Conte philosophique : A la quête de demain
Dans un Royaume bien différent de notre monde, régnait un roi aigri avec ses conseillers bien placés.
Bas dans les vallées, les gueux vivaient de durs labeurs et tentaient de répondre aux exigences de leur hiérarchie, du mieux qu’ils le pouvaient, ils survivaient.
Un jour de mauvaise fortune, le roi se courrouça, pour quelques mauvaises récoltes qui se répétaient mois après mois. Ne sachant comment s’y résoudre, il décida de punir ces malfrats de paysans, sans doute des paresseux couchés sur leurs flancs.
Pour tester leur obéissance et les punir de ce mal, il leur demanda de se faire couper un doigt.
Cela permettrait de mieux porter la fourche disaient les uns, de gagner du temps pour se couper les ongles, disaient les autres, et surtout cela permettait de ne plus être capable de faire un doigt, pensaient les sournois.
Les paysans s’exécutèrent en majorité. Un doigt de moins, est-ce si grave, si cela sauve l’avenir entier ?
Malgré cela, les récoltes étaient toujours mauvaises. Que les vents, les gelées ne soient pas favorables, que les criquets migrent d’ailleurs, que les fumiers et outils ne soient pas de bonne qualité : le roi s’en moquait. Les responsables étaient ces gueux, ces indolents impuissants, ces incapables de la germination et de la fructification.
Alors, il leur demanda de se couper la main.
Cette fois, c’était un peu fort.
Et il se forma deux courants chez les paysans :
– Les uns acceptaient de passer à l’étape supérieure, vu que la mesure du doigt n’avait pas été suffisante ; il fallait contrer tout ce malheur ! Les risques d’infection étant assez faibles, ou clairement pas recensés pour ne pas inquiéter ;
– Les autres trouvaient que cela allait un peu loin et avaient peur qu’après la main, le bras et le reste du corps n’y passe. Un doigt, on s’en passe, mais une main ?
Ils savaient qu’ils perdraient des libertés, cela voulait dire moins d’écus en poche s’ils gardaient leur patte. Mais s’ils la coupaient, ils travailleraient peut-être un peu moins bien. Pour sortir de la misère, que doit-on sacrifier ?
Les gueux qui avaient des mains indemnes étaient jugés et mis au bûcher ! N’a-t-on jamais vu une telle impertinence que de se montrer avec ses dix doigts ?
Alors le Royaume se divisa, et au lieu de chercher comment résoudre la famine, comment cultiver de nouveau la croissance, comment rendre heureux le peuple, on passa du temps à savoir si oui ou non il fallait couper son extrémité.
Ceux qui étaient contre cette mesure furent donc traités d’extrémistes et mis à l’index, et les autres les bien-pensants.
Ils résoudraient sûrement un jour leur problème, car le printemps revient toujours quand on ne s’y attend pas, même dans les royaumes bien différents de notre monde. Ou pas…
Auteure Marina Bouvard image libre de droit Pixabay