Entrée Porte 27, Fosse debout, samedi 20 septembre 2008, Suprême NTM, le plus grand groupe de rap français, est entre les murs de Bercy* : du gros son qui tue.
A la limite par moments, faut bien le dire, d’un soundsystem proche de la bouillie sonore, notamment sur le morceau mélancolique Laisse pas traîner ton fils (1998) dont la mélodie entêtante venait quelque peu se perdre dans la tuyauterie du vaisseau spatial qu’est le POPB. Pour autant, sans nul doute possible, et c’est le plus important pour du live, l’émotion était là et l’énergie aussi. Ayant eu l’occasion d’avoir vu et écouté le phénomène « Joey Starr le Jaguar » à l’Olympia il y a plus d’un an, je craignais deux choses : que Bercy soit trop grand pour du hip-hop et que Kool Shen se fasse bouffer par l’énorme présence freestyle sur scène de Joey le corsaire - gare au jaguar, quoi ! Or, il n’en est rien. Bien sûr, au départ, Nique Ta Mère à Bercy, ça fait un peu musée des antiquités, reconstitution « comme si on y était, vingt ans auparavant », ainsi on peut s’amuser de tout le merchandising – tee-shirts, posters, affiches, briquets estampillés NTM - qui va avec et se dire que l’esprit de rébellion initial du rap est bien loin, on peut aussi trouver quelque peu risible de voir NTM faire chanter à une foule de bobos parqués à Bercy (vu le prix des places, 45 à 99 €, ce n’était pas un public très métissé et pas tellement Seine-Saint-Denis Style) des « Nique la Police » à tue-tête ! Pour autant, en dépassant ces quelques scories, il faut se rendre à l’évidence, les anciens scores de NTM cognent toujours autant dans les oreilles et n’ont en rien perdu de leur force d’attraction et de leur (urgente) actualité, je pense à des hits imparables comme Ma Benz, Police, Tout n’est pas si facile et autres Qu’est-ce qu’on attend. Ouais, La Fièvre du samedi soir était bien là, du côté obscur de la force punchy. Le corps sec et nerveux de Kool Shen, couplé à son timbre de prédicateur charismatique, offre un contrepoint bienvenu à la voix de gorgone du bondissant Joey Starr qui joue fort bien son rôle de mauvais garçon et d’« ogre du 9-3 » ruant dans les brancards, style « Avec ma gueule de métèque, mon œil de prédateur/ En phase avec son temps, j’ai poussé sans tuteur/ Poussé comme une mauvaise herbe. » (Métèque, 2006).
Et puis surtout au-delà du plaisir ressenti du fait de (re)voir ces deux frères ennemis, véritables bêtes de scène et « athlètes affectifs », de nouveau en scène pour plus de deux heures, c’était aussi assez émouvant de voir à quel point ils voulaient rendre hommage à la culture rap & hip-hop. Il y avait du monde sur la plate-forme de Bercy, truffée d’écrans vidéo et de cases rappelant L’Académie des 9, rien que ça ! On était bien plongés dans les eighties et suivantes ! En quelque sorte, on avait l’autre soir une espèce de Star ac du hip-hop, bref une Star Académie des 9-3 ! : on avait un « ambianceur » gros calibre (Joey Starr, avec son Carnival, ses « Faites du bruuuuuuuuuit ! » et « Vous avez de l’arthrite ou quoi ? », ferait un GO d’enfer !), on avait aussi les DJ James et Naughty J (en remplacement des Daft Punk ?), des choristes sexy, des danseuses en bikini torrides, et une armada d’invités de prestige (Sefyu, Lord Kossity, Zoxea des Sages Poètes De La Rue, Busta Flex, Papalu, Natty, Jeff le Nerf, les danseurs d’Aktuel Force et on en passe… passe le oinj !) : bref, tout ce p’tit monde-là, bariolé à souhait, fêtait tambour battant la culture mean streets du hip-hop. NTM, en affirmant haut et fort sa volonté de faire un show à l’américaine, s’est montré généreux parce qu’une fois encore, bien cool (And The Gang), Kool & Joey se sont faits, via leur « talk-show » en haut débit, les haut-parleurs du « ghetto » des banlieues et de la marge, sur fond de « Que vive le 9-3 ! » : certes, ce soir-là, ils n’ont fait que de l’entertainment et n’ont pas cherché à conscientiser les foules : aucune pique frontale contre le président Sarkozy hormis un « Carla Bruni » de prononcé, suivi quelque temps après d’un « tasspé » à l’égard d’une certaine… Edvige - on les a connus plus agressifs tout de même !
