À la cloche de bois
Un vrai battant.
Tout pourtant avait fort mal commencé pour ce pauvre garçon qui avait eu le malheur de venir au monde dans une famille réputée pour se taper la cloche du soir au matin. Est-ce ce qui décida de son destin à moins que ce ne fut une succession de coïncidences qui aboutirent à une curieuse vocation. Si Paris vaut bien une messe, il convient d'en avertir les fidèles avec l'appel du clocher.
Victor, pour échapper aux siens, battait la campagne d'une bien curieuse manière. Tout le monde repérait de loin ce gamin qui se déplaçait toujours à cloche pied, comme s'il se refusait à se mouvoir comme le commun des mortels. Son déplacement aérien lui donnait des allures de lutin espiègle qui en fit rapidement la mascotte dans le pays.
Ses parents, de pauvres cloches vivant d'expédients et de la charité publique n'avaient rien trouvé de mieux que de le chausser de sabot de bois. Pour sautiller sur un pied voilà bien un équipage qui ne favorise guère le déplacement. Le pied d'appui s'écrase contre le sol brutalement, sans la moindre souplesse tandis que l'autre menace à tout moment de perdre sa chausse, bien lourde pour la garder en suspens.
De bonnes âmes, il y en a toujours qui aiment à donner des conseils ou faire des remarques acerbes l'apostrophaient parfois en lui conseillant de changer sa manière de se mouvoir avec une formule entêtante qui ne cessa de hanter sa jeunesse : « Mon garçon, il te faudrait raisonner un peu et marcher comme tout le monde, vu que tu as des sabots aux pieds ! »
Lui qui battait la campagne sans jamais fréquenter l'école, raisonner n'était pas son fort quoiqu'il était curieux de tout et trouvait dans la nature ce savoir qu'il ne trouvait ni chez lui, ni auprès d'éventuels maîtres. C'est en suivant le vol d'un bourdon qu'il eut la révélation de sa vocation. L'insecte vint butiner une clochette de muguet et l'enfant qui le suivait des yeux fut émerveillé par la forme délicate de cette petite fleur blanche.
C'est ce jour qu'il comprit que sa vie déclinait sans cesse le mot cloche à tout propos et en toutes occasions. Las d'être moqué, désireux d'inverser le cours de son existence, il décida de frapper un grand coup, de prendre en main sa destinée. Il s'approcha de l'église de son village, un endroit que jamais il n'avait fréquenté alors qu'un artisan travaillait sur le parvis à la fabrication d'une cloche.
Ce gamin qui fuyait jusqu'alors la compagnie des autres, se lia d'amitié avec cet artisan qui lui apprit qu'il était saintier ambulant, qu'il allait de village en village quand il fallait y fondre un campanile pour prévenir les fidèles de la tenue des offices. Victor fut admiratif de la science de cet homme qui maniait le feu, le bois, la fonte, la terre et le métal en fusion avec une application qui le laissa pantois.
N'ayant rien à attendre des siens, il décida de suivre cet inconnu dont le savoir-faire le subjuguait. L'homme de l'art ne vit pas d'un mauvais œil de s'adjoindre ainsi une arpette et un compagnon qui partagerait une existence rude. Ce fut ainsi que Victor devint Saintier qui au fil de son apprentissage montra un véritable talent pour la fabrication des cloches.
Jusqu'à cette merveilleuse rencontre, le gamin avait bien remarqué que les expressions autour du mot cloche ponctuaient son parcours sans qu'il n'en décrypte le message. C'était tellement une litanie qu'il n'avait jamais songé que ce fut là une invitation à partir enfin des deux pieds dans l'existence. C'est ce qu'il fit pour son plus grand bonheur.
Il est préférable d’être attentif aux mots qui jalonnent votre chemin, ils sont parfois porteurs d'un message qu'il convient d'écouter et qui peuvent longtemps raisonner dans votre paysage intérieur.