mercredi 27 juin 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Pierre Bellemare : une voix, une époque

« Tout a une voix, tout a une histoire. Les histoires se cachent partout. » (Theodore Roszak, professeur à l’Université de Californie, en 2007).



Il est assez compréhensible que le monde médiatique se soit penché sur le parcours de Pierre Bellemare, qui s’est éteint il y a un mois, le samedi 26 mai 2018 dans un hôpital de la région parisienne à l’âge de 88 ans (il est né le 21 octobre 1929) et qui a été enterré le jeudi 31 mai 2018 à l’église Saint-Roch de Paris. D’une part, les médias rendent toujours hommage à l’un des leurs, c’est d’autant plus normal que lorsque celui-ci est un vétéran, il a forcément formé ceux qui officient aujourd’hui. D’autre part, au-delà de ce monde assez nombriliste et autocongratulant des médias, ceux qui sont aujourd’hui aux manettes dans tous les domaines, politique, économique, culturel, etc. ont, si je donne une fourchette large, entre 40 et 60 ans et étaient donc enfants à l’époque où l’homme de la radio leur parlait.

C’est aussi le fait de toute personnalité célèbre, elle appartient à ceux qui la connaissent. L’exemple le plus frappant est Johnny Hallyday qui avait de véritables fanatiques. Mais c’est le cas aussi lorsque cette personnalité s’invite chez vous à la radio. Plus qu’à la télévision, la radio fait partie de la vie privée, voire intime, certains écoutent la radio jusqu’à leur salle de bains. La voix entre au plus profond de l’esprit et surtout si cet esprit est en pleine formation, aux temps où il est éponge, où il apprend, la voix est reconnaissable, est appropriée par ses auditeurs les plus jeunes.

La radio était un peu comme l’automobile à une certaine (lointaine) époque. Il y avait fidélité familiale dans les marques. Certaines familles étaient Renault, d’autres Citroën, d’autres encore Peugeot. Certaines familles étaient France Inter, d’autres RTL, la mienne était Europe 1.

Donc, oui, comme beaucoup d’autres de mes contemporains, j’ai été biberonné pendant l’enfance à ces "histoires extraordinaires" (au titre qui changeait au fil des époques) le samedi de 13 heures 30 (après le journal) jusqu’au flash de 14 heures. Là, le silence s’établissait au dessert. La page de publicité du milieu permettait de débarrasser rapidement la table. Le suspens dramatique était haletant. La voix était rassurante, grave, douce, soulageante. Pas celle d’un médecin, mais celle d’un bonimenteur. La confiance s’établissait. On savait qu’on ne l’écouterait pas pour rien. Qu’il y aurait le fin mot de l’histoire.

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Pour les souvenirs qu’il me reste, cela devait être plutôt des histoires policières. Je n’ai aucun souvenir de glauque mais quand on parle de crimes, de meurtres, de viol, c’est forcément glauque. C’était à une heure de grande écoute pour toute la famille. Je n’ai jamais ressenti une gêne dans le fond de ces histoires. Pourquoi ? L’enfant est-il à ce point protégé qu’il manque trop d’imagination sur l’horreur de certains faits-divers ? Ou y avait-il la certitude (fausse puisque ces histoires étaient dites vraies) que tout cela n’était que fiction et imaginaire, ce qui permet d’avaler beaucoup de films et de romans pas forcément réjouissants ?

Cela me fait d’ailleurs dire que cette période (Pierre Bellemare a raconté ses histoires à partir des années 1960 et quasiment jusqu’à sa mort, car il a continué sur des chaînes de la TNT) n’était pas plus protégée qu’aujourd’hui des horreurs quotidiennes. En effet, si vous mettez la télévision aujourd’hui, vous avez plus d’une chance sur deux pour tomber dans du glauque, soit un documentaire sur des crimes (ou sur les urgences, ou sur des opérations chez un vétérinaire), soit une série policière ou assimilée. Les histoires de Pierre Bellemare, en cela, n’étaient pas plus protectrices que ce qu’on voit ou entend maintenant. Pas plus que les contes pour enfants.

Mais elles étaient dites au moins de manière intelligente et attrayante. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Au fil des années, la voix est devenue donc une habitude, une intimité, ou plutôt, une familiarité. Il a été le grand-père que beaucoup auraient voulu avoir, celui qui raconte des histoires avec la bonne humeur. Car si, avec sa moustache (c’est peut-être la moustache la plus visible de tous les hommes de radio !) et ses sourcils fournis, il pouvait impressionner, l’œil malicieux s’entendait bien aussi, le sourire, la bonne humeur et finalement, la représentation d’un certain art de bien vivre.

