samedi 6 octobre 2018 - par rosemar

Un extrait de l’Odyssée : une scène familière au bord de l’eau...

On connaît certains épisodes célèbres de l'Odyssée : les sirènes, le cyclope Polyphème, la magicienne Circé, mais on connaît moins certains passages plus intimistes de cette épopée primitive...

Notamment cet extrait du Chant VI où l'on voit la jeune Nausicaa aller laver du linge au bord d'un fleuve... Une scène familière et si précieuse pour comprendre la vie quotidienne à l'époque d'Homère...

La scène se situe en Phéacie, une sorte d'utopie, un pays d'abondance où échoue Ulysse, après une tempête, déchaînée par le dieu Poseidon.

La jeune Nausicaa, fille du roi Alkinoos, pressée par un songe envoyé par Athéna, se rend, avec ses suivantes, au bord d'un fleuve afin de laver son linge...

C'est là, en jouant à la balle après le labeur qu'elle aperçoit Ulysse.

La description du fleuve est élogieuse grâce à l'emploi d' un équivalent de superlatif : "périkaléa, très beau..."

Un monde d'abondance est évoqué : les lavoirs sont intarissables, l'eau est abondante... et le champ lexical de l'eau est particulièrement développé : "le courant, le fleuve, les lavoirs, l'eau..."

Homère décrit, dans cet extrait, un univers paradisiaque, quasi-divin : la scène est pleine de gaieté et d'harmonie, Nausicaa et ses compagnes agissent ensemble, elles sont associées dans l'énoncé.

Homère nous fait voir, aussi, une scène de la vie quotidienne : on apprend comment on lavait le linge, à cette époque lointaine...

Au bord d'un fleuve, ce sont les femmes qui foulent le linge dans des bassins, puis elles l'étendent sur la grève.

Elles en profitent aussi pour se laver elles-mêmes et oindre leur corps d'huile...

On perçoit ici une scène de la vie quotidienne, une succession de gestes simples : on dételle les mules, on leur fait brouter l'herbe, on sort les vêtements, on les lave, avec empressement et ardeur à la tâche.

La Phéacie apparaît comme un pays civilisé, où la propreté est essentielle : celle du linge et celle des corps, un pays d'abondance, également : l'eau coule à flots, l'herbe y est "douce comme le miel".

Après avoir travaillé, les jeunes filles se détendent, prennent un repas, puis jouent à la balle, dans une harmonie parfaite. C'est alors que Nausicaa aperçoit Ulysse qu'elle ramène au palais de son père.

Ainsi, l'épopée n'est pas faite seulement d'épisodes héroïques, mettant en valeur le courage des personnages, l'épopée restitue aussi la vie ordinaire et quotidienne...

C'est ce qui en fait toute la valeur : on aime cette scène empreinte de simplicité et de vie.

On aime la poésie des épithètes homériques : "le fleuve au beau cours, "l'herbe douce comme le miel", "Nausicaa, aux bras blancs"...

Nausicaa est dans l'Odyssée une figure de la séduction : c'est une princesse à la figure d'immortelle et Homère la compare, après cet extrait, à la déesse Artémis.

 

Le texte :

 Αἱ δ᾽ ὅτε δὴ ποταμοῖο ῥόον περικαλλέ᾽ ἵκοντο, 85
ἔνθ᾽ ἦ τοι πλυνοὶ ἦσαν ἐπηετανοί, πολὺ δ᾽ ὕδωρ
 καλὸν ὑπεκπρόρεεν μάλα περ ῥυπόωντα καθῆραι,
ἔνθ᾽ αἵ γ᾽ ἡμιόνους μὲν ὑπεκπροέλυσαν ἀπήνης.
Καὶ τὰς μὲν σεῦαν ποταμὸν πάρα δινήεντα
 τρώγειν ἄγρωστιν μελιηδέα· ταὶ δ᾽ ἀπ᾽ ἀπήνης 90
εἵματα χερσὶν ἕλοντο καὶ ἐσφόρεον μέλαν ὕδωρ,
στεῖβον δ᾽ ἐν βόθροισι θοῶς ἔριδα προφέρουσαι.
Αὐτὰρ ἐπεὶ πλῦνάν τε κάθηράν τε ῥύπα πάντα,
ἑξείης πέτασαν παρὰ θῖν᾽ ἁλός, ἧχι μάλιστα
 λάιγγας ποτὶ χέρσον ἀποπλύνεσκε θάλασσα. 95


