samedi 1er mars - par C’est Nabum

Réflexions sur la création artistique

Les pieds sur terre… La tête dans les étoiles.

Ne serait-ce pas là, l'expression la plus aboutie de la fameuse quadrature du cercle appliquée à ceux qui entendent apporter leur pierre, d'une manière ou d'une autre, à la création culturelle ? Comment en effet trouver l'inspiration ou porter un message sans avoir un regard attentif, les pieds dans la boue, sur les tourments d'une société dans laquelle nous pataugeons quelque peu ? Comment dans le même temps, sortir de ce bourbier pour s'élever vers des hauteurs porteuses d'espoir ou bien de vérité sublimée ?

L'artiste qui vit dans un cocon, protégé par une tour d'ivoire de laquelle il ne sort que pour aller se produire ou s'exposer sera voué à tenir un discours qui échappe totalement aux préoccupations de ceux qui viendront le rencontrer. La notoriété doit constituer cette fameuse muraille qui vous coupe des contingences communes, elle altère singulièrement ou complètement la portée des créations qui sont alors totalement en apesanteur.

Leur statut qui pour les plus demandés les place à l'abri des soucis financiers est lui aussi un piège si son bénéficiaire se coupe de fait de cette vie sociale qui fait tant de ravages autour de lui. Ne pas se plonger les mains dans le cambouis pour examiner les vicissitudes du quotidien de ceux qui travaillent et supportent de plein fouet, l'horreur de ce système, permet sans doute de vivre confortablement mais certes pas de porter une vision utile de cette société.

Un créateur ne peut produire une œuvre dépourvue d'une vision sociétale, d'un message qu'il exprime de manière subliminale ou non pour apporter sa pierre à la condition humaine. L'œuvre, si elle est purement esthétique, harmonieuse ou spéculative, n'apporte rien et tombera dans l'oubli avec le temps. Pour vraiment remplir la mission sacrée de l'artiste, il convient d'ancrer sa création dans un discours qui remet en cause les puissants, le système, les croyances, les privilèges ou les idées reçues.

C'est alors que la seconde condition s'impose pour éviter de produire des pensums, des manifestes sans saveur, sans souffle, des textes qui sont une collection de slogans au premier degré. L'artiste n'est en rien un militant qui tire à boulet rouge sur tout ce qui bouge. Il doit donner de la profondeur à son message, suggérer sans jamais asséner, jouer de la métaphore, du second degré, de la distance. Il se cache derrière la fiction pour éveiller les consciences à l'insu de leur plein gré.

Changer le monde est la fonction première du créateur et non remplir son compte en banque, faire des coups lucratifs, exiger des cachets astronomiques. Il le fera s'il a la tête dans les étoiles en se gardant bien des paillettes, de la réputation et de la critique. Il poursuivra son chemin même si celui-ci ne reçoit que peu d'écho. Il doit espérer que sa parole sera un jour perçue et comprise.

Ce ne sont ni les manifestations ni les révolutions, non plus les essais ou les manifestes qui ont durablement et totalement renversé l'ordre établi : ses injustices, ses privilèges, ses horreurs, ses iniquités. Les grandes prises de conscience collectives sont nées de l'émotion provoquée par une grande création : un tableau, un roman, une chanson, une pièce de théâtre, une satire, un sketch, un film…

Si l'artiste se contente de faire le choix du divertissement, de l'amusement, de chercher la gaudriole ou la facilité, de ne pas se mouiller dans le débat des valeurs, de caresser les décideurs dans le sens du poil et des financements, de ne jamais porter un regard critique sur la société dans laquelle il vit, il connaîtra sans doute le succès, une réussite bien éphémère il est vrai qui ne fera que satisfaire ses besoins vitaux (et souvent c'est légitime). Mais laissera-t-il une trace ? Aura-t-il apporté sa pierre à ce patrimoine culturel qui nous a façonné et fait grandir ? J'en doute fort !

Il est possible que je n’aie que la tête dans les étoiles, ce qui paradoxalement m'épargnera de confondre un astre nébuleux accompagné d'une traînée lumineuse et un véritable lieu de culture, de réflexion et d'élévation de la condition humaine.



6 réactions


  • babelouest babelouest 1er mars 17:40

    Le problème terrible est qu’actuellement, et ce sont des artistes qui l’ont déploré devant moi, ce qu’on appelait « le mécénat » dans une autre existence ramène désormais l’artiste à se voir imposé de construire un mur de parpaings dans le jardin, et que le maître des lieux s’arroge le droit de qualifier cet acte de pure commande « de chef-d’œuvre » parce que c’est le bon plaisir du prince.

    « On » mélange lard et cochon, car en plus, souvent, c’est loin en-dessous de la ceinture.... la musique n’étant plus que les trilles des émanations méthaniques, pendant que les œuvres plastiques se prélassent avec grâce au fond de la cuvette. Et c’est Camille Claudel que l’on a enfermée !

    La période décadente de l’URSS a connu de telles dérives.


    • C'est Nabum C’est Nabum 2 mars 08:19

      @babelouest

      Nombre de créations absurdes ne sont que des investissements gonflés artificiellement par ceux qui tirent les ficelles d’un marché de l’art qui n’a plus rien à dire sur la société si ce n’est la demande de toujours plus de fric

      La décadence commence ainsi


  • juluch juluch 1er mars 19:06

    Quant on voit qu’une banane s’est vendue des millions....


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