vendredi 17 juillet 2009 - par Julie Dep

« The Reader » : un baiser au lépreux

Ceux qui avec Claude Lanzmann s’inquiètent de l’impact des fictions ayant pour cadre ou prétexte les camps nazis seront ici doublement choqués. Le piège, à leurs yeux induit par la narration romancée, inviterait à supposer aux auteurs ou complices de l’innommable une lueur d’humanité ; à se demander par quelles manipulations des hommes ou des systèmes les ont endoctrinés ; à leur souhaiter, qui sait, une quelconque  rédemption… « Piège » qui fonctionne d’autant mieux avec « The Reader  »* que le monstre est blessé, nous apitoie, nous émeut. Et on n’est pas forcé de le regretter.

Blé en herbe et règlements de comptes post bellum

Michael Berg (David Kross), fils de bourgeois berlinois, a 15 ans en 1958. Lycéen chrysalide, entre grâce et acné, entre prince Charles et Rimbaud, il vit avec Hannah (Kate Winslet), prolo illettrée au regard intense et de 20 ans son aînée, le dépucelage et la liaison dont rêvent ses congénères. Leur histoire, qui durera quelques mois, évolue en douceur ; bientôt c’est lui qui enseignera, à celle qu’on devine parfois meurtrie jusqu’à la panique, et avide de savoir, les grands textes : Schiller, Homère, Shakespeare, Tolstoï, Tchekov…

A cette histoire d’amour précoce, à la Colette, le « lecteur » qu’on retrouve en 1965 étudiant en droit, bien dans sa peau, honnête, bon camarade, doit peut-être l’équilibre et la sérénité qui plaisent aux filles de son âge. Quand, en cours de stage, il retrouve Hannah, sur des bancs d’assises, accusée avec d’autres « sélectionneuses » des camps d’extermination, c’est plus qu’un peu de sa vie qui vole en éclats.

D’une intransigeance l’autre

La génération de Michael est celle des Fassbinder, qui n’auront de cesse de rejeter en bloc celle d’avant, avec la même fermeté qu’avait été condamné en 40 tout un pan de la population. Après les « tous pourris », « tous purs » : peuple, magistrats, pseudo-repentis… Personne pour décrypter un embrigadement qui s’adressait aux proies les plus faciles : enfants, analphabètes, ou de ces bœufs obéissants dépourvus de libre arbitre, qui trouvent loyal de faire le travail, quel qu’il soit, pour lequel ils sont payés. Le film de Stephen Daldry est un plaidoyer pour le savoir, sans lequel pas de citoyenneté, le dernier qui a le mieux crié l’emportera toujours ; et la plupart de ses contemporains seront, au gré du calendrier, des damnés en puissance ou de braves types.

*Tiré du roman éponyme de Bernard Schlink



13 réactions


  • franck2009 17 juillet 2009 12:10

    Claude Lanzmann a été lé premier à utiliser la shoah comme un spectacle. Son documentaire relevant davantage de la fiction que de l’Histoire. A l’époque la presse se fit l’écho de cette préocupation....


  • Julie Dep Julie Dep 17 juillet 2009 12:22

    @franck
    Quelle fiction chez Lanzmann ? Son reportage (magnifique) était tout entier composé de témoignages, avec pour décors les lieux nus, sans la moindre reconstitution.


  • samir 17 juillet 2009 14:54

    commence a etre barbant la Shoah


  • Fergus fergus 17 juillet 2009 15:13

    Je ne sais pas ce que vaut ce film, mais le sujet est superbe, entre d’un côté la soif de culture, et de l’autre l’ambivalence qui habite de très nombreux humains.


  • Julie Dep Julie Dep 18 juillet 2009 09:41

    Mr Pigeon

    On en parle moins parce qu’ils furent moins nombreux - comme les homosexuels. Auraient probablement suivi les Africains, et tout ce qui ne collait pas au modèle.... Le propos du film, et ce qui nous intéresse, c’est, d’une part, le rôle de l’ignorance dans la capacité d’un peuple à suivre n’importe quel meneur, de l’autre, la possibilité d’une rédemption.

    Le reste, à mon avis, est du coupage de cheveux en quatre.


    • Iren-Nao 18 juillet 2009 10:55

      @Julie Dep

      Vous avez raison :

      « Le reste, à mon avis, est du coupage de cheveux en quatre. » voire des « points de detail »

      Bon article, et sans doute bon film.



      Iren-Nao


    • Julie Dep Julie Dep 18 juillet 2009 13:40

      Merci, Iren. Ce n’est pas un chef d’œuvre, mais il donne à réfléchir. On en sort attristé, peut-être meilleur.


    • Julie Dep Julie Dep 18 juillet 2009 13:42

      Je parle du film ! :)


    • Mr Pigeon Mr Pigeon 18 juillet 2009 17:04

      Quand l’on répond à l’un de mes messages, j’apprécie, mais il ne faut pas s’intéresser seulement à ses deux premières lignes. Et les slaves ?

      De plus, ma réponse portait sur le message précédant de Samir et non sur le film.


    • Julie Dep Julie Dep 18 juillet 2009 18:17

      OK, pardonnez-moi, et merci pour le fromage (qui donne quand même 32% de juifs...).
      Je suis d’accord sur l’appellation que vous proposez de « génocide nazi ». Ca mettra tout le monde d’accord. :)


  • Iren-Nao 18 juillet 2009 11:08

    Il est de fait que les vrais salauds conscients sont assez rares.

    Le discernement entre bien et mal est le plus souvent affaire d’information et de valeurs, et d’education.

    Les cons ou meme pas cons un peu laches abondent.

    Vous n’avez jamais ete laches ? moi oui, trop souvent. !

    Je ne parle pas de courage physique, c’est le plus facile, et pas toujours...

    Que celui qui n’a jamais peche jette la premiere caillasse

    Pardon et redemption sont toujours possibles, mais je ne suis pas non plus contre la vengeance brute.

    Iren-Nao


Réagir