mercredi 15 juillet 2015 - par Orélien Péréol

Pédagogies de l’échec

Pièce de Pierre Notte mise en scène d'Alain Timar avec Olivia Côte, Salim Kerniouche Théâtre des Halles 17h00

C'est vraiment une drôle de pièce que cette Pédagogies de l'échec. Elle emprunte à des genres hétérogènes et qui, d'habitude, ne se jouent pas dans les mêmes salles, n'accueillent pas le même public. En substance, elle emprunte au théâtre de boulevard, ou au café-théâtre (« vous suçotez votre stylo, la façon dont vous sucez votre stylo... c'est sale, c'est dégueulasse »), avec dedans des éléments qu'on pourrait dire appartenir à un théâtre de recherche, comme le caractère irréaliste et saugrenu de la situation de base : les immeubles se sont écroulés, sauf une petite plate-forme qui figure un bureau et qui penche de plus en plus jusqu'à devenir quasiment verticale. Avec ça, des trous dans l'écriture, qui sont des gouffres, des répétitions de mauvaises blagues plutôt du côté du vulgaire.

Pédagogies de l'échec traite du harcèlement au travail. Plutôt bien. On voit vraiment la supériorité institutionnelle du « supérieur hiérarchique » qui trouve que son subordonné fait tout mal avec une mauvaise foi invincible qui prend la forme et le ton de l'évidence, dans sa bouche. Par exemple, la cadre lâche, et c'est sans doute une erreur, que la fille de l'entreprise Lamain fréquente le fils du patron (ou quelque chose dans le genre) ; après une dispute où le texte est dit à toute vitesse, l'employé finit par dire : « Vous venez de me dire qu'Untelle fréquente avec Untel » _ et s'entend répondre (je « cite » tout cela en substance et de mémoire) « Ah, vous voyez que vous le savez, comment le savez-vous ? » genre « vous écoutez aux portes ? » Bien entendu, cette suggestion n'est pas dite du tout, et il serait bien maladroit pour l'employé d'avancer une telle hypothèse pour rétablir un peu de logique dans ce que dit sa supérieure.

Elle l'empêche d'aller aux toilettes. « C'est bien tôt, je trouve » Si bien qu'il fait pipi sur lui. Ils vont se retrouver en slip. Après tout, on trouve des situations ridicules dans ce genre chez Feydeau. Il y a tout un passage sur « au moins avoir le slip propre ». C'est assez long à chaque fois. Il y a même une moquerie sur le mot « répétitif »...

Un moment, on ne sait guère pourquoi, l'employé plante le stylo (un cadeau de mariage, il a peu servi. Elle le dit deux fois !) que lui a prêté sa supérieure dans sa cuisse. Long silence. « Han, vous avez planté mon stylo dans ma cuisse _ Oui j'ai planté votre stylo dans votre cuisse _ ça fait mal _ Ah oui ça fait mal... » Bon. C'est tout de même trop souvent comme ça. La supérieure fait pipi sur le haut de la scène, elle se contorsionne, finit par trouver une position convenable. Elle demande à son subordonné s'il a du papier. Des post-it. Deux fois aussi valent mieux qu'une, là aussi.

Les deux protagonistes font un drôle d'usage de leur situation rocambolesque, perchés qu'ils sont sur une plate-forme entourée de ruines au septième étage. Ils n'ont pas l'air de comprendre, ils discutent encore souvent comme s'ils étaient à leur tâche dans leur environnement ordinaire. Ce qu'ils voient et dont ils parlent ne les étonnent que modérément, comme s'ils avaient trouvé un nouveau papier-peint sans en avoir été prévenus. A aucun moment, ils ne réagissent à la situation : comment rentrer chez soi ? Où manger ? Où boire ? Que faire de son corps quand on n'a plus les aménagements invisibles qui nous le rendent le plus discret possible ? Il n'y a qu'uriner qui leur fait problème. C'est mystérieux comme l'attaque au stylo, qui joue un grand rôle dans le déroulé du spectacle.

Puis le plancher penche et ils s'accrochent comme ils peuvent. Là, ils bougent beaucoup (?), ils se touchent beaucoup, se pendent l'un à l'autre... Cette scène presqu'un mur est une belle invention théâtralement parlant, on peut objecter que pour jouer le déséquilibre et la lutte contre l'imminence de la chute, il vaut mieux ne pas y être soumis réellement. Ça fonctionne très bien, malgré l'objection.

Le désir monte. C'est la supérieure qui propose bien sûr ; l'institution, ses rapports hiérarchiques et la déclaration permanente que le subordonné n'est pas à la hauteur de sa tâche (les fameuses pédagogies de l'échec) s'estompent devant le danger d'être précipités dans le vide. Elle appelle cela le passage à l'acte, on est des humains après tout... Ça ne se fera pas, elle veut la place du dessus, lui aussi... Toute cette question de l'imprégnation de l'institution, de l'entreprise en nous, de la confusion des rôles qu'elle nous fait jouer, personnel-professionnel imbriqués, tissés, noués, cette question s'effleure et disparaît dans une blague de collégien (que les collégiens me pardonnent).

Les comédiens sont excellents, il n'y a pas à dire. Ils sauvent le spectacle.




Réagir