mercredi 13 mai 2009 - par Fergus

Sydney Bechet : Les oignons, c’est bon pour le moral !

Demain, nous célèbrerons le 50e anniversaire du décès d’un géant du jazz New-Orleans : Sydney Bechet. Un nom qui reste associé dans la mémoire de nos concitoyens à deux titres-cultes, Petite fleur et Les Oignons, ainsi qu’à une musique chaleureuse, dynamique et euphorisante, l’une de ces musiques dont quelques mesures suffisent à gommer, le temps d’un morceau, les difficultés de la vie, la grisaille du ciel ou les peines de cœur. Une musique de joie simple et de pur bonheur...

Fils de Omar Bechet, un modeste cordonnier, et de Josephine Mitchell, Sydney Bechet est né le 14 mai 1897 dans un quartier populaire de La Nouvelle-Orléans. Très vite, il se montre doué pour la musique dans un environnement il est vrai des plus favorables. Adolescent, Sydney maîtrise déjà le cornet, le saxophone et surtout la clarinette dont il découvre tous les secrets grâce à Louis et Lorenzo Tio. Sa route est toute tracée : il sera musicien.

Encore faut-il pouvoir vivre de cette musique qu’il a dans le sang. Et ce n’est pas dans la pauvre Louisiane que le jeune Bechet pourra faire carrière. Comme tant d’autres (Joe « King » Oliver, Jelly « Roll » Morton, Louis Armstrong), il s’exile pour Chicago à l’âge de 20 ans, bien décidé à se faire un nom dans la capitale de l’Illinois. Il y retrouve un autre natif de La Nouvelle-Orléans, le trompettiste Freddie Keppard avec qui il travaille dans un premier temps. 

En 1919, Sydney devient le clarinettiste soliste du Southern Syncopated Orchestra de Will Marion Cook. Et c’est dans cette formation qu’il découvre l’Angleterre avant de la quitter, cinq ans plus tard pour les Washingtonians de Duke Ellington. Une association qui ne dure toutefois pas en raison de l’indiscipline du jeune Sydney, peu prisée par le « Duke ».

De la scène à la prison

Expulsé de Grande-Bretagne en 1922 à la suite d’une bagarre dans un hôtel, Sydney retourne un temps aux Etats-Unis où il rencontre Louis Armstrong. Suit une période américaine agitée à laquelle Sydney met un terme en retournant en Europe. Arrivé à Paris, il intègre en 1925 la fameuse Revue Nègre de Joséphine Baker qui contribue largement à populariser le jazz New-Orleans dans la capitale française. Sydney y reste quatre ans, parcourant avec la troupe en tournée différents pays d’Europe dont la Belgique, l’Allemagne et la Russie.

Retour à Paris. Sydney, au tempérament parfois irascible, est impliqué Chez Florence rue Fontaine dans une querelle avec le guitariste Mike Mc Kendrick sur lequel il ouvre le feu. Heureusement sans gravité. Mais cette incartade vaut à l’Américain 11 mois de cellule dans la prison de Fresnes. Sitôt sorti, il est expulsé de France avant de repartir en tournée, en compagnie cette fois de Noble Sissle dont il a intégré la formation. 

Mais Sydney veut son propre orchestre. Il parvient enfin à le créer en 1932 sous le nom de New Orleans Feetwarmers. À son côté, le fabuleux trompettiste Tommy Ladnier. Suivent quelques années de vaches maigres liées à la grande dépression qui s’est installée et plombe le jazz comme tant d’autres activités humaines.

1938. Après une période de collaboration avec Trixie Smith, il grave quelques superbes morceaux dont le génial Really the Blues en compagnie de Tommy Ladnier à la trompette, Mezz Mezzrow à la clarinette et Teddy Bunn à la guitare. Du grand art !

Deux ans plus tard, c’est avec Louis Armstrong qu’il collabore et grave quelques-uns des plus beaux titres de l’histoire du jazz dont le célèbre Perdido Street Blues. En 1945, lorsque la guerre prend fin, Sydney est encore aux Etats-Unis. Il travaille alors avec Mezzrow et enregistre avec lui quelques superbes morceaux dans le cadre du Mezzrow-Bechet Quintet.

Né un 14 mai, mort un… 14 mai !