Αἱ δὲ λοεσσάμεναι καὶ χρισάμεναι λίπ᾽ ἐλαίῳ
 δεῖπνον ἔπειθ᾽ εἵλοντο παρ᾽ ὄχθῃσιν ποταμοῖο,
εἵματα δ᾽ ἠελίοιο μένον τερσήμεναι αὐγῇ.
Αὐτὰρ ἐπεὶ σίτου τάρφθεν δμῳαί τε καὶ αὐτή,
σφαίρῃ ταὶ δ᾽ ἄρ᾽ ἔπαιζον, ἀπὸ κρήδεμνα βαλοῦσαι· 100

 

Traduction :

"On atteignit le fleuve aux belles eaux courantes, près duquel sont des lavoirs où monte en toute saison une eau claire et abondante, telle qu'il faut pour blanchir même le linge le plus souillé. Les femmes détachèrent les mules de la charrette et les poussèrent le long des rapides du fleuve pour y paître l’herbe douce comme le miel. Puis, à pleins bras, elles enlevèrent le linge de la charrette et le portèrent dans l’eau sombre des bassins, où elles le foulèrent, rivalisant entre elles d’activité. Quand elles l’eurent bien lavé et qu'il ne resta plus aucune tache, elles l’étendirent sur la grève, là où la mer forme une ligne épaisse de galets rejetés. Puis elles se baignèrent, s'oignirent d'huile brillante et prirent leur repas au bord du fleuve, tandis que les vêtements séchaient au grand soleil. Après qu'elles se furent rassasiées, elles ôtèrent leurs voiles pour jouer à la balle."

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2017/06/un-extrait-de-l-odyssee-une-scene-familiere-au-bord-de-l-eau.html

 

 Une conférence de Luc Ferry sur L'Odyssée :



23 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 octobre 2018 13:07

    Les femmes éternelles. 

    Les femmes éternelles - Antigone, Dulcinée, Nausicaa, Mélusine...
    Antigone, Dulcinée, Nausicaa, Mélusine...

    • jef88 jef88 6 octobre 2018 19:30

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      A AJOUTER !
      Rosemar ! ! ! !

    • rosemar rosemar 6 octobre 2018 19:40

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      MERCI pour cette jolie référence :https://www.babelio.com/livres/Kelen-Les-femmes-eternelles/381803
      Je suis la nostalgie au fond de votre cœur. Je vous attends depuis l’aube du monde, je veille sur chaque heure de votre sommeil. C’est mon sourire qui vous a portés jusqu’à ce jour et qui vous fait croire en la vie. Je suis votre destin, je fais tourner la roue. Je suis la Femme. Une brise de rien du tout sur l’océan de vivre.


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 7 octobre 2018 12:41

      @rosemar
      j’ai été sous de nombreuses formes,
      Avant d’être libre. (...)
      J’ai été errant dans les airs,(...)
      J’ai observé les étoiles,(...)
      J’ai été une lampe brillante,(...)
      J’ai été route, j’ai été aigle,
      J’ai été coracle sur la mer. (...)

      ( Kat Godeu Gallois ).


      Je suis votre Hermès ou miroir d’Aphrodite. J’accueille vos nuits, votre destin votre sourire et votre brise m’emporte. Nous portons le monde. Janus ou l’hermaphrodite est homme le jour et femme la nuit (ce jour est celui de la Belle de nuit). Il ne sont pas deux en un , mais un en deux.

