vendredi 27 avril 2012 - par Vincent Delaury

« Twixt », deux doigts coupent faim ?

Un écrivain sur le déclin arrive dans une petite ville pour une séance de dédicaces. Amateur de ses livres fantastiques, le vieux shérif du coin lui raconte qu’un horrible crime s’est produit dans un hôtel où autrefois le légendaire Poe s’arrêtait. L’écrivain bascule bientôt dans un monde de limbes, entre songe et réalité, où les contraires se rejoignent…

J'ai vu le film Twixt* qui, à dire vrai, m'a laissé sur ma faim. « Twixt, deux doigts coupent faim ? ». Humm, pas vraiment. Alors, bien sûr, il y a des passages somptueux, parce qu’on y sent la « Coppola touch ». C’est le film-somme qui condense toute son œuvre : les petites bourgades d’Outsiders, le noir & blanc de Rusty James, les fifties de Peggy Sue s’est mariée, le rouge sang de Dracula, les traumas familiaux d’Il Padrino et tutti quanti ; c’est le film de l’entre-deux (mondes), annoncé par son titre, mêlant avec malice, voire 12e degré, rêve et réalité, jour et nuit, sommeil et veille, succès et échec, jeunesse et vieillesse, Eros et Thanatos, vie et mort ; et c’est son film le plus godardien, peut-être le plus personnel, où Coppola, en défricheur analytique du cinématographe, se souvient de la définition même du 7e art par Derrida (« L’art de faire revenir les fantômes ») pour nous offrir un très beau moment de cinéma : lorsque Edgar Allan Poe himself dit à Hall Baltimore (Val Kilmer, très bon) « Nous partageons le même fantôme », déclaration suivie de la vision dans un étang, servant d’écran et de révélateur, nous dévoilant, par le tracé d’un hors-bord sur la mer, la mort de la petite fille de l’écrivain de seconde zone, double du fils prématurément décédé de Coppola, Giancarlo, mort à 22 ans dans un accident de bateau. Passage ô combien poétique et poignant. Le Maître fait ici sans faux-semblants du cinéma un art-thérapie en forme d’exorcisme : il est bien un auteur, digne de « l’Author’s Studio » façon Welles, en aucun cas un Yes Man ou un tâcheron de service hollywoodien.

Mais le danger d’un tel film, labellisé Coppola, est de refaire le film comme Eugène Saccomano, commentateur et interprète footballistique, refaisait une partie de foot. D’aucuns, aficionados transis de l’ex-nabab du cinéma américain (cf. Cahiers du cinéma, Chronic’art, Libé et autres Excessif), l’alimentent, subliment ce Twixt, en font un objet rond, parfait, dans lequel Coppola intégrerait TOUT [traumas personnels, beauté numérique (ah ouais ?!), 3D, goût pour la série B, voire Z, twists en veux-tu en voilà, références à ses propres films, etc.] pour nous démontrer coûte que coûte la virtuosité du long métrage. On lit volontiers leurs critiques, dithyrambiques, puis on voit Twixt, et là on se dit - aïe. Certes, le film n'est pas inintéressant. C'est le Huit et demi de Coppola, son film-poupées russes, son opus gigogne. Il déroule, amusé et sincère, le fil de sa filmographie, devenant en quelque sorte l'exégète de son propre film et de sa propension à savourer fiction à tiroirs et bouches d'ombre. Mais, à part ça (le fait que Twixt soit une série B logeant un film d'auteur et vice-versa), faut-il pour autant en faire, comme d’aucuns le font, un chef-d'œuvre ?

Non, manque de Poe, il y a des plans abominables. Les citrons jaunes au pensionnat : cette séquence-là, sur-éclairée, est franchement moche. Comme si Coppola avait confié la réalisation 2e équipe à un étudiant en cinéma 2e année doté d’un budget pire qu'un micro-budget de faux documentaires US, puis était parti boire un coup avec Tom Waits pour se rappeler le bon vieux temps de Rusty James. Et que dire des passages avec les djeun’s vampiriques de l'autre côté du lac ? Flamingo et ses pouliches gothiques tatouées comme dans la pire vidéo de base postée sur YouTube, c'est ça la décadence ? Même Jacques Deray avec sa boîte à homos caricaturale du Marginal faisait mieux, dans le pire, c'est dire ! Mazette, il est où le cinéaste barré du show Suzie Q d'Apocalypse Now  ? Certaines images lisses de Twixt, style Prisunic numérique avec couleurs qui bavent, sont d’un lo-fi et d’un cheap tout de même problématiques. Alors, d'aucuns nous diront - « Attends, boloss, t'as rien compris, c'est un film postmoderne qui affirme le kitsch et le foireux du storytelling dudit film de genre et patati et patata. » La postmodernité a alors bon dos ! Et à ce titre-là - c'est nul, ça assume l'échec, le déceptif et autres -, n'importe quel épisode d'Hélène et les garçons, ou parodie TV estampillée Patrick Sébastien, me semble rattrapable !

Twixt est loin d'être nul. Mais la tendance à vouloir en faire un… grand petit film, parce qu'objet mineur d'un cinéaste majeur s'évertuant à n'être plus qu'un « jeune cinéaste prometteur », me semble s’inscrire dans la droite lignée de la sacro-sainte, et redoutable, politique des auteurs**. On aime tellement Coppola qu'on projette dedans - le film ne devenant plus qu'un support pour plaquer dessus son amour du cinéma et de la filmo prestigieuse d'une grande figure (passée) du Nouvel Hollywood. Non, décidément, malgré quelques pépites, ce Twixt (titre original : Twixt Now ans Sunrise, « entre maintenant et l’aube ») porte bien son nom : film inégal (du 2,5 sur 5 pour moi), mi-réussi, mi-foiré. Bon sang, à quand de nouveau un grand film incontestable signé Francis Ford Coppola ?

* Twixt, Film d’horreur d’auteur de F.F. Coppola. (USA, 2011) avec Val Kilmer, Bruce Dern et Elle Faning. En salles depuis le 11 avril. 

** La politique des auteurs conduit souvent à ne garder du nom du réalisateur que la marque en mettant au second plan l’œuvre en question, à analyser pourtant au plus près et à juger sur pièces.

 



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