En 1949, après un triomphe au Festival de Paris et le succès mondial de Petite fleur, Sydney décide de s’installer définitivement en France. Tout naturellement il rejoint la ville d’Antibes, devenue la Mecque du jazz hexagonal. Il y épouse en troisièmes noces*, avec Mistinguett pour témoin, la française Elisabeth Ziegler, rencontrée à Grigny où le musicien réside. Dès lors sa vie se partage entre la capitale et les festivals de la Côte d’Azur. De cette époque date sa collaboration avec les formations d’André Reweliotty et de Claude Luter, symbolisée par Les Oignons et dont le souvenir reste gravé dans la mémoire des habitués du Vieux-Colombier.

Lorsqu’il décède en 1959, Sydney est devenu une immense vedette du jazz dont les titres sont régulièrement joués sur les antennes radio de notre pays. Celui que les existentialistes avaient surnommé « Le Dieu » meurt à Garches, emporté par un cancer du poumon. Coquetterie ou espièglerie, il décède un… 14 mai, 62 ans jour pour jour après sa naissance. Sydney Bechet est enterré au cimetière de Garches et immortalisé à Antibes par un superbe buste en bronze scellé sur un socle de pierre entouré de pins parasols. Un bien bel endroit pour écouter… Dans les rues d’Antibes  !

* Sydney Bechet avait déjà été marié à deux reprises avec Norma Hale (1918 – 1929) puis avec Marie-Louise Crawford (1934 – 1942), dont il avait divorcé. Sa fidélité à sa nouvelle épouse est toutefois relative : dès 1953, Sydney partage sa vie entre son épouse légitime et sa nouvelle maîtresse, Jacqueline Péraldi ; et c’est cette dernière qui lui donnera un fils : Daniel Bechet.

Liens :

Tout savoir sur la clarinette jazz (site de Jean-Christian Michel)

Hommage à Sydney Bechet (images diffusées par l’ORTF au JT de 13 heures le 14 mai 1959)

Discographie de Sydney Bechet

 



29 réactions


    • Fergus fergus 13 mai 2009 16:15

      Bonjour, Capitaine, et tout à fait d’accord avec vous : la musique de Sydney Bechet, comme celle du Armstrong des petites formations, sont un réel plaisir et une antidote à la morosité. A consommer sans modération par les temps qui courent !


  • Francis, agnotologue JL 13 mai 2009 12:46

    Merci pour cet article sympa qui rappelle cette commémoration. Tout le monde connait Sydney Bechet et ses grands succès. Ce que l’on sait moins c’est qu’il a composé la musique d’un ballet présenté en 1953 au TNP de Paris. On peut lire plus de précisions et écouter le thème principal particullièrement envoutant, de cette oeuvre, là :

    http://www.sidneybechet.info/historique.html

     


    • Fergus fergus 13 mai 2009 16:19

      Vous avez raison, JL, d’évoquer La Nuit est une Sorcière que j’ai oublié de citer dans cet article (honte sur moi !) et dont le thème est effectivement superbe. Merci pour le lien.


  • norbert gabriel norbert gabriel 13 mai 2009 15:32

    Si vous le trouvez, n’hésitez pas à acheter « la nuit est une sorcière » le ballet composé par Sidney Bechet, enregistré en France.
    Et l’ultra rarissime « La colline de Delta » enregistré par Claude Luter, c’est ce que Bechet appelait sa Negro Rapsody, grandiose !


    • Fergus fergus 13 mai 2009 16:23

      Bonjour, Norbert.
      Contrairement à La Nuit est une Sorcière, j’avoue ne pas connaître La Colline du Delta. Mais je vais me soigner en tâchant de mettre la main dessus le plus rapidement possible.


  • norbert gabriel norbert gabriel 13 mai 2009 15:36

    PS il y eu un CD (copie du 25 cm d’origine, avec même illustration) il y a quelques années, idem pour ’la nuit du Delta’ que certains disquaires spécialisés ne connaissent d’ailleurs pas.


  • Allain Jules Allain Jules 13 mai 2009 15:55

    @Fergus,

    Merci pour ce bel hommage fait à Sydney B. C’était un grand, un géant.

    Bien à vous !


    • Fergus fergus 13 mai 2009 16:56

      Exactement, et c’est bien dommage qu’il ait disparu des antennes radio, y compris dans les émissions spécialisées, au profit d’un jazz beaucoup plus conceptuel et parfois, reconnaissons-le, très hermétique.
      La musique de Sydney Bechet, comme le blues ou la soul, parlait à l’âme de manière simple mais éminemment expressive. C’est ce que j’aime en elle...
      Cordiales salutations.


  • Gül 13 mai 2009 16:58

    Bonjour Fergus smiley

    Bel hommage à un grand parmi les grands.

    Les oignons est le premier morceau de jazz que j’ai écouté, ma mère adorait, ça lui donnait la pêche pour la journée !

