mercredi 6 avril 2016 - par Vincent Delaury

Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence

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De la BD grand public au roman graphique via le BD-concert…

Pour leur 13e édition, les Rencontres du 9e art d’Aix-en-Provence, qui regroupent à la fois un week-end BD s’étant déroulé les 1, 2 et 3 avril derniers à la Cité du Livre, et une série d’expositions dans la ville (1er avril – 21 mai 2016), multiplient les approches autour de la bande dessinée, celle-ci sortant véritablement de sa bulle et des cases établies pour aller à la rencontre du graphisme, de l’illustration, du dessin animé, des arts de la rue, de l’art brut et même de la musique ; ainsi, on n’est pas près d’oublier* le concert donné, pendant une petite heure (le samedi 2 avril à 15h), par l’auteur de BD Romain Renard, qui est aussi musicien et chanteur, dans la salle Armand Lunel, archicomble, de la Cité du Livre d’Aix : autour de sa bande dessinée Melvile, qui en deux tomes parus chez le Lombard croise les trajectoires existentielles d’un écrivain en manque d’inspiration et d’un brillant astrophysicien avec la légende mystérieuse de « l’homme-cerf », le bédéiste, à l’aise autant avec un pinceau qu’avec une guitare, réinterprétait musicalement les ambiances crépusculaires de ses récits cinématographiques. Sur scène, deux musiciens (l’auteur de BD est accompagné à la guitare par Jean-Christophe Carrière) nous racontaient, sur fond de bandes magnétiques et de film projeté reprenant les superbes images à grain de Melvile, une ville-décor hantée par l’histoire de ses habitants. Baignant dans une narration onirique flottante, mixant les grands espaces américains, les polars crépusculaires signés Eastwood ainsi que l’inquiétante étrangeté à la Lynch, les spectateurs, petits et grands, étaient complètement embarqués dans ce formidable ciné-concert, mâtiné de bande dessinée, temps assurément fort de ce festival foisonnant d’idées et de découvertes.

Manifestement, la force de ces Rencontres du 9e art à Aix-en-Provence vient de la palette fort variée de sa programmation : à côté des incontournables séances de dédicaces réunissant pour cette édition 2016 une cinquantaine d’auteurs internationaux, le festival propose également des débats avec les créateurs, au sein desquels le public est invité à participer, et des expositions-événements dans la ville. 15 000 visiteurs ont pu, pendant ce week-end culturel (sur un mois la manifestation attire chaque année plus de 70 000 visiteurs), expérimenter le médium BD dans toute sa variété d’expression : des planches grand public pour les familles à l’underground pointu en passant par le dessin de presse et la bande dessinée documentaire ou de reportage (l’une des tendances fortes du 9e art depuis quelques années), les amateurs de BD et de dessin aventureux venant d’Aix-Marseille et de la région PACA ainsi que les passionnés qui, eux, viennent de partout !, ont pris de toute évidence un vif plaisir à arpenter les allées du salon et les rues d’Aix pour faire bouger les lignes de l’art de la bande dessinée.

Des expositions hautes en couleur 

Parmi la douzaine d’expositions offertes aux visiteurs (qui durent pour la plupart jusqu’au 21 mai 2016, courez-y !), deux ont particulièrement retenu notre attention : celle réunissant l’artiste trisomique Marcel Schmitz et le bédéiste Thierry Van Hasselt, dévoilant installation de bric et de broc et planches BD à la Fondation Vasarely d’Aix-en-Provence, expo-événement (notre coup de cœur du festival) jusqu’au 21 mai, et celle intitulée « Un Monde Méroll » conçue par le trublion Vincent Paronnaud, alias Winshluss ; cette création, parodiant les grandes enseignes commerciales qui se servent souvent du mécénat de l’art pour redorer leur blason et se racheter une virginité, bénéficie, non seulement du soutien de la fondation humanitaire MMM (Merci Monsieur Méroll) et du FMAC (Fond Méroll pour l’Art Contemporain) !, mais aussi de la participation de nombreux intervenants, issus pour la plupart des éditions les Requins marteaux et exposant leurs œuvres facétieuses à la Cité du Livre (jusqu’au 14 mai), galerie Zola, tels qu’Alëxone, Juliette Bensimon-Marchina, Guillaume Guerse, Antoine Marchalot, Morgan Navarro, Marc Pichelin, Anouk Ricard et Willem. Cette drôle d’expo, parodiant les industriels puissants qui se rêvent en grands humanistes et en mécènes éclairés afin d’échapper aux étiquettes et souvent, par la même occasion, au fisc, présente une fiction autour d’Edouard-Michel Méroll (on pense bien sûr à Michel-Edouard Leclerc, vrai collectionneur et nouvellement éditeur) : un magnat de l’industrie qui a fait fortune en produisant sa fameuse huile de moteur et de friture Méroll. Ici, planches originales de bandes dessinées, illustrations de presse, film d’animation pseudo pédagogique, toiles grand format, produits dérivés [photo 1] et autres maquettes égrènent les effets d’annonce et les slogans à l’emporte-pièce afin de dresser le portrait d’un monde « merv’huileux », où l’humour potache et le détournement des codes de la société consumériste et de la publicité, si chers à Winshluss, s’en donnent à cœur joie.