  • Étirév 6 octobre 2018 13:44

    « Au bord d’un fleuve, ce sont les femmes qui foulent le linge dans des bassins, puis elles l’étendent sur la grève.
    Elles en profitent aussi pour se laver elles-mêmes et oindre leur corps d’huile...
     »
    Les travaux ménagers, l’entretien de la beauté... n’oublions pas que la Femme antique avait également des activités intellectuelles.
    Cela me permet de rebondir sur le personnage d’Homère, sa personnalité surtout car finalement on ne sait pas grand chose sur « lui ».
    Homère est un de ces auteurs sur lesquels les historiens ne nous donnent que des renseignements vagues, ce qui peut sembler étrange, étant donné l’exagération avec laquelle ils chantent les louanges des hommes.
    Le voile jeté sur cette grande personnalité a amené Vico, au XVIIIème siècle, à considérer Homère comme un mythe ; ce à quoi Fabre d’Olivet répond (La Langue Hébraïque restituée, T. 1, Introduction, p. XXVI.) : «  On a dit qu’Homère était un être fantastique, comme si l’existence de l’Iliade et de l’Odyssée, ces chefs-d’œuvre de la pensée, n’attestaient pas l’existence de leur auteur ! Il faut être bien peu poète et savoir bien mal ce que c’est que l’ordonnance et le plan d’une œuvre épique pour penser qu’une troupe de rapsodes, se succédant les uns aux autres, puisse jamais arriver à l’unité majestueuse de l’Iliade ».
    Cette façon d’attribuer l’œuvre de cet auteur à plusieurs poètes, l’insistance mise à cacher sa personnalité, tout cela ajouté à d’autres faits, surtout l’altération de l’œuvre, a donné à penser que cet auteur mystérieux, si bien caché par l’histoire, était une femme, et c’est ce qui explique pourquoi l’existence d’Homère a été donnée comme incertaine à l’époque où les hommes s’appliquaient à détruire les œuvres féminines et à effacer leur nom de l’histoire.
    Le nom d’Hemœra masculinisé est devenu Homère. Fabre d’Olivet nous apprend ceci :
    « Le nom d’Homère n’est pas grec d’origine et n’a point signifié, comme on l’a dit, aveugle. La lettre initiale O n’est point une négation, mais un article (ho) ajouté au mot phénicien mœra, qui signifie au propre un foyer de lumière et au figuré un Maître, un Docteur  » (Vers dorés, p. 73).
    Mais le mot mœra est féminin, et c’est l’article féminin he (la) qui le précédait. Ce nom alors était Hemœra.
    Il est facile de comprendre comment le nom fut altéré : en voulant le masculiniser, on remplaça l’article féminin He par l’article masculin Ho, et Hemœra devint alors Homeros. Ce fut tout simplement un changement de genre pour consacrer un changement de sexe. Donc, c’est par antithèse que de mœra, lumière, voyance, on fait d’Homère un aveugle.
    Hemœra est une Déesse dont le nom et l’histoire remplissaient l’Europe, qui joua un grand rôle en Grèce et particulièrement dans l’ancienne Achaïe.
    Hemœra signifie la lumière, et il semble bien que Diane, dont le nom signifie aussi le jour, soit la même Déesse dont le nom serait exprimé dans une autre langue (Diane vient de Dia, qui signifie jour, lumière, et ana, ancien).
    Mais ces surnoms sont ajoutés à un nom réel qui devait être Europe, lequel nous a été conservé dans les Mystères de la Grèce et dans la mythologie des Prêtres. Dans de nombreuses inscriptions trouvées sur les bords de la Méditerranée, les Prêtresses sont appelées Mœres, d’où le mot Mère. Hemœra c’est la mère spirituelle.
    Par toute la Gaule, on trouve des inscriptions portant Deabus Mœrabus (Déesses Mères) ou bien Deœ Mœrœ (Encycl. méthod.).

    Dans la langue celtique, le mot Mère se dit Ma. (Ce mot répété a fait Mama.) Il a servi de racine au mot Mère dans toutes les langues (Matri, Mater, etc). On s’est étonné que le mot français Mère n’ait pas la même racine ; c’est qu’il a une autre origine : il signifie Mère spirituelle. Il y a donc en français deux mots pour désigner la même personne : Maman et Mère.
    Les prêtresses d’Hemœra sont « celles qui regardent » (les astronomes). Du temps de Strabon, on voyait à Dianeum, en face des Baléares, le célèbre observatoire appelé Hemeroscope, tour pyramidale servant, selon la science de ces anciens peuples, à déterminer l’instant précis de l’arrivée du soleil aux tropiques (Odyssée).
    C’est la Déesse Hemœra qui écrivit les poèmes dits homériques, qui sont considérés comme les livres saints de la Grèce. On les faisait remonter à la Divinité, donc à la Femme Divine, comme les livres sacrés de toutes les autres nations.
    Les vers de ces poèmes étaient portés de ville en ville, par des chanteurs appelés « Aèdes », qui excitaient le plus vif enthousiasme. Ces Aèdes, appelés aussi « Hémœrides », faisaient la plus active propagande des vers de l’Iliade, ce qui prouve qu’ils prenaient une grande part dans la lutte, qu’ils avaient un grand intérêt dans le triomphe des idées qui y étaient exposées.
    Au XVIIIème siècle, on ne croyait plus à la personnalité d’Homère. L’abbé d’Aubignac, dans ses Conjectures académiques publiées en 1715, dit qu’Homère n’a jamais existé. Dans Prolegomena ad Homerum, publié en 1795, Wolf nie également l’existence d’Homère.
    En 1793, on publia L’Examen de la question si Homère a écrit ses poèmes.
    Parmi les modernes, il y en a qui vont plus loin et qui osent rendre aux poèmes homériques leur véritable auteur, la Femme.
    Samuel Butler (1835-1902) est de ceux-là. Il publia divers travaux sur l’Odyssée, où il émit l’idée que le véritable auteur de ces poèmes était Nausikaa elle-même.
    Suite...

