mardi 18 novembre 2008 - par
L’auteur du « Journal de travers » vient de publier « Demeures de l’esprit », un panorama des maisons d’écrivains, d’artistes ou d’intellectuels se situant dans le sud-ouest de la France.
Renaud Camus revisite les « demeures de l’esprit »
Renaud Camus est un écrivain que l’on peut qualifier de prolifique. Son œuvre couvre des champs de réflexions vastes où se croisent élégies, éloges, chroniques, miscellanées, journaux intimes, romans, répertoires, essais, et topographie. C’est dans cette dernière catégorie que son dernier ouvrage se range.
Le premier tome qui concernait la partie méridionale de la Grande Bretagne nous faisait déjà nous repentir d’avoir trop longtemps usé et abusé de l’expression « perfide Albion », tant la culture britannique mérite des lettres de noblesse. La France n’est bien sûr pas en reste, elle compte également, comme l’observe Renaud Camus, nombres demeures, châteaux, manoirs, maisons ou simples chambres, qui sont aussi témoins que complices de l’inspiration.
Certes pour la plupart des grands hommes des plaques commémoratives sont accrochées aux murs pour honorer leur mémoire. Mais on oublie trop souvent de remercier les lieux qui ont permis l’éclosion d’une oeuvre. Les amateurs les plus curieux de leur auteur préféré iront un jour ou l’autre se recueillir au berceau de la création grâce à laquelle ils se sentent grandis. C’est un rituel indispensable. Ils essaieront de ressentir l’environnement, peut-être même de capturer et d’emporter avec eux une partie de la magie du lieu quand celle-ci est encore palpable. Tant d’œuvres n’auraient pas vu le jour si leur auteur ne s’était pas retrouvé à cet endroit. Les lieux infusent, insufflent l’esprit. Il y a un mystère de la géographie et de l’espace.
Renaud Camus a choisi des demeures ouvertes au public et observe avec le souci du détail et de l’anecdote la qualité d’habitation pour un créateur. Edmond Rostand, Pierre Loti, Alfred de Vigny, Montaigne, Montesquieu, François Mauriac, Brantôme, Fénelon, Jean-François Champollion, Henri de Toulouse-Lautrec, ou encore Jean Giraudoux, sont quelques-uns des créateurs auxquels nous rendons visite.
Voyage dans le passé, retour au présent : dans un dialogue permanent et subjectif avec les lieux, Renaud Camus nous entraîne de sa plume et nous guide avec ses propres photos. Intérieurs, bureaux, bibliothèques, chambres, extérieurs, jardins, domaines, terrasses : dépaysement ou déception, certains lieux conservent leur authenticité et d’autres succombent à un tourisme de masse ou à une avancée destructrice du tout alentour moderne. Le tourisme n’est pas un mal en soi, mais il doit être réfléchi nous rappelle Renaud Camus : l’espace culturel est indissociable de son espace naturel.
La demeure est une habile maîtresse, ou plus précisément c’est une abbesse, une mère abbesse, avec son propre caractère, il en va de soi, austère ou sémillant, timide ou éloquent, sombre et mélancolique ou ensoleillé et lumineux. Elle mitonne, cajole et prend soin, en bonne hôtesse, des habitants, mais elle se joue d’eux, et sans qu’ils s’en rendent compte, ils ne font que ce qu’elle veut, ils n’ont que ce qu’elle leur offre. D’une manière ou d’une autre elle éveille, elle éduque. Cela est parfois rude, parfois voluptueux, il en est ainsi des lieux.
L’auteur d’Esthétique de la solitude et du Répertoire des délicatesses, en homme de lettre et dandy de la syntaxe vilipende dans son œuvre les tics de langage bêtifiants de notre temps, l’idéologie du vrai, « C’est vrai que… », l’idéologie du sympa « Ce film est trop sympa…, viens donc avec moi chez Jean-Michel, c’est sympa tu verras », l’idéologie du pareil au même et du naturel « Reste comme tu es, ne change pas, sois toi » ou encore l’idéologie du « sur comment… on s’interroge sur comment motiver nos troupes ». Le langage comme les bonnes manières sont des instruments qui se travaillent et qui demandent certains efforts : une société qui ne se regarde plus dans son miroir, qui n’essaye plus de "paraître", finit par s’oublier. Ses traits se crispent, les rides se creusent et ouvrent force sillons à la barbarie de "l’être" : « je suis comme je suis, alors foutez moi la paix ! ». Nous pourrions dire des lieux – de n’importe quels lieux - qu’ils demandent également à être ressentis, apprivoisés, et que l’on peut se préparer à mieux voir, et à apprécier plus intelligemment l’espace qui nous entoure. Une société qui ne regarde plus ses lieux, ses demeures, se condamne à ne plus rien respirer et à ne plus rien inspirer.
De même que la culture et l’interprétation du monde passent par le sens des mots, que la pensée passe par la syntaxe, que l’expression est grammaticale, que la liberté intellectuelle est étroitement liée à l’étendue du vocabulaire, et que le langage est un instrument qui vit et qui peut dépérir ou s’appauvrir, la création est intimement liée aux espaces. Le patrimoine et la terre participent à nourrir les racines de notre culture : les demeures de l’esprit, ces maisons d’écrivains en sont un témoignage. L’expérience esthétique est façonnée par la connaissance en général et par l’espace. On pourrait dire que l’expérience intérieure passe par l’extérieur.
Tout se transforme, tout change. Cela relève sans doute du bon sens commun. Les styles, les idées, les goûts changent, seule, reste avec le temps, la phrase emprunte de syntaxe. Les manières aussi évoluent avec le temps nous dit Renaud Camus, certaines, comme la politesse du visage face à l’autre, sont néanmoins prépondérante pour le vivre ensemble : Combien de regards sombres avez-vous croisé dans votre journée et combien de regards frisques de jeunes hommes ou jeunes filles vers lesquels vous vous seriez tournés pour demander votre chemin ?
Quoi qu’il en soit, on se tourne volontiers vers le dernier ouvrage de Renaud Camus pour découvrir chemins ou sentiers qui mènent aux demeures de l’esprit. Ces demeures ont quelque chose de la syntaxe, elles nous parlent et nous rappellent, que nous soyons créateur ou non, que nous ne sommes ni les premiers ni les derniers. Seules restent avec le temps ces empreintes… à ne pas effacer.
Demeures de l’esprit, France I Sud-ouest, Fayard, 2008.
Crédits photos :
Renaud Camus, Ecosse 2008.
Renaud Camus, Château d’Arcangues, bibliothèque du journaliste, écrivain et poète Guy d’Arcangues, 2008.
Crédits photos :
Renaud Camus, Ecosse 2008.
Renaud Camus, Château d’Arcangues, bibliothèque du journaliste, écrivain et poète Guy d’Arcangues, 2008.