En résidence à la Fondation Vasarely en décembre 2015 et janvier 2016, Marcel Schmitz, artiste trisomique, et Thierry Van Hasselt, dessinateur et éditeur [photo 2], exposent le résultat « chez » Victor Vasarely (1906-1997), artiste phare de l’art optique qui prônait un « art pour tous » et « la ville de demain » intégrant l’art à l’architecture. Ici, nous sont donnés à voir l’installation monumentale exponentielle de Marcel, faite de scotch, de bouts de tissu récupérés et de cartons, ainsi que les dessins originaux de la bande dessinée Vivre à FranDisco, ouvrage graphique, venant de sortir aux éditions Frémok, présentant la bande dessinée de Schmitz & Van Hasselt d’après la ville tentaculaire composite complètement imaginée par Marcel ; cette cité fantasmée offre au regardeur un espace urbain d’art brut en BD associant buildings, usine de chicots (d’endives), monuments historiques et tunnel d’un TGV aboutissant directement dans la cour d’un bâtiment ! Ce projet artistique, initié par Anne-Françoise Rouche, fondatrice et directrice de la structure belge la « S » Grand Atelier qui propose des ateliers de création ouverts à des artistes déficients mentaux (Marcel fréquente assidûment ce laboratoire), varie avec humour, et non sans émotion, les approches de la bande dessinée : de la ligne claire à l’art brut via l’art outsider. Au sein du débat animé par Colin Cyvoct, du magazine L’œil, réunissant à la Cité du Livre le samedi 2 avril dernier Thierry Van Hasselt et Anne-Françoise Rouche en présence de Marcel, cette dernière déclarait : « Il arrive qu’un individu fasse vaciller certaines certitudes, repousse les limites et nous montre que réinventer un langage de liberté est possible. Marcel Schmitz, trisomique presque cinquantenaire, fait partie de ces êtres exceptionnels, offrant une réalité augmentée et permettant un affranchissement des limites.  » Dont acte.  

 

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur, entre autres, les splendides « tempêtes de couleurs » mondaines, mélangeant écoline, aquarelle et gouache, de Brecht Evens [photo 3], figure de proue de la nouvelle génération d’auteurs flamands exposée au Musée du palais de l’Archevêché (étape 1 : 1er avril – 21 mai ; étape 2 : 8 juin – 20 juillet), sur les magnifiques cabanes tracées au rotring 0.1 du contemplatif Nylso (feuilles exposées jusqu’au 30 avril à la Brasserie de la Mairie) ou encore sur les somptueuses planches de Typex dévoilées à l’Atelier de Cézanne, auteur néerlandais revisitant avec un esprit rock’n’roll l’art et la vie confondus de l’immense Rembrandt (1606-1669) mais, chers lecteurs et lectrices, en ces jolis mois d’avril et de mai, pourquoi ne pas vous rendre par vous-même à Aix-en-Provence pour, au détour d’une terrasse de café ensoleillée, d’une galerie ou d’un confortable salon, faire l’état des lieux d’une bande dessinée ô combien aventureuse ? Emotions et découvertes garanties… 

 

Pour toutes informations complémentaires, ici : http://www.bd-aix.com/index.html

 

* Auteur invité dans le cadre du Festival de bande dessinée et autres arts associés, Aix-en-Provence, week-end BD 1, 2, 3 avril 2016 [photos de l’auteur de l’article]

 

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Méroll
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Schmitz & Van Hasselt
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Brecht Evens



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