mardi 8 septembre 2009 - par Vincent Delaury

« Un Prophète », à quoi ça sert ?

Grand Prix du 62ième Festival de Cannes, Un Prophète, sur 2h30, raconte l’histoire du jeune analphabète Malik, 19 ans. Condamné à six ans de prison, il est le plus jeune détenu de la centrale où il arrive. Sans aucun repère, complètement inexpérimenté, il tombe sous l’emprise d’un groupe de prisonniers corses qui lui apprend rapidement la loi du plus fort. Tout en gagnant la confiance des Corses et en exécutant pour eux des « missions », il en profite pour tisser, dans l’ombre, son propre réseau.
 
Assez bien aimé formellement Un Prophète mais sans plus non plus, du 3 sur 5 pour moi. Est-ce parce qu’une certaine « presse établie » a trop encensé ce film primé à Cannes, son réalisateur Jacques Audiard, qui passe désormais aux yeux de certains pour le Messie du cinéma de genre français, et son jeune acteur inconnu jusqu’alors, Tahar Rahim ? Bien sûr, et c’est tout à fait louable, le cahier des charges du « film de prison » est respecté (souci de vérisme pour témoigner au plus près de la réalité effrayante des prisons dans l’Hexagone). On entre illico dans la mêlée, à hauteur d’homme et entre les murs, derrière l’épaule des prisonniers et matons ; on leur colle aux basques. L’univers masculin à tendance machiste est au rendez-vous : il s’agit là-dedans de se faire respecter, d’en imposer par la ruse et la force et de montrer, à forte dose de testostérones, qu’on n’a pas froid aux yeux. Filmé caméra à l’épaule, style doc capté sous le manteau, le film évite une trop grande caricature façon l’inénarrable Truands (2007) de Schoendoerffer et montre bien l’univers carcéral impitoyable, ses dommages collatéraux et souligne à quel point la guerre des gangs et les conflits de communautés trouvent dans ce vase clos une caisse de résonance toute particulière. En prime, Audiard est à l’aise dans sa greffe (« à la française », « à l’américaine »). En digne successeur de ses maîtres américains (De Palma, Scorsese…), il n’oublie pas de s’écarter de la caméra-vérité pour tendre vers le symbole, cf. le poids du péché avec la mort qui vient hanter les vivants (le compagnon des douches mort visitant le héros dans sa cellule) et la perte de l’innocence (la scène du chevreuil percuté par la voiture des truands). Pour autant, et même si le film est bien balancé, on n’est guère surpris d’aller dans ces contrées-là, celles qui mènent aux chemins escarpés de la rédemption chers à Marty Scorsese.
 
Sans faire mon vieux schnock ou me prendre pour Fadela Amara qui s’inquiétait récemment de la réception de ce film dans les banlieues « chaudes », le propos du film me semble assez embarrassant. De la même façon qu’avec Sur mes lèvres on suivait le parcours d’une secrétaire naïve apprenant à se faire garce (ce qui s’avérait passionnant à suivre parce que son handicap physique et la bande de cons qui l’entouraient nous la rendaient sympathique, en tout cas attachante), ici, avec Un Prophète, on a affaire à un parcours initiatique : celui d’un bleu, d’un potentiel Little Big Man, l’analphabète Malik El Djebena, qui apprend à se faire caïd et chef de clan en parvenant à imiter puis dépasser le modèle cynique dont il s’inspire (César Luciani, l’excellent Nils Arestrup) via les dialectiques père/fils et maître/esclave. Le dernier plan du film est révélateur : le petit caïd devenu grand sort de prison et aussitôt trois grosses voitures aux vitres fumées viennent épouser sa marche parce qu’il est devenu un homme de réseaux à suivre, un as du trafic de drogue, un parrain respecté, influent et craint. En gros, c’est Regarde cet homme ne pas tomber. Or c’est là que le bât blesse pour moi. Où est la rigueur morale du film ? On peut se dire – Tiens, c’est cool, on fait des coups fumants en taule et en perm’, on tue en loucedé, et on s’en sort avec du pognon à la clé. Au moins, dans le cultissime Scarface de 1983, scénarisé par Oliver Stone, le truand Tony Montana s’en sortait très mal - de l’ascension sous le soleil de Miami (fortune, pouvoir, jolies pépées…) à la terrible chute ; à moins d’être mou du bulbe, on n’envie guère le sort de ce gangster déchu : un flingue à la main, le nez dans la poudre et le corps criblé de balles au sommet de son empire de la drogue aux pieds d’argile. De même, dans le récent Mesrine, signé Richet, certes on nous mettait en empathie avec ce lascar plein de panache, façon Robin des Bois, mais cela finissait très mal pour lui : mitraillé par les flics en plein Paris, porte de Clignancourt, le 2 novembre 1979. Dans Un Prophète, le héros (antihéros ? Contre-modèle, vraiment ?), s’en sort tranquille.
 
