Un classique indémodable : Les Liaisons dangereuses
Je relis depuis quelque temps Les Liaisons dangereuses, avec beaucoup de plaisir et d'intérêt. Je connais peu de réussites aussi incontestables dans notre littérature, peu de romans français qui jouissent d'une telle unanimité critique. C'est le livre préféré de presque tous ceux qui l'ont lu, et la meilleure illustration pour eux du plaisir que peut procurer la lecture. Beaucoup d'auteurs ont aussi écrit sur Les Liaisons dangereuses, et comme ils ont voulu prouver qu'ils étaient au moins aussi intelligents que leur sujet (et ce n'est pas peu dire), ils ont en général écrit beaucoup d'âneries (la palme du galimatias ampoulé revenant, comme souvent, à Malraux). Si je devais définir pour quelle raison le chef-d'œuvre de Laclos se situe tellement au-dessus des autres romans libertins de son siècle, je dirais tout simplement ceci : dans Les Liaisons dangereuses, tout est subordonné à l'intrigue. Au contraire de Dorat et Crébillon avant lui, de Stendhal après (cf. Lucien Leuwen), Laclos ne se permet jamais de faire de l'esprit gratuitement. Son ouvrage possède la rigueur et parfois la sécheresse d'une démonstration mathématique. Laclos ne s'égare pas en chemin, chaque lettre, chaque phrase est directement motivée par les nécessités du récit. Plutôt que d'employer les ressources admirables de son intelligence à briller, il les a toutes mises au service de son histoire et de ses personnages, qui, de ce fait, sont devenus de véritables archétypes. A cet égard, il est de la même famille d'esprits que Racine (auquel les Liaisons font plusieurs fois référence), lequel dédaignait de faire de beaux vers bien frappés à la Corneille, pour bâtir des pièces impeccables et cristallines.