jeudi 24 octobre 2019 - par Paul ORIOL

Revoir les films de André Cayatte

Chaque année, depuis 10 ans, le Festival Lumière de Lyon présente de nombreux films du répertoire international, environ 200 films cette année, projetés dans 60 lieux de 23 communes de la métropole de Lyon, dont des rétrospectives : de Francis Ford Coppola qui a reçu le prix Lumière 2019 pour l’ensemble de son œuvre, et celle de André Cayatte (1) avec 14 films ce qui nous a permis de voir ou revoir Justice est faite (1950), Nous sommes tous des assassins (1952), Avant le déluge (1954), Le miroir à deux faces (1958), Piège pour Cendrillon (1965), Les risques du métier (1967), Mourir d’aimer (1971).

 

Revoir les films de André Cayatte

Quelques uns des films vus ou revus à l’occasion de cette rétrospective ont permis de retrouver le Cayatte qui rendait plus animées les discussions sur la peine de mort et la justice en terminale et d’échapper à la différence de nature et de degré d’un imperturbable professeur de philosophie. Mais aussi de l’insertion de Cayatte dans la société de son époque et de son engagement, par les sujets abordés et son courage dans la façon de les traiter. Notamment par les portraits de femme peut-être passés un peu inaperçus.

Justice est faite, le premier des films de Cayatte sur la justice, est le procès, en assise, d’une femme (Claude Nollier) qui a tué son mari, à sa demande, pour abréger ses longues souffrances. Elle assume son acte en le disant à sa belle-sœur et, avec dignité, devant le jury des Assises. Mais son mari était riche et elle avait un amant récent. Devant l’ambiguïté de la situation, les membres du jury se partagent, non comme il leur est demandé suivant leur intime conviction, mais suivant leur vie personnelle.
Finalement, le jugement sera bancal. Ni condamnée pour crime crapuleux, ni acquittée. Mais justice est faite.

Revoir les films de André Cayatte

Nous sommes tous des assassins traite de la responsabilité de la société dans la peine de mort, trente ans avant son abolition en France, avec les remous que l’on sait, grâce à la bataille de Robert Badinter, ministre de la Justice, garde des Sceaux en 1981.
Quatre condamnés à mort cohabitent, illégalement, dans la même cellule à cause de la pénurie de places en prison. Ici encore, le crime est connu : le père (Julien Verdier) a tué son enfant à coup de tisonnier parce qu’il ne pouvait plus supporter ses pleurs permanents, le jeune Corse (Raymond Pellegrin) a commis un crime d’honneur et meurt avec les sacrements catholiques, le mari (Antoine Balpétré), lui, nie avoir tué sa femme, agnostique il acceptera les derniers sacrements la prochaine fois… Cayatte s’attarde sur le jeune René Le Guen, joué par Mouloudji, résistant par hasard qui a, d’abord, tué sur ordre… et qui n’a pas compris que la guerre était finie… Dans la dernière image du film, son avocat est suspendu au téléphone dans l’attente d’une éventuelle grâce présidentielle…
Dans la réalité, le jeune qui a inspiré le personnage de Le Guen à Cayatte, a été gracié par le président de la République, Vincent Auriol. Le film n’est peut-être pas étranger à cette décision.
Si dans Justice est faite, c’est le côté subjectif et aléatoire du jury qui est mis en cause, ici, c’est la responsabilité de la société qui accepte la peine de mort… Et si Cayatte s’étend sur René Le Guen qui n’a pas compris le passage du temps pour au temps contre, il montre les différentes circonstances qui ont pu conduire des hommes à la peine capitale… Le doute sur la culpabilité, le crime d’honneur, l’extrême misère qui ne sont, peut-être pas, de même nature mais…

Une des facettes intéressantes des films de Cayatte, c’est de camper des femmes remarquables. Dans Justice est faite, d’abord mais aussi dans le Miroir à deux faces, Les Risques du métier ou Mourir d’aimer…
Dans Le Miroir à deux faces, Marie-José (Michèle Morgan), par la grâce de la chirurgie esthétique qui prend son essor ces années là, échappe à la condamnation que lui infligeait un nez à la Cyrano et dont la soudaine beauté chirurgicale lui permet enfin de s’affirmer...
Dans Les Risques du métier, le courage d’une femme de tête Suzanne (Emmanuelle Riva) qui assume sa vie et sa confiance en son mari instituteur face aux accusations injustes d’attouchement, de viol par certaines de ses élèves dont il est victime…
Dans Mourir d’aimer, d’après l’affaire Gabrielle Russier, il fait le portrait d’une enseignante post-soixante-huitarde, Danielle Guénot (Annie Girardot) qui a une liaison dangereuse avec un de ses élèves de 17 ans…

Piège pour cendrillon est surtout une réflexion sur l’identité, présente déjà dans le Miroir à deux faces. Marie-José (Michèle Morgan) en changeant de nez est-elle la même personne ? Certainement pas pour son mari, Tardivet (Bourvil) qui avait épousé une femme quelconque, soumise, à sa mesure, et ne supporte pas qu’elle soit devenue belle, épanouie, indépendante. Il va tuer le chirurgien qui lui a volé sa femme en transformant son nez...
Dans Piège pour cendrillon, la question de l'identité est encore plus complexe : deux cousines, fort ressemblantes, toutes deux jouées par Dany Carrel, sont prises dans un incendie, l’une meurt, l’autre survit, amnésique, la chirurgie lui rend un beau visage… laquelle est-elle ? Michèle ? Dominique ? Ou une troisième, amnésique, complètement changée par le drame ?

Loin du schématisme dont il a été accusé, André Cayatte, un cinéaste courageux, de son temps,un cinéaste un peu trop oublié.
 

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1 - La fausse maîtresse (1942), Pierre et Jean (1943), Le dernier sou (1943), Les Amants de Vérone (1949), Le retour de tante Emma, un des 4 sketches de Retour à la vie (1949), Justice est faite (1950, Lion d’Or à Venise 1950, Ours d’Or à la Biennale de Berlin 1951, cas unique de cette double récompense, Lion d'or et Ours d'or), Nous sommes tous des assassins (1952, Prix spécial du Jury en 1952 à Cannes), Avant le déluge (1954), Le dossier noir (1955), Œil pour œil (1957), Le Miroir à deux faces (1958), Le passage du Rhin (1960, Lion d’Or à Venise en 1960), Piège pour Cendrillon (1963), Les Risques du métier (1967), Mourir d’aimer (1971).

Bertrand Tavernier, président

Bertrand Tavernier, président



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