lundi 23 décembre 2019 - par Theothea.com

« Une Vie » de Guy de Maupassant par Clémentine Célarié aux Mathurins

D'entrée de jeu, elle apparaît majestueuse, marmoréenne. Au devant de la scène, enveloppée dans une jupe grise aux lourds plis et serrée dans un corsage ajusté à la taille, elle se dresse, en équilibre précaire sur un rocher qui surplombe les falaises blanches et abruptes d'Yport en toile de fond, telle une statue de pierre sur son piédestal, elle semble fixer l'horizon, droite, fière et désireuse de conquérir le public.

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UNE VIE
© LOT

    

Elle, c'est la Jeanne du 1er roman de Guy de Maupassant écrit en 1883, qui, en prélude, expose avec une certaine lenteur le parcours de sa vie depuis qu'elle est sortie du couvent du Sacré-Coeur à 17 ans jusqu'aux confins de sa vieillesse. Une Vie, tel en est le titre, celle « d'une femme depuis l'heure où s'éveille son cœur jusqu'à sa mort ».

Et, dans cette petite salle intimiste du théâtre des Mathurins, qu' elle domine de toute sa hauteur raidifiée par son pesant vêtement tel un carcan protecteur, c'est la flamboyante Clémentine Célarié qui endosse l'identité de Jeanne, fille unique du baron et de la baronne Le Perthuis des Vauds, prête à toutes les joies après avoir été cloîtrée pendant plusieurs années.

« Une vie charmante et libre commença pour Jeanne ». Après les préliminaires d'un récit monolithique, la comédienne s'anime, saisit cette existence à bras le corps et se met à la vivre frénétiquement devant nous. Elle devient légère et alerte malgré l'épaisse robe qu'elle fait tournoyer de contentement. 

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UNE VIE
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Enjouée, prenant des airs de petite fille mutine, elle saute de joie, éclate de rire, frappe des mains, radieuse de sentir l'air marin et le vent fouetter ses cheveux, elle incarne avec une joie espiègle cette jeune fille ignorante qui rejoint la propriété familiale. Elle est impatiente, tout l'excite, même la grosse pluie normande ne semble pas être un obstacle à son plaisir.  

Une fois installée aux ''Peuples'', le vieux et vaste manoir patrimonial planté au bord des flots, tout n'est que ravissement, et, malléable à souhait, Clémentine Célarié est cette grande adolescente qui s'émerveille de tout, en totale osmose avec une nature envoûtante. Elle sent palpiter des espoirs incroyables. Naïve, elle a envie de découvrir l'Amour et pense que son coeur sera deviner celui qui lui apportera le bonheur. « Comment serait-il ?...Il serait lui, voilà tout. » Et Clémentine/Jeanne rougit d'émotion et frissonne de sensualité.

Sa rencontre avec le vicomte Julien de Lamare au charme langoureux, fils de nobles déchus, concrétisera son rêve. Tel un merveilleux conte de fée et après une courte et radieuse saison de fiançailles, elle épouse le jeune homme. Malheureusement, dès le retour du voyage de noces en Corse, Julien ne se montre plus le mari aimant et bienveillant qu'elle espérait.   

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UNE VIE
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Commenceront les désenchantements. Julien se révélera pingre, hypocrite, brutal, infidèle. Elle le découvrira au lit avec Rosalie, la femme de chambre puis, plus tard, elle apprendra qu'il est l'amant de la comtesse Gilberte Fourville.

Jeanne ira alors de désillusions en désillusions, s'installant dans un ennui latent, un spleen mélancolique. Clémentine, dont le visage élastique est capable d'exprimer tous les émois, devient cette femme tourmentée, vulnérable et dépressive.

Les mots résonnent avec une vérité et une puissance dévastatrices. Jeanne se cherche et se perd au gré des échecs sentimentaux. Mais grâce à une énergie singulière, elle ne s'effondre pas complètement. Elle rebondit et ne trouvant aucun réconfort auprès de Julien, cherchera à devenir mère coûte que coûte, malgré l'opposition de son mari. Jeanne a besoin de renaître, enfanter une nouvelle vie, avoir un projet, combler un vide de plus en plus profond. 

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UNE VIE
© LOT

  

Clémentine Célarié nous fait ressentir intensément les blessures d'amour, puis les joies de la maternité et les inquiétudes viscérales d'une mère. Malheureusement, son fils Paul pour lequel elle s'est dévouée corps et âme l'abandonnera et ne viendra plus la voir, menant une vie dispendieuse et décousue, dilapidant l'héritage paternel. Elle en sera effroyablement affectée et son chagrin deviendra insondable.

Jeune fille ivre de passions, femme éperdument amoureuse, femme humiliée, mère étouffante, puis veuve esseulée dans un profond désarroi, Clémentine Célarié, habitée, passe par tous les âges et tous les états avec une incroyable souplesse. Elle rit, elle pleure, enrage, se tait pour éviter les conflits, se décompose telle une fleur fanée, refait surface, replonge dans le désespoir, se résigne. C’est de la pure émotion éprouvée, de la sensation perçue qui nourrit le regard de Jeanne sur les événements qu'elle traverse.

Elle va même interpréter les personnages qui accompagnent l'héroïne sur ce parcours à qui elle donne vie et voix avec la simplicité, l’authenticité, la justesse nécessaires, jusqu'à prendre un malin plaisir à croquer un curé de campagne un peu caricatural au franc parler bien campagnard qui conseille de faire croire qu'elle est enceinte pour que son mari cesse de prendre toute précaution. 

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UNE VIE
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Dans un environnement de falaises droites et crayeuses baignant leurs pieds dans les flots bleus, décor magnifique et omniprésent de Hermann Batz, la mise en scène subtile d’Arnaud Denis a su respecter l’œuvre littéraire tout en rendant ce spectacle intense parfaitement théâtral et très imagé avec une comédienne lumineuse, exubérante et pleine de fougue qui fait voltiger les mots et la poésie de Maupassant.

Un piano égrène ses notes, on entend le bruit des vagues et des mouettes, le souffle du vent du large. On se croirait au bord de la mer accompagnant Jeanne dans les dérives de sa Vie à un tel point que, dans la salle, l'on pourrait quasiment sentir l'air salin et la puissante odeur des varechs.

  

photos 1 à 4 © LOT

photos 5 & 6 © Theothea.com 

  

UNE VIE - **** Cat'S / Theothea.com - de Guy de Maupassant - mise en scène Arnaud Denis - avec Clémentine Célarié - Les Mathurins 

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