Par ailleurs, autre sentiment trouble à la vue du dernier film d’Audiard, on suit sans arrêt Malik El Djebena en prison, du début à la fin, mais on a un peu de mal à se passionner intellectuellement pour sa trajectoire. A l’exception de certains moments où il parvient à s’élever, notamment par l’apprentissage (de la lecture, des langues…), on le voit tracer sa route, développer son propre business, se faire héros très discret en devenant les yeux et les oreilles du clan corse, sans haute visée de quoi que ce soit. Alors que dans Hunger de Steve McQueen, un autre « film de prison » récent, les prisonniers nous fascinaient de par leur idéal et leur jusqu’au-boutisme : qu’ils aient raison ou tort, ils se battaient et étaient prêts à mourir pour des idées. On s’en souvient, en 1981, le leader des prisonniers politiques de l’IRA, Bobby Sands, afin de forcer Margaret Thatcher à reconnaître leur statut politique, entame une grève de la faim de 66 jours qui s’achèvera par sa mort le 5 mai 1981 et par ces mots extrêmement fermes de l’intraitable Dame de Fer, alors 1er ministre de la Grande-Bretagne, « Il n’y a pas de meurtre politique, d’attentat politique ou de violence politique. Il n’y a que des meurtres criminels, des attentats criminels et une violence criminelle. Nous ne ferons aucun compromis. Il n’y aura pas de statut politique. » Autre exemple de dépassement de soi ô combien respectable, dans De Battre mon cœur s’est arrêté, d’Audiard, le petit truand (Tom/Romain Duris) s’élevait à travers la pratique du piano et la vérité de l’art. Un Prophète, lui, ne nage pas dans ces eaux-là, celles d’une certaine élévation spirituelle, il se cantonne au genre (le film noir, bien couillu, bien poisseux, bien crapoteux) et dans les eaux croupies du gangstérisme mafieux. Cependant, en ne se voulant ni moralisateur ni moraliste, Audiard prend le « risque » de faire un film et rien qu’un film de plus. Je veux dire par là que son Prophète en impose par sa « puissance de film » mais il ne dit pas beaucoup plus que ce qu’il est, un GROS film qui se veut grand, mais qui me semble plus GROS que GRAND. A l’arrivée, je trouve qu’il s’en dégage un côté « A quoi bon ? », un aspect « A quoi ça sert ? » et j’ai, in fine (et notamment de par son finale plutôt light), quelques doutes sur l’importance supposée de ce film dans son rapport au champ du réel. 

 

 



16 réactions


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 14:02

      Pardon : je voulais dire pseudo-film.


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 17:48

      C’était pas là le propos.

      Quand le sage montre la lune, l’idiot pointe le doigt de son regard.

      Ces lascars et ces larbins, s’ils étaient de vrais musulmans ils n’aurait commis alors aucun délit pour s’y retrouver.

      L’islam c’est la piété, et non pas la délinquance.

      La délinquance est un fait social qui n’a aucune relation avec la foi et la religion.

      Cette sur-représentation au niveau de la population carcérale trouve ses racines dans les politiques immigrationniste, sociales, éducatives et celles de l’aménagement du territoire, économiques et politiciennes, qui ont jeté au ban toute une frange des résidents du territoire français sans se soucier de leur donner les réelles chances d’une intégration.

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      Le capitalisme voulait des gueux, la cynique politique les lui en a fabriqués.

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      Quand l’éducation de certains marginaux s’avère un ratage total, ainsi même que l’incarcération, le retour vers la spiritualité pourrait s’avérer un réel et excellent moyen de redressement, entre autres, si c’est entrepris dans les bonnes règles de l’art de l’illumination des cœurs et des esprits, et que cela aboutisse vers une réelle culture du respect et de la piété.


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 18:11

      « vivre principalement la nuit » !!!

      Le Ramadan, est en soi, à lui seul, un bon éducateur et un excellent purificateur. Hélas, certains ne savent pas en respecter les règles et l’art de vivre, et ce sont eux certes qui en loupent toutes les faveurs - morales, physiques et spirituelles - et en donnent la plus négative image (des mauvais musulmans en fait) chez l’observateur qui manque de finesse.