    Un régal que ces bon vieux standards.

    Merci


    • Fergus fergus 13 mai 2009 18:11

      Salut Gül !
      C’est vrai que cette musique « donne la pêche ». Et ce n’est pas un hasard si les descendants d’esclaves de Louisiane l’ont créée, façonnée et interprétée avec tant de fougue et de talent. Car c’est un message d’espoir et de vie qu’elle véhicule.


    • Fergus fergus 13 mai 2009 21:29

      Bonsoir, Léon.

      Nous sommes donc au mois deux. et plus si j’en crois les premiers commentaires...


  • Yohan Yohan 13 mai 2009 20:21

    salut Fergus.
    Sydney n’est pas vraiment ma tasse de thé jazzistique, mais je salue toujours les articles sur les jazzeux


    • Fergus fergus 14 mai 2009 09:07

      Bonjour Johan.

      Par chance, les goûts divergent d’un individu à l’autre. Souvent même dans le cercle familial. C’est ainsi que mon fils, contrairement à moi, préfère les Sonny Rollins, Oscar Peterson ou John Coltrane à Sydney Bechet ou Louis Armstrong. Et bien sûr le jazz moderne au New-Orleans et a fortiori à ces vieux ragtimes et cakewalks au son éraillé que je prends tant de plaisir à écouter...


  • craven 13 mai 2009 22:06

    Bel article sur un musicien bien connu en France surtout et beaucoup moins dans son pays d’origine. Bénéficiant du soutien actif d’Hugues Panassié et du magazine Jazz Hot il a réussi a construire une carrière honorable en « surfant » sur la vague soigneusement entretenue du New Orleans Revival« . Le seul »vrai jazz" au dire des amateurs du genre et en opposition complète avec la création contemporaine du moment menée par C.Parker, Th. Monk. et bien d’autres...

    Sur le plan strictement musical Bechet n’a pas réellement apporté d’éléments fondateurs à ce style musical en perpétuelle évolution. Plus habile au sax alto qu’à la clarinette son enthousiasme et la ligne plaisante de ses mélodies emportaient l’adhésion bien plus qu’une innovation formelle que l’on rencontre chez Armstrong, Ellington, Monk, Cecil Taylor.
    Sans que cela ne soit péjoratif Bechet est au jazz ce que fut Luis Mariano au bel canto, ce qui est déjà considérable en regard des pousseurs faiblards de chansonettes qui encombrent les bacs des disquaires.


    • Fergus fergus 14 mai 2009 09:24

      Merci pour ce commentaire, Craven, et pour la référence à Panassié que j’ai omis de citer pour ne pas trop charger l’article.

      Il est vrai que des musiciens comme Charlie Parker ou Thelonius Mons se sont montrés plus créatifs que Sydney Bechet. Mais s’ils ont apporté du plaisir aux amateurs d’un jazz plus savant, ils ont aussi découragé nombre de mélomanes par leur approche plus conceptuelle de ce genre musical. Bien que je les respecte (comme je respecte tous les créateurs de musique), ceux-là ne me font pas vibrer.

      Quant à considérer sur un plan mineur un compositeur qui n’a pas eu de rôle véritablement créatif dans son art, cela revient en musique classique à dévaluer des grands noms comme Telemann, Haendel, Carl et Johan Stamitz, Schumann ou Gounod, par exemple. Cela dit, je comprends et je respecte votre avis.


  • maxim maxim 13 mai 2009 23:32

    si vous allez à Grigny dans l’Essonne ,dans le vieux Grigny ,la maison de Sydney Bechet se trouve presque en face de l’église dans une côte ....

    étant gamin j’allais chez un pote qui était son voisin ,et on l’aperçevait de temps en temps dans un grosse bagnole Ricaine ,il y avait une communauté Américaine également à Grigny ,là où dans leurs poubelles on trouvait les premiers Levis 501 et les bottines dont ils se débarrassaient ...

    je suis un fan de jazz ,pas spécialement de Bechet ,mais c’est sous son époque que l’on a commencé à casser les fauteuils ,du temps où les étudiants s’habillaient en duffle coat et bénard de velours ,avant que le Rock déboule !


    • Fergus fergus 14 mai 2009 09:32

      Merci pour ce commentaire, Maxim.

      Les poubelles des beaux quartiers ou des communautés d’artistes ont toujours été une mine pour les amateurs d’objets insolites ou de vêtements parfois quasiment neufs. Sûr que les fringues made in USA, même élimées, devaient attirer les jeunes de Grigny...

