Quand Paco Ibañez chantait Georges Brassens
Il y a 42 ans était publié l’album Ibañez canta a Brassens. Un remarquable opus qui, en 10 chansons interprétées en castillan, suscite toujours une grande émotion à chacune des écoutes. Un album qui, de surcroît, démontre le caractère universel de l’œuvre de l’auteur-compositeur hors normes qu’a été le poète sétois...
L’hommage rendu dans notre pays à Georges Brassens à l’occasion du centenaire de sa naissance a été, comme l’on pouvait le pressentir, à la hauteur de l’immense talent de notre regretté moustachu. De nombreux chanteurs et musiciens ont, de son vivant ou après sa mort, repris ses titres. Parfois dans la fidélité respectueuse des originaux comme l’illustrent les enregistrements de Maxime Le Forestier. En général en les adaptant dans des genres très variés ou en traduisant les paroles dans d’autres langues. Cela a donné lieu à de bonnes versions, à des moins bonnes, et trop souvent à des adaptations médiocres, voire calamiteuses. Dans ce foisonnement d’interprétations, l’album signé Paco Ibañez reste, des décennies après sa publication, l’un des plus formidables hommages au poète et musicien sétois.
Le 20 octobre sur France Culture, Paco Ibañez déclarait ceci : « Tout le monde a l’impression que Brassens ce n’est que quatre notes qui se répètent, mais c’est faux. Mélodiquement, Brassens a des chansons d’une richesse incroyable, et chacune d’entre elles a sa propre musique : Brassens était un grand mélodiste et un grand poète, il convertissait les poèmes en chansons. La musique est porteuse de toute la substance qu’il y a dans le texte d’une chanson, dans la volonté d’exprimer quelque chose, et dans ce domaine, Brassens est le champion absolu. »
Séduit par le caractère universel des thèmes abordés dans l’œuvre de Georges Brassens, c’est en étant fidèle à l’esprit de celle-ci que Paco Ibañez a entrepris, en 1979, d’enregistrer en castillan quelques-unes des plus belles chansons de celui qui, trop modeste pour en tirer gloire, obtint le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 1967. Ces chansons ont été traduites au plus près des textes originaux par l’un de ses amis, un dénommé Pierre Pascal, auteur d’un remarquable travail. Cet enregistrement, le chanteur espagnol l’a réalisé avec un réel brio à la guitare et une belle ferveur vocale. À tel point qu’il n’est pas rare de trouver des personnes qui préfèrent la copie espagnole, si bien servie par la voix chaude et envoûtante de Paco Ibañez, à l’original français sans que l’on puisse crier au sacrilège. À chacun d’en juger...
Les vinyles* puis les CD* Ibañez canta a Brassens nous offrent à écouter successivement (il suffit pour cela de cliquer sur le titre espagnol) dix chansons du répertoire de notre poète moustachu :
Saturno (Saturne)
Canción para un maño (Chanson pour l’Auvergnat)
La mala reputación (La mauvaise réputation)
Juan « Lanas » (Bonhomme)
Tengo cita con usted (J’ai rendez-vous avec vous)
Por una muñeca me hice chiquitín (Je me suis fait tout petit)
Pobre Martin (Pauvre Martin)
La bella y el manantial (Dans l’eau de la claire fontaine)
La pata de Juana (La cane de Jeanne)
El testamento (Le testament)
Une belle réussite si l’on en juge par cette anecdote rapportée par Pierre Pascal en 1998 : lors d’un concert donné par Paco Ibañez en Espagne, au cours duquel il avait chanté des chansons de Brassens en castillan, un spectateur admiratif est venu trouver le chanteur espagnol dans sa loge pour lui dire en substance ceci : « Je ne sais pas si tu es au courant, Paco, mais j’ai entendu à la radio un type de Paris qui a repris tes chansons en français ! »
À noter, le fait est peu connu du grand public, que Georges Brassens, pourtant réservé par rapport aux traductions dont il se méfiait – il considérait plus importants l’agencement des mots et leur sonorité que le fond du texte –, a lui-même enregistré cinq des titres traduits en espagnol pour Paco Ibañez. Ce qui, convenons-en, est une belle marque de respect pour le travail de Pierre Pascal. Trois de ces titres figurent dans des compilations de son œuvre :
Comme l’on peut le constater, il n’y a pas d’Auvergnat dans la version espagnole du célèbre hommage à Marcel Planche**, mais une main généreuse et altruiste. Et dans cette version, pas de Père éternel comme dans le texte du mécréant Brassens, mais un paradis et un dieu hypothétiques : « al cielo si hay Dios ». Pas de Bonhomme non plus dans l’album de Paco Ibañez, mais un Juan Lanas qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Et pour cause : de la même manière que John Doe est le quidam lambda aux États-Unis, Juan Lanas est en Espagne un nom générique désignant un individu humble qui subit le poids de l’existence.
Georges Brassens a été un génial auteur-compositeur qui a profondément marqué l’histoire de la musique populaire, non seulement dans notre pays, mais bien au-delà de nos frontières. Paco Ibañez – aujourd’hui âgé de 86 ans – a, quant à lui, été un formidable interprète de notre poète sétois. Ibañez canta a Brassens. Escuchar sin modéración. Espléndido !
* Le premier vinyle a été publié en 1979 par Ariola en Espagne. Un enregistrement repris en 1980 par Polydor en France sous le titre Ibañez chante Brassens en castillan. Ariola a ensuite publié le premier CD en 1988.
** Marcel Planche est l’homme qui, avec son épouse Jeanne (née Le Bonniec), a recueilli et caché impasse Florimont à Paris le jeune Brassens pour lui permettre d’éviter d’être réquisitionné par les nazis dans le cadre du STO.
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