mercredi 26 août 2009 - par Laureline Amanieux

Paul Ricoeur et la promesse tenue

En 2009, trois livres du philosophe Paul Ricoeur (1913-2005) ont été republiés ainsi qu’un très utile guide pratique le "Vocabulaire de Paul Ricoeur". J’existe parce que je suis capable de tenir une promesse. C’est la théorie originale de Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre, publié originellement en 1996. De notre enfance à notre vie d’adulte, nous changeons : notre caractère évolue, nos habitudes aussi, nos goûts alimentaires, nos opinions politiques et morales souvent. On peut même changer de visage avec la chirurgie esthétique. On peut tout changer tout le temps ou presque. Mais comment faire dans ces conditions pour maintenir quelque chose de juste et de vrai ? Ricoeur pose cette question : « Qui suis-je moi si versatile pour que néanmoins tu comptes sur moi ? ». Ce qui maintient mon identité intacte dans le temps, c’est donner ma parole par la promesse, car « dire « je promets » c’est promettre effectivement, c’est-à-dire être capable de s’engager à faire plus tard et (…) à faire pour autrui ce que je dis maintenant que je ferai ». Ou encore : « c’est pour la personne la manière telle de se comporter qu’autrui peut compter sur elle ». En dépit du changement, je suis capable de tenir ma promesse plusieurs jours, années ou toute une vie.
 
Pour illustrer la pensée de Ricoeur, je prendrai un exemple dans notre littérature médiévale, chez Chrétien de Troyes. Dans Le chevalier au lion, le héros principal, Yvain, commet une erreur en brisant une promesse, ce qui va lui faire perdre son identité  : il est marié à la dame de son cœur qu’il a conquis de haute lutte, il est parti avec ses compagnons de tournois en tournois mais il a promis à son épouse de revenir à une date précise. Il oublie le temps. Sa femme lui envoie un émissaire pour lui annoncer que leur amour est terminé. En ne tenant pas promesse, il a perdu aussi son honneur d’homme et de chevalier, et sombre dans la folie. 

En brisant le lien, il a coupé une connexion vitale au centre même de son cerveau : “Il a peut-être éprouvé une grande douleur/ qui l’oblige à se comporter ainsi,/ car on peut facilement devenir fou de chagrin”. Yvain s’enfonce dans la forêt, vit comme un animal sauvage des années durant. Il ne peut plus suivre la source de sa Joie, il s’en est privé : “Il aimerait mieux enrager vif/ que de ne pas pouvoir se venger de lui-même qui s’est retiré tout sentiment de joie”.

Pourtant, même au plus profond de la folie et de la forêt, Yvain n’est pas seul. Il rencontre l’aide d’alliés compatissants. Un ermite prend pitié de lui, le nourrit, lui rend des forces. Puis, une demoiselle secourable éprouve de la compassion pour lui quand elle le reconnaît. Elle et sa servante sauvent Yvain en lui appliquant sur tout son corps nu un onguent magique qui lui rend la raison. Yvain sort tout d’un coup de sa folie : “je me suis retrouvé dans ce bosquet,/ je ne sais pas par quelle mauvaise fortune”.
 
Yvain est sorti de sa folie. Il a quitté la forêt. D’abord il remercie la demoiselle secourable en l’aidant à vaincre un ennemi, puis reconquiert l’honneur et l’amour dont il s’est lui-même privé. Lorsqu’il retrouvera sa femme et qu’elle acceptera de lui redonner sa place d’amoureux et d’époux, il formule cette fois une promesse qu’il est certain de toujours tenir. Yvain, c’est la puissance de re-bâtir son identité et d’acquérir la capacité de tenir une promesse.
 
On peut écouter le philosophe Paul Ricoeur pour un court extrait ici alors qu’il parle de la mort et de l’éternité :

 

 

 
Et sur son parcours de philosophe ici :

 



Laureline Amanieux. 



6 réactions


  • Daniel Topper 26 août 2009 10:57

    Merci pour ce bel article qui devrait contribuer à rappeler au public qu’on reconnaît davantage un immense penseur à sa discrétion qu’à un engagement rageur qui ne peut que confiner au bruit et à l’idiotie (Cfr. Les gesticulations séniles de Badiou ou les errances graphomaniaques d’un Derrida et toute sa bande...).


  • ZEN ZEN 26 août 2009 11:14

    Un grand philosophe à la pensée complexe et sans cesse en éveil, ouvert à tous les courants tout en restant lui-même
    Bien que ne partageant pas le noyau de sa foi protestante, j’ai grandement profité de sa pensée , en l’écoutant parfois à Nanterre,où il enseignait, et à travers ses écrits ,où il donnait à comprendre avec une pédagogie rare les pensées les plus difficiles.
    Ses cours sur Platon sont un modèle du genre.


  • fouadraiden fouadraiden 26 août 2009 19:50



     Une philosophie trop encombrée par le religieux , ou plutôt le christianisme culturel du croyant Ricoeur. au fond une oeuvre qui ne casse pas une seule patte au p’ti canard. 

    et il est faux de dire que cette pensée fut ouverte sur d’autres horizons, enfin qui peut considérer le freusdisme ou les courants lingusitiques comme des thèmes originaux à l’environnement de l’auteur ?

    qu’a dit Ricoeur de la pensée chinoise, de l’islam ou des Zoroastres ? absolument rien.

     A jeter. Pensée inutile.


    • Suldhrun Coyotin 27 août 2009 00:28

      La courtoisie medievale est issue du monde Arabe , Par Denis de Rougemont , 


      Vous , l oubliez fouadrainden , pensee tres utile assurement .
      L islam ?

      L alienation de la courtoisie en societe , et quoy dire d autre !!!



    • Daniel Topper 27 août 2009 11:03

      Donc une pensée inspirée par du religieux, le christianisme, est une pensée encombrée par elle-même, tandis qu’une pensée ouverte sur l’islam est a priori utile...

      A jeter. Pensée inutile.


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