      Le jeûne n’entend pas une inversion du cycle de vie, mais le jeûne des sens, le jeûne de tout mal, et le fait de mener un stage initiatique et purificateur de totale piété et dévotion, non pour s’en débarrasser une fois le ramadan sorti, mais pour se préparer à initier une nouvelle année voire toute une nouvelle vie qui soient toute rectitude, et que piété, bonté et dévotion.

      Le ramadan ce sont les vrais musulmans qui en illustrent toutes les images positives et bénéfiques, et non les pseudos musulmans dont ce mois de dévotion n’est dans leurs esprit déviants que gourmandise et veillées rouges.

      Le ramadan permet de faire le tri dans le coeur du croyant, mais également entre croyants.

      L’individu dont la spiritualité ne redresse pas profondément le comportement, et n’affine pas positivement le cœur et l’esprit ne peut être un vrai croyant.

      L’homme averti ne juge pas la religion selon le comportement des déviants qui s’en réclament, mais étudie la religion elle-même.


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 18:28

      Le ramadan en Orient n’est pas pareil que celui vécu en Occident.

      En Orien, le ramadan on le sent et on l’hume dans l’air.

      Ce n’est pas une question de senteurs, de parfums des épices et des mets délicieux dont les jeûneurs le soir vont se délecter.

      Non, c’est une affaire d’ambiance. On sent dans l’air un apaisement dans le coeur des villes, et plus particulièrement dans les anciennes médinas, avec cette fragrance singulière touchée autant par le nez que du regard que l’on ne retrouve pas hélas durant le restant de l’année.

      Allez, une petite dédicace :

      Istambul par dessus les maisonnées juste au moment de la ruptur du jeûne

      (les muazzines qui s’entendent de loin ont meilleure prestation que celui tout près)

      Vivre un moment pareil de l’intérieur, cela fait vraiment vibrer les cœurs heavenly. (lisez les commentaires)


    • Lucien Denfer Lucien Denfer 8 septembre 2009 18:49

      Comme aurait pu dire chichi s’il avait été raffiné : « Le tintamarre et la fragrance », en lieu et place du bruit et des odeurs...


      Joke))))))

    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 19:49

      Lucien,

      Tu devrais corriger ton aérophagie d’enfer si si chronique. Elle ne t’élève point.


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 20:06

      Sylvie,

      Nous avons tous deux été censurés.

      Romain,

      On compatit.

      Les transferts ne t’aideront point.

      Puisses-tu un jour vraiment guérir.


    • Paradisial Paradisial 8 septembre 2009 20:43

      Dans la lignée du post précédant :

      Le âzâne lorsqu’il est accomplit avec forte beauté il peut ébranler très très profondément les cœurs au point de donner de douces larmes aux yeux et une chair de poule transversale, qui peut même faire redresser les cheveux sur la tête.

      Parmi son message on entend ces deux injonctions :

      • hayyâ ’alââ as-salââh

        venez à la rectitude (et la restauration des cœurs, des esprits, et de vos vies),


      • hayyâ ’alââ al-falââh

        venez vers la prospérité (le bonheur, et la consécration ultimes dans la vie d’ici-bas et d’au-delà).

      Azâne dans une mosquée aux Etats-Unis

      Très très beau âzâne en turquie

      Un autre tout autour de la célèbre mosquée d’Istambul

      Un autre avec un joli diaporama au sein de mosquées turques

      Les vrais musulmans certes veillent durant le ramadan, mais pas à manger et à mener la fête mais plutôt dans la dévotion et la prière. Regardez la taille des prieurs. (vidéo ramadan - kuweit city).

      Je m’en vais, l’heure de la rupture est proche, et ne reviendrais pas avec les prières du soir.

      Salam


    • Lucien Denfer Lucien Denfer 8 septembre 2009 20:43

      @paradisiak,

      Je ne crains pas « hazgat l’slat » pour ma part, c’est donc sans conséquences si je dégaze à tout va. Si tu souffres d’irritation du colon il peut être approprié d’envisager un lavement afin de chasser ibliss de sa caverne. Joke...

  • moebius 8 septembre 2009 21:34

    La délinquance est un fait social qui n’a aucune relation avec la foi et la religion. ???? La bonne blague. Un délinquant qui a la foi est il un terroriste ? La foi nous sauve. Staline braquait des banques pour la bonne cause...mais peut etre pas au début quand il était séminariste défroqué et maquerau, Non pas au début, pas avant la révolution. Avant la révolution il se cherchait, peut etre comme tout les droits civil qui ont été utilisé par tout les totalitarismes pour accomplir les plus bases besognes parce que eux étaient depuis longtemps prés à tout....Rasbolinikof, lisez, les possédés aussi lisez


  • Halman Halman 13 septembre 2009 10:43

    http://www.allocine.fr/film/cettesemaine.html

    Voilà ce que l’on nous propose comme films « pour se distraire » à la rentrée.