Un excellent conteur, donc, ce Pierre Bellemare, ce qui en faisait aussi un excellent animateur d’émission. Sa voix était immédiatement autorité. On regardera avec une pointe d’étonnement cette fameuse émission de jeu télévisé "La Tête et les Jambes" où il questionnait le 25 avril 1970 le jeune Laurent Fabius qui, à 23 ans, était en train de faire son service militaire à Toulon avant d’intégrer l’ENA (quand il a été nommé à Matignon, elle a été rediffusée par extrait).









Du coup, on pouvait "utiliser" l’animateur aussi pour des opérations ponctuelles ou pour des actions humanitaires, ce qui fut le cas sur TF1 en 1981 pendant une courte saison juste avant le journal de 20 heures avec "Vous pouvez compter sur nous", une émission qui encourageait la solidarité entre téléspectateurs.

Les dernières vapeurs de la légende construite pendant l’enfance ont totalement disparu quand Pierre Bellemare s’est mis au Téléshopping (en 1988 sur TF1). Cela m’avait déçu que cette voix mythique fût le véhicule bassement matérialiste de la société de consommation. J’en voulais à une certaine vénalité qui s’exprimait comme les vendeurs de montres ou de mixeurs de fruits et légumes sur les marchés. L’animateur n’était plus l’intermédiaire entre une histoire et des auditeurs, mais entre un objet commercial et des consommateurs.

C’était lui qui avait exporté cette idée des États-Unis, le pays des innovations économiques. Il faut pourtant lui reconnaître, à Pierre Bellemare, que c’était une idée de génie pour les télévisions privées. Sur le principe, c’est plus que lassant car très répétitif au point que vous avez l’impression d’être pris pour un imbécile, mais c’était une idée visionnaire qui anticipait la survenue de l’Internet et du e-commerce, au même titre que La Redoute et Les 3 Suisses, avec la vente par correspondance, ont anticipé le principe repris et amplifié par Amazon.

Sa haute stature aurait pu lui ouvrir une carrière cinématographique qu’il n’a fait qu’effleurer. On peut retenir sa prestation comme directeur des services secrets dans le film "OSS 117 : Rio ne répond plus" (2009), réalisé par Michel Hazanavicius, même si dans ce film, il jouait surtout sa propre caricature.

Tant de panache dans l’art de parler, avec cet humour un brin britannique dans une bonhomie bien française du terroir (le terroir ne veut pas dire grand-chose mais appelle l’image adéquate), ne pouvait pas ne pas être remarqué et appelé par "Les Grosses Têtes" de Philippe Bouvard qui en fit l’un des "sociétaires" permanents entre 1992 et 2013, reprenant une activité sur RTL, la radio où il avait commencé en 1947.

Délaissant son baccalauréat pour se marier, ce fils de Pierre Bellemare, futur père de Pierre Bellemare (dans la famille, les fistons s’appellent tous Pierre !), a démarré sa carrière à un poste d’assistant technique et sa rencontre avec Jacques Antoine (1924-2012) fut déterminante puisque ce dernier, producteur de radio et télévision, lui donna sa chance, celle d’une émission de radio en 1950 puis d’un des premiers jeux télévisés français en 1954.

S’il a autant duré dans le monde de la radio et de la télévision (presque soixante-dix ans !), ce n’était pas seulement pour sa voix, c’était aussi parce qu’il était un professionnel consciencieux, très exigeant pour lui-même, qui répétait toutes ses émissions, qui faisait son boulot avec la minutie du bon horloger. Un artisan qui confine à l’artiste.


Une autre raison de sa longévité, ce fut aussi cette volonté de toujours innover ou d’importer les innovations de l’extérieur. J’ai évoqué le Téléshopping, mais on peut rajouter notamment le prompteur (en 1957), et aussi, le fait de faire participer le public dans les émissions.

C’est maintenant au Père-Lachaise qu’il continuera à conter…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (26 juin 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pierre Bellemare.
Jacques Antoine.
Bernard Pivot.
Michel Polac.
Alain Decaux.

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2 réactions


  • Loatse Loatse 27 juin 2018 15:34

    C’était un homme de télé, LUI.


    d’avoir été oublié en quelque sorte, mis en voie de garage alors qu’il avait encore tant à donner, il parait que c’est ce chagrin qui l’a tué...

    Pauvre Pierre.

  • CORH CORH 27 juin 2018 22:15

    Pierre Bellemare ? je n’ai rien contre cet homme mais bon s’il doit être au panthéon de l’audiovisuel ça nous dit que l’audiovisuel c’est pas divin


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