  • Plotina Plotina 6 octobre 2018 14:31

    Merci Rosemar pour cet article bien écrit et construit , c’est un délice de le lire. 

    Une scène repos du guerrier, l’idylle paradisiaque, les joies sensuelles. La symbolique de l’eau qui lave et guérit, qui ôte la sueur et le sang des combats. L’amour aussi.Elle préfigure l’eau lustrale du baptême. 
    Dans notre vie aussi, il faut faire couler dans notre âme de l’eau vive qui ne doit pas devenir le lieu où l’eau stagne et se salit, sinon on s’embourbe dans la vase .. .

  • Aristide Aristide 6 octobre 2018 14:38

    Si votre culture livresque ne vous éloigne pas trop des oeuvres cinématographiques, je vous conseille de voir « O’Brother » des frères COHEN. 


    Ce film s’inspire assez librement de l’oeuvre d’Homère, vous verrez, un savoureux moment avec un Georges Clooney en Ulysse, et comme d’habitude avec les frères Cohen, un « casting » incomparable. Un petit conseil, ne lisez pas les critiques avant, vous aurez le vrai plaisir de voir les réalisateurs reprendre les mythes et aventures d’Ulysse dans l’Odyssée, un petit plaisir de les reconnaître, de les découvrir, revisités dans un Mississippi des années 1930. 

    Si vous appréciez la musique américaine, blues et country, la bande sonore est d’une qualité ... assez incontestable.



  • Abou Antoun Abou Antoun 6 octobre 2018 14:50
    Bon, si on résume, Ulysse (en bon hétéro) jouit de voir des filles à poil, pendant que Madame fait tapisserie à Ithaque.
    Les ligues féministes devraient démarrer au quart de tour.


    • Plotina Plotina 6 octobre 2018 15:02

      @Abou Antoun
      Se réjouit nuance. 

       smiley

    • Abou Antoun Abou Antoun 6 octobre 2018 15:16

      @Plotina

      Les deux mon Capitaine !


    • mmbbb 6 octobre 2018 20:23

      @Abou Antoun c est la description des travaux ordinaires de la mere Denis , la derniere lavandiere de france mais ecrit en grec . D ailleurs Rosemar devrait nous traduire en grec « c est bien vrai ca » Que font les féministes ? Une ode aux femmes s activant à des taches ménagères , Rosemar ose braver l ordre établi . il est vrai que la machine a laver a remplacer Homère , et que la pub a la con des lessives ne sont pas aussi bien ecrit


    • rogal 6 octobre 2018 20:54

      @Abou Antoun
      Cette scène – un clip antique – a effectivement quelque chose de dégradant pour l’image de la femme. Du coup cet Homère n’a pas eu le prix Nobel de littérature.


  • velosolex velosolex 6 octobre 2018 15:05

    Nos bigoudenes donnaient elle aussi de l’ huile de coude, et du battoir, et il y avait bien des esthètes, à admirer leur croupe, se relevant et s’abaissant au dessus de l’aven. 

    Bien peu défaisaient par contre leur chemise pour s’astiquer d’huile, après un bain dans le courant. C’est que l’eau était froide. 
    Et le curé n’aurait pas apprécié, trop tenu par le corset de la religion ! 
    C’est bien dommage pour lui ce con. 

    Un p’tit bain à poils au milieu des demoiselles....Gauguin n’aurait pas eu besoin d’aller aux Marquises, pour voir des princesses et autres déesses nues.
     Lui aussi pensait que la misère était bien moins pénible au soleil, et rêvait aux filles alanguies qui vous mettent autour du cou des colliers de fleurs qui enivrent.
     
    C’est pas le tout, mais à rêver à ces conneries, le boulot n’avance pas. 
    Nous v’la dans de beaux draps mouillés.
     Et qui c’est ce con qui se cache derrière un taillis ?
    Encore un voyeur. 

  • pallas 6 octobre 2018 15:56
    rosemar
    Bonjour,

    Un petit cours d’histoire.
    Lors de la seconde guerre mondial et l’occupation de la france par les nazis, beaucoup de femmes ont copulé avec l’envahisseur, et de leurs propres chefs, sans contrainte et ni viol.

    C’est beau la réalité n’est ce pas ?, malheureusement, la théorisation de la femme gentille et honnête n’existe pas.

    Simplement car je n’existerai pas tout simplement, un accident je suis, hé hé hé.

    Les femmes Tchétchènes, Ukrainiennes, sont réels, les françaises parcontre juste des choses méprisable et insignifiante.

     smiley

    Salut


  • Abou Antoun Abou Antoun 6 octobre 2018 22:07

    Ce passage consacré aux lavandières c’est de l’Homère-Denis.


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