    A part les Tontons Flingueurs, bijou d’humour froid, le reste à aller voir avec la boite de Prozac.

    Le Prophète en tête d’affiche.

    C’est d’un gai.


  • fhefhe fhefhe 14 septembre 2009 09:30

    J’ai vu ce dimanche CE film.
    Ayant vécu cette expèrience (Tout comme le Héros , j’ai été condamné à 6 ans de RC mais pour Vols Qualifiés et Assotiation de Malfaiteurs...en tant que Mineur...moins de 18 ans au moment des faits...)
    Quand on parle des délinquants ou des prisons sur site , je fais , toujours part de mon expérience....
    Je le répète , j’ai « Réussi » ma Réinsertion aprés avoir été jugé par des Citoyens...(Aux Assises c’est eux qui fixent la peine aidés en cela par un magistrat...)
    Sachez toutefois qu’en 1974 les Mulsulmans étaient séparés...des autres confessions .( Le passé récent de la Guerre d’Algérie en étant la cause )
    Il est vrai que c’est un Univers Impitoyable....mais si ce film se veut représentatif de la Réalité des Prisons d’Aujourd’hui....Cela a , bien , changé de mon époque
    — Pas de Télé...
    — Journaux découpés selon la teneur des articles...
    — Obligation de marcher , lors des promenades...
    — Parloir dérriere une vitre
    — Durée du cachot 45 Jours et non pas 40 ( 5 jours de plus c’est énorme )
    — En « Centrale » ( différence avec la maison d’arrêt dans laquelle vous attendez vôtre jugement , près de 4 ans en ce qui me concerne) pas de WC dans la cellule mais une tinette (seau en plastique que nous vidions chaque matin...)
    La prison reste la prison ...mais les conditions étaient plus dures , il y a plus de 30 ans.
    Tout un chacun , peut connaître la Prison ( Crime Passionnel , Conduite en Etat d’Ivresse ,Non-Paiement de la Pension Alimentaire , Contrainte par corps pour dette envers l’Etat ...etc...) .
    Par amour on peut y entrer , mais par Amour on peut se Réinsérer ...tel est mon cas...Marié depuis 27 ans et 2 bons enfants....
    Il est plus difficile de Construire un Etre Humain que d’avoir de l’Argent , de belles voitures et une Belle Maison... !!!!!!!!!!!


  • rory 14 septembre 2009 19:16

    y a pas de rédemption dans ce film mais il sort en ayant une vraie « formation » avec un travail à la clé.

    je me suis attaché au personnage car il est malin sans rouler des mécaniques , que sa conscience le travaille(le fantôme du gars qu’il a assassiné),il lui reste une part d’innocence(la scène de la plage) et que personne n’est ni tout blanc ni tout noir !
    Le film est très bien écrit,bien filmé à la manière de Sur mes lèvres , très interprété et très bien monté et est aussi très sombre

  • fouadraiden fouadraiden 20 septembre 2009 19:42



    purée et Paradi qui est venu parasiter ce fil...à cause du titre.


     Excellent film et magistralement interprété. pour une fois qu’on a ici un héros arabe on va pas bouder son plaisir.


  • King Al Batar Albatar 2 octobre 2009 15:39

    A la différence d’un film comme Scarface, ou le héros meurt à la fin, on sent que le réalisateur a voulu placer tony Montana en coupable volontaire de ses actes.


    Dans ce film, dès le début on a l’impression que le héros, très intellugent, est victime des corse et d’une situation ou il agit parce qu’il n’a pas le choix. Comme s’il il n’etait pas volontaire dans ce qu’il lui arrive. Je pense que c’est pour cela qu’il ne meurt pas à la fin.

    La morale de nombreux film de ce genre est bien souvent le heros est un enculé qui profite du mal et qui meurt à la fin.

    Dans ce film, ce serait plutot, le heros est une victime de gros enculés qui finit par retonber sur ces pates en niquant tout le monde. Ca me fait pense un peu a un film américain sur les gang des années 90 qui s’appelait FRESH, ou un gosse de 8 ans, protégés des dealer et fin joueur d’echec finissait par niquer tout le monde.

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