle de machine avalait nos pièces pour dérouler bien trop vite un morceau venu d’ailleurs. Nous voyagions ainsi entre godets, rêveries et succès de l’époque. Notre argent de poche y passait mais qu’importe nous avions tous une Laurette bienveillante qui finissait par nous offrir sa tournée.

Puis, en grandissant certains y prirent des habitudes. Le petit café du matin pour parcourir rapidement le journal, retrouver des habitués qui n’auraient jamais été dans le cercle de nos relations. C’était alors un merveilleux mélange social à l’exception des bourgeois qui n’avaient nulle envie de se mêler à la pègre. L’apéro de fin de soirée pour d’autres qui progressivement allaient sombrer dans une accoutumance fatale. Là encore, la convivialité nous donnait bonne conscience et des parfums de grand large.

Puis les rades se firent si embrumés de vapeurs de nicotine que certains cessèrent d’y mettre les pieds jusqu’à ce qu’une loi judicieuse pousse les fumeurs à joncher nos trottoirs de leurs mégots. L’air redevenu respirable, le troquet retrouva grâce à nos poumons. Nous avions vieilli et malgré tout, il n’était pas désagréable d’oublier le temps d’une soirée les enfants pour retrouver nos folles espérances.

Nous pensions que plus rien n’allait désormais nous priver de cette bulle magnifique, cet estanquet magique qui nous plaçait hors de la gravité quotidienne. C’était sans compter sur la terrible intrusion de l’écran de télévision, diffusant en boucle des âneries, accaparant les regards pour faire des consommateurs des êtres disposés à gober n’importe quelle réclame. Le bar brassait désormais la réclame et l’actualité pour échapper au risque de nous y voir refaire le monde.

D’autres imaginèrent alors que ce risque demeurait trop présent malgré la présence entêtante des loteries en boucle, des images insipides et angoissantes. Ils décrétèrent la fermeture d’espace de liberté et pour compléter le tableau, bouclèrent aussi les salles de spectacles et tous les lieux de culture. Pour notre santé prétendaient-ils, il nous fallait rester chez nous, cloîtrés entre quatre murs avec interdiction absolue de courir la forêt ou les bords de la rivière.

Moutons dociles, enfermés dans nos bergeries, certains s’imaginèrent retrouver l’ambiance des troquets en se donnant rendez-vous, un verre à la main, derrière un écran et une caméra vidéo. Ils découvrirent après la dissipation des vapeurs d’alcool que rien ne vaut le contact réel, le regard les yeux dans les yeux avec un inconnu ou un ami pour des discussions à bâtons rompus.

D’autres le comprirent aussi et pour parer ce désir d’émancipation sortirent cette fois les matraques et les masques pour interdire ou dénaturer nos débits de boisson, notre espace d’émancipation. Une nation sans ses rades, troquets, bars, brasseries et autres estaminets radieux est condamnée à la neurasthénie et à supporter longtemps encore l’insupportable pouvoir en marche au pas de l’oie qu’on gave.

Tavernement vôtre

JPEG



25 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 11:19

    Le radeau de la méduse. Cela me rappelle cette chanson d’Adamo en 2003 : https://www.youtube.com/watch?v=r79jEkEaF9Q


  • Adèle Coupechoux 7 octobre 2020 11:19

    Et oui, le café trop brun est devenu bien amer ces derniers temps.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 11:26
    Quelque part dans la ville
    Il y a un endroit
    Qui ressemble à une île
    Où la nuit fait sa loi
    On y traîne son spleen
    À l’envers des décors
    Dans la folie divine
    Des chants de Maldoror
    C’est là que je pose ma croix
    Et le noir que je broie
    Accoudé au comptoir
    Du bar le Zanzibar
    Et comme un escargot
    Mon passé sur le dos
    Je largue les amarres
    Je pars... pour Zanzibar
    Je pars... pour Zanzibar
    Je pars... pour Zanzibar

    • Fergus Fergus 7 octobre 2020 11:52

      Bonjour, Mélusine ou la Robe de Saphir.

      A propos des « Chants de Maldoror », j’ai rencontré il y a bien longtemps, assis sur un banc du jardin de la Place des Vosges, un vieux clochard au visage usé et aux vêtements élimés. Cet homme âgé avait pourtant le regard vif et prenait plaisir à interpeller les passants, histoire de parler quelques instants de littérature. Sa passion : ces fameux Chants. Outre son érudition sur le sujet, cet homme disait de l’auteur à peu près ceci : « J’ai survécu à la tuberculose, Lautréamont en est mort. Cela nous a rapprochés ». 
      Merci à vous de m’avoir remis ce souvenir en tête. 


