mardi 15 avril 2014 - par Frédéric Degroote

Punctum contra punctum : Par-dessus l’épaule de l’Ensemble Aurora

Enrico Gatti et son Ensemble Aurora nous revienne en formation de quatuor à cordes. Celui qui s’attèle notamment à enregistrer l’intégrale de la production d’Arcangelo Corelli avec brio depuis les années 90 nous livre ici un disque singulier, dévoilant les secrets du contrepoint et de la fugue de la fin de la renaissance à Mozart. 

A travers un texte philosophique d’une grande qualité rédigé par Enrico Gatti lui-même, l’auteur s’attache à expliquer les sources du contrepoint provenant des fondements pythagoriciens, repris par Platon plus tard, et se faisant un écho jusqu’au Moyen âge notamment à travers les écrits de Boèce. Littéralement « Punctum contra punctum » - point contre point ou note contre note -, toutes les formes les plus hautes de civilisation ont cru en un ordre fondé sur les nombres et sur les rapports numériques. Une corrélation harmonique vint à être recherchée et instituée à travers les conceptions de l’univers, du cosmos et de la vie humaine.

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Le parcours musical choisi explore la fugue et ses procédés dans leurs déclinaisons les plus variées. La fugue a cette particularité d’offrir les mêmes motifs musicaux à travers différentes voix autonomes par différents traitements. Cependant, c’est avec intelligence que le début du programme se focalise sur des oeuvres vocales de Palestrina, Lassus et Frescobaldi qui tiennent plus de la polyphonie. La formation de quatuor à archets peut sembler anachronique mais Enrico Gatti s’appuie sur différentes sources pour prouver la viabilité de son projet. Il cite notamment le Second Livre de Madrigaux de Ciprien de Rore en 1577 sur lequel la page de garde précisait qu’ils pouvaient être « joués sur toute sortes d’instrument parfait pour n’importe quelle étude du contrepoint ». Le résultat est d’autant plus bluffant qu’il permet une totale transparence entre les voix et une compréhension aisée de l’interaction entre celles-ci.

La deuxième partie du programme examine différents compositeurs bien installés dans le 17ème siècle jusqu’à l’éclosion de J.S. Bach le siècle suivant. Le « père » de la sonate instrumentale Dario Castello (c.1590-c.1630) est représenté avec sa Sonata XV a 4 per stromenti d’arco et Johann Rosenmüller (c.1619-1684) avec sa VIIème Sonate aux couleurs de canzone polyphonique vénitienne. Elle explore un contrepoint chromatique d’abord ascendant puis descendant et deux fugues aux notes caractéristiques répétées. On ne s’étonnera pas de retrouver un Corelli rayonnant et entre de bonnes mains dans une fugue (Opus posthume) issue du style contrapuntique romain. Enfin, Bach est représenté avec un extrait de l’Art de la Fugue (BWV 1080) : le Contrapunctus IV où le motif initial est utilisé de façon contraire, avec renversement du sujet initial ou encore avec augmentations et diminutions.

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La dernière partie met en avant Mozart avec deux compositions, l’Adagio et Fugue KV 546 et le Quatuor en Sol majeur KV 387, celui-ci faisant partie des Six Quatuors dédiés à Haydn. Deux atmosphères totalement différentes : la première obscure et tragique, à une époque (1788) où Mozart est tourmenté par des problèmes d’argent ; la deuxième solaire et pleine d’énergie quand Mozart est un artiste libre et épanoui à Vienne (1782). Les deux oeuvres se résolvent sur des fugues qui montrent comment des états d’âme divers peuvent pleinement s’exprimer. Retenons en particulier la fugue finale du quatuor KV 387 : radieuse et enlevée, basée sur un thème de quatre rondes comme dans sa Symphonie n° 41 « Jupiter », et qui fera dire à Gaetano Latilla - compositeur contemporain de Mozart à Naples - : « Cette pièce est la musique la plus belle et la plus merveilleuse que j’ai entendue depuis que j’existe !  ».

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C’est avec une grande admiration que je vous conseille ce parcours musical original, intelligemment pensé et finement ciselé. Rare aujourd’hui sont les éditeurs qui peuvent nous offrir un livret aussi fouillé avec une interprétation à sa mesure, le tout sous la plume et la baguette d’un même artiste. Le label Arcana l’a fait et il est un plaisir renouvelé de retrouver Enrico Gatti à chaque enregistrement. Celui-ci ne fait pas défaut jusqu’à sa couverture chatoyante, et sa qualité pédagogique devrait inciter à posséder ce disque tout qui s’intéresse à l’architecture d’une oeuvre, sa philosophie et son pouvoir de séduction.

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On The Shoulders Of Giants : Tracing the Roots of Counterpoint

I. Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Christe II - Messa della Domenica (Fiori Musicali di diverse compositioni, Venezia 1635)
II. Arcangelo Corelli (1653-1713) : Fuga a quattro voci op. posthuma (Anh.15 - Francesco Maria Veracini, Il Trionfo della Pratica musicale)
III. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuor en Sol majeur KV 387 - IV. Fugue. Molto Allegro

Ensemble Aurora :
Enrico Gatti, violino
Rossella Croce, violino
Sebastiano Airoldi, viola
Judith Maria Blomsterberg, violoncello

2014 Arcana/Outhere A 373



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