« Titane », métal hurlant !
Que raconte Titane ? On suit le parcours chaotique d’Alexia (Agathe Rousselle), une jeune femme qui, suite à un accident de voiture quand elle était petite, ayant entraîné qu’elle vit avec une plaque en titane - métal hautement résistant à la chaleur et donnant des alliages très durs – dans la tête, est une danseuse se produisant, à moitié nue dans des salons de l’auto, devant des fans, aux comportements masculins souvent décomplexés, lui demandant, fascinés, autographes, selfies, voire câlins. Mais, derrière cette showgirl carburant au turbo et au tuning, se cache en fait une auto-destructrice doublée d’une tueuse sans pitié, qui va bientôt croiser la route d’un homme, loser magnifique, un pompier (Vincent Lindon) broyé par la disparition de son fils.
« Quand j’étais petite, dixit la jeune réalisatrice Julia Ducournau, âgée de 37 ans, à la remise du prix ô combien prestigieux au dernier Festival de Cannes (le Graal pour les gens de la profession), c’était un rituel de regarder chez nous la cérémonie de clôture avec mes parents et, à l’époque, j’étais sûre que tous les films primés devaient être parfaits puisqu’ils avaient l’honneur d’être sur cette scène. Ce soir, j’ai l’honneur d’être sur cette scène et je sais que mon film n'est pas parfait. Mais je pense qu'aucun film n'est parfait aux yeux de celui ou celle qui l'a fait de toute façon. On dit même du mien qu'il est monstrueux. Vous savez, maintenant que je suis devenue adulte et réalisatrice, je me rends compte que la perfection n'est pas une chimère, c'est une impasse. C'est une impasse. Et la monstruosité qui fait peur à certains et qui traverse mon travail, c'est une arme, une force à repousser les murs de la normativité qui nous enferme et qui nous sépare. Il y a tant de beauté, d'émotion et de liberté à trouver dans ce qu'on ne peut pas mettre dans une case. Et dans ce qu'il reste à découvrir de nous. Merci au jury de laisser rentrer les monstres. »
Alors, que vaut ce Titane dont tout le monde parle ? Auréolé d'or depuis son escale au Festival de Cannes 2021 (Palme d’or, donc). Bonne nouvelle ! David Cronenberg et John Carpenter, assistés par Gaspar Noé, ont eu une fille, elle s’appelle… Julia Ducournau. La greffe a pris. Son bébé filmique est monstrueux ! De très beaux passages dedans, à l’exception selon moi, au tiers du film, d’un jeu de massacre trop à la sauce tarantinesque : l’humour gaguesque couplé à une ultra violence. Eh bien là, je suis resté à quai ; la séquence est mal fichue.
Sinon, ce film-tripes, ayant le goût de la fusion, de l’hybridation femme/machine, de la chair humaine maltraitée ainsi que de la confusion des genres, tire sa force de la virilité exacerbée de Vincent Lindon - son personnage de commandant d’une caserne de pompiers bodybuildé, se refusant à vieillir, se bourre de stéroïdes - apportant un heureux contrepoint face à la féminité survoltée, et quelque peu déviante (elle tue sauvagement, façon Basic Instinct), de son héroïne principale. A la différence près que celle-ci, Alexia/Adrien, contrairement à la retorse Catherine Tramell (Sharon Stone) dans le thriller érotique de Verhoeven, souffre quand elle donne la mort.
À part ça, comme disait Baudelaire, le beau est toujours bizarre : Titane est zarbi, donc, et beau à sa façon, à la manière de la beauté cachée des laids, des bâtards, des marginaux et des monstres. Mon voisin de salle à l’UGC Odéon (Paris), juste après la dernière image diffusée du film, s’est levé d’un bond en disant, avant de sortir précipitamment - « Oh là là, on est mal barré ! Moi, j’vous le dis, on est vraiment mal barré ! » Qu'est-ce à dire ? A-t-il aimé ce film-monstre, à tendance féministe, sorti sous l'ère Covid-19 ? Rien n’est moins sûr !
Long métrage clivant donc, que ce film de genre transgenre, où vient se lover une histoire d'amour improbable (Eros/Thanatos), qui vaudra toujours mieux, tout compte fait, qu’un film de festival pépère palmé d’or, académique et soporifique, estampillé Bille August ou Angelopoulos. Merci Spike Lee, président du jury de l'édition cannoise 2021, donc. « A Julia Ducournau Joint », pourrait d’ailleurs être sous-titré son film, calé entre horreur, gore, pure expérience sensorielle et drame. Certes, ce Titane est imparfait, quelques scories par-ci par-là et on sent un peu trop par moments l’empreinte de glorieux aînés derrière, de Carpenter à Verhoeven via Cronenberg, Noé et autres Tarantino, mais il est attachant, tel un enfant malade ou profondément différent, et suffisamment singulier pour retenir l'attention de bout en bout. Mais attention, film interdit aux moins de 16 ans, âmes sensibles s’abstenir !