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 13:23

      @Fergus ou cela me ramène aussi à un merveilleux souvenir. Nous avions ainsi qu’un groupe d’amis un superbe chalet mi en pierre, mi en bois à VIERVES en Belgique. Autant dire en pleine campagne. Et quelle fut notre bonheur et surprise de tomber en pleine campagne au milieu des vaches, une librairie qui s’appelait : les champs de Maldoror. Des psychologue qui avaient fuit la ville pour ouvrir un librairie et vendre du foie gras. Hélas, en 1999, leur fils fut tué par un chauffard alcoolique au bord de la route. Les : lumières, et des fin ou deuils.


    • C'est Nabum C’est Nabum 7 octobre 2020 14:10

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      Spleen toujours


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 11:38

    Jonas chassé du ventre de la baleine ou d’un bar retourne à NINIVE. 


  • Fergus Fergus 7 octobre 2020 11:38

    Bonjour, C’est Nabum

    Eh oui, à de rares exceptions près, les bistrots ne sont plus ce qu’ils ont été : des lieux où se côtoyaient les jeunes au baby-foot ou au flipper et les vieux au comptoir ou attablés dans un coin de salle devant un pastis. 

    Il reste encore quelques établissements modestes « à l’ancienne » ça et là au coeur des terroirs de ce que l’on nomme la « France profonde ». Mais on n’y voit plus de jeunes, et ils ferment les uns après les autres, condamnés par l’âge avancé des tenanciers.

    Si cela vous tente, j’ai rédigé naguère un article qui décrit l’un de ces bistrots d’autrefois, quelque part en Auvergne : 1965 : un dimanche au village.


  • juluch juluch 7 octobre 2020 12:06

    Moi j’en avait à la Belle de Mai sur Marseille dans les années 80.

    On s’ y retrouve pour jouer au flipper et aux machines....le bon temps des peugeots 103 !


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 13:25

    Lisez Annick de Souzenelle. Elle parle très bien du mythe de Jonas ;


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 13:30

    Belle synchronicité. Une video qui vient du ciel en ce jour de deuil : mort d’un forgeron DIVIN : GUY FRIEDLINGSTEIN. 7 octobre 1983 1983. https://www.youtube.com/watch?v=vtBG6TEAeVA


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2020 13:52

    Dans la vidéo ci-dessus, il est question de cette belle mutation : BAR AB BAS


  • Loatse Loatse 7 octobre 2020 14:37

    Le bistrot qui m’a le plus marqué ne paye pas de mine extérieurement, mais dedans c’est.. Woodstock !

    Tenu par un ex baba cool, celui ci organise tous les ans des concours de billard.. on vient d’angleterre et d’écosse pour y participer...

    Cerise sur le gateau la bière y est délicieuse... l’arrière salle est encore plus surprenante.. mais je n’en dirai pas plus, c’est voyage dans le temps garanti..

    Ce bistrot se trouve sur la route entre Brecey et saint malo... on y met encore des francs (que donnent le patron) pour jouer au babyfoot !


  • mosel 8 octobre 2020 08:18

    ma mere avait un cafe bar dans les annees 60 avec un jeu de quilles et faisait bal certains samedi la biere coulait a flots les gendarmes avait le privilege de la cuisine le retour en estafette etait vraiment bizarre une autre epoque.


  • Le421... Refuznik !! Le421 8 octobre 2020 10:34

    Oui, mais bon.

    Vu que c’est pour notre SÉCURITÉ (comme ils disent !!), c’est tout bon.

    Les moutons bêlent et regardent Cnews à la télé.

    Je pense que si j’étais jeune (à condition de lever la tête du smartphone !!), ça « chierait des bulles » comme on dit par ici...

    Mais l’espoir de la 5G va tout arranger.

    Mmmmmmmmm’béciles !!


    • C'est Nabum C’est Nabum 8 octobre 2020 12:27

      @Le421

      Je ne regarde jamais les actualités télévisées
      C’est une mesure d’hygiène mentale

      La 5 G sera là pour passer de l’état de mouton à celui d’esclave
      Un grand pas vers l’humanité


  • mosel 8 octobre 2020 18:29

    bonjour nabum a propos du covid je ne sais pas faire le lien d’un article aussi dirigez vous sur le quotidien luxembourgeois L’ESSENTIEL les medecins relate leurs soins prodigues a l’hydroxychloroquine edifiant


    • C'est Nabum C’est Nabum 8 octobre 2020 19:14

      @mosel

      Je suis édifié depuis le début de cette affaire

      Vous savez, la vérité est enfouie sous des tonnes de mensonges
      J’irai voir


Réagir