samedi 22 octobre 2016 - par C’est Nabum

De l’autre côté d’un miroir brisé

De lui à vous

Il était une fois un être ordinaire, pâlot en dépit de son visage rubicond, terne à moins que ce ne fût citerne tant il aimait le vin de Loire. Il traînait ses guêtres, de classes en pelouses, dans un anonymat qui désespérait son orgueil démesuré. Il lui fallait un nouveau terrain de jeux, loin des débats stériles de la pédagogie, à mille lieues des joutes ovales. C’est alors que se présenta à lui un étrange écran, un miroir déformant, un puits sans fond dans lequel noyer ses délires, ses fantasmes et ses obsessions textuelles.

Il entra dans le monde des blogs comme d’autres entrent dans les ordres, pleinement, totalement, irrémédiablement. La confession publique pour seul credo ; le récit au jour le jour des errements d’un individu incapable de se fixer