On le sait, ils sont venus à Bercy, au-delà des thunes à la clé (faut le préciser aussi, ne soyons pas naïfs !), pour faire parler énergiquement et poétiquement la RUE, et ça, ça marchait vraiment bien : on pensait, via Aktuel Force, aux origines du hip-hop, au breakdance, au smurf et à Sidney (émission télé culte des 80’s), on pensait également, grâce aux filles métissées ravissantes et aux tee-shirts bling-bling (argentés, dorés) des rappeurs, au « rap de gangster » hardcore façon Scarface (les NTM pourraient d’ailleurs passer pour des American boys, on n’a qu’eux en France pour entrer en compet’ avec le rap outre-Atlantique), on faisait aussi un petit détour par le funk et le reggae, via des musiciens anglo-jamaïcains de talent et un mur d’écrans vidéos saturé de feuilles de marijuana comme si l’on voulait nous téléporter dans un Amsterdam haut en couleurs hallucinogènes. Mais, ce que j’ai vraiment préféré, à coup sûr, c’est, à un moment donné, l’aspect cinéma et clip vidéo du concert. Pendant l’intro d’outre-tombe de Paris sous les bombes (1998), la salle est plongée dans le noir, on voit sur écrans un Paris nocturne illuminé, un métro parisien s’arrête à quai et, alors là, au moment où les portes s’ouvrent, on voit arriver sur scène des taggueurs encapuchés (de la bombe de graffitis, bébé !) suivis de graffitis vintage qui défilent derrière eux sur l’écran saturé - RER, 9/3, HLM, POPB, NTM… CQFD. Ce moment est épatant, on salue au passage cette culture transversale qu’est le rap (n’oublions pas qu’à la base NTM est un groupe de « Graffiti Writers », dont l’esprit des grafs sauvages est bien connu de nous tous, cf. photo), puis surtout, on pense, question septième art, aux clips choraux eighties de Michael Jackson ainsi qu’aux bad boys des Guerriers de la nuit, de Rusty James et autres Wassup Rockers, et l’on se dit alors que toute cette famille de « pieds nickelés », qui se donne à fond ce soir-là, fait bel et bien partie, via ses outrances, ses cuts, ses syncopes, ses entorses à la langue, son imagerie pirate et sa comédie urbaine, de notre patrimoine et culture audiovisuels : C’est ça la France aussi, et entre autres, pourrait chanter un Marc Lavoine inspiré. In fine, laissons le mot de la fin à Amélie Nothomb, rédac’chef de Métro (n° 1 437, 18 sept. 2008, p. 3) : « [NTM] Ce n’est pas du tout ma came, mais je suis fascinée comme tout le monde par le phénomène. Joey Starr est un violent, il frappe des animaux, des femmes et, pourtant, on continue à l’adorer. » Et Joey, mazette, Pose ton Gun et Check The Flow, yo !
* NTM (formé en 1988, dissout en 1998, puis reformé en 2008) était en concert à Paris/POPB les 18, 19, 20, 22 et 23 septembre, puis est en tournée jusqu’à fin octobre : Genève (2 octobre), Marseille (3 octobre), Strasbourg (9 octobre), Bruxelles (11 octobre), Bordeaux (16 octobre), Toulouse (17 octobre), Montpellier (18 octobre), Lyon (23 octobre) et Lille (24 octobre). L’image principale de l’article est un détail de l’œuvre signée Villeglé, NTM-Boulevard Godard, Bordeaux, 8 juillet 1998, actuellement exposée à Beaubourg dans l’exposition Jacques Villeglé, La Comédie urbaine (17 septembre 2008-5 janvier 2009)