      Pour ce qui est de casser les fauteuils, c’est en effet à Sydney Bechet que l’on doit l’inauguration de cette forme d’enthousiasme un peu particulière. Cela s’est passé à l’Olympia en 1949 !


    • maxim maxim 14 mai 2009 09:59

      salut Capitaine ...

      tiens cadeau pour toi ....http://www.youtube.com/watch?v=9frgJdwYNC8


  • TSS 14 mai 2009 09:53

    je suis arrivé à ce genre de musique par un grand tromboniste meconnu :Chris Barber !

    @maxim

    a Grigny ,sa femme ecumait tous les « rades »... !!


  • maxim maxim 14 mai 2009 10:08

    @ Tss .....

    Chris Barber ,celui qui jouait Every body love my baby ! je l’ai découvert dans le juke box fin des année 50 !

    le Grigny d’autrefois ,il a bien changé .....étant ado ,on allait tirer à la 22 long rifle à l’Arbaléte ,le plan d’eau du bas Grigny ....

    on visait les bouteilles de pinard que les pêcheurs laissaient au frais dans des chaussettes mouillées !

    on ferait ça maintenant ,ce serait la taule direct !


  • maxim maxim 14 mai 2009 10:17

    je voulais également évoquer le trompettiste Teddy Buckner qui était venu jouer à Juvisy sur Orge avec sa formation ,ce devait être en 1963 ou 64 ,un orchestre style Armstrong ,c’était chouette ,dommage ,il n’y avait que les vrais amateurs ,les gens en étaient encore aux bals musette dans les mentalités !


    • Fergus fergus 14 mai 2009 10:36

      A cette époque, c’est surtout Claude Luter que j’allais écouter au caveau de la Huchette.
      Et désormais mon fils a pris le relais dans cet étonnant lieu qu’est le New-Morning.


  • maxim maxim 14 mai 2009 11:35

    et Bill Coleman le trompettiste ....la Huchette ,à une époque ,j’y allais assez souvent ....

    je ne suis jamais allé au New Morning ,ils en parlent toujours sur Tsf 89.9 ,je vais bien finir par bouger !


    • Gül 14 mai 2009 11:40

      Salut à tous les deux, smiley

      Le Caveau, j’y ai chanté un summertime mémorable il y a près d’une quinzaine d’années...

      Les musiciens étaient partants pour une version speed et branchée...On a repris au début dans un style plus Sarah Vaughan, je préfère nettement !

      C’est un lieu attachant et magique, les âmes de tous ceux (les Grands) qui y sont passés, sont palpables dans l’atmosphère. J’adore !


    • Fergus fergus 17 mai 2009 09:47

      Bonjour Gül.

      Cela a dû être une expérience mémorable. Comme je l’indique un peu plus loin à Maxim, le Caveau existe toujours avec sa programmation jazz. Mais on y voit désormais les fils de... Fils de Sydney Bechet, Daniel ; fils de Claude Luter, Eric. Plus d’autres éviedemment dont les éternels Haricots Rouges qui s’y produiront début juin.

      Si le coeur t’en dis, tu peux toujours y passer pour un boeuf...


    • Gül 17 mai 2009 11:23

      Fergus,

      Il faudrait que je choisisse correctement le morceau !!!

      Maintenant à force d’excès de cigarettes, j’ai la voix embrumée.... Mais j’aime bien m’y coller encore de temps en temps avec les potes et les cousins musiciens, donc en cercle plutôt fermé...

      Moi aussi ce seront mes enfants qui prendront le relais, mon fils en particulier semble avoir hérité du don musical qui sévit dans ma famille depuis toujours ! smiley


  • maxim maxim 14 mai 2009 11:39

    pour les amateurs de jazz .....

    à écouter sans modération ...http://www.youtube.com/watch?v=mXFZUA1MO5k&feature=related


  • maxim maxim 14 mai 2009 11:57

    thème éternel Summertime ......

    j’ai une ancienne version ici http://www.youtube.com/watch?v=n4PSju9HYwU&feature=related 

    salut Gul !....

    au fait ,la Huchette ça existe toujours ?


    • Fergus fergus 17 mai 2009 09:43

      Salut Maxim.

      Pour ce qui est du Caveau de la Huchette, OUI, il existe toujours au n°5 de la rue. Et il a programmé le 14 mai le Daniel Sydney Bechet Jazz Band pour commémorer la mort de son père. Le même concert sera donné le 29 mai.

      Merci pour les liens et pour cette superbe version de Summertime par Billie Hollyday. Personnellement, j’ai la version orchestrale par The Port of Harlem Seven avec Sydney au saxo soprano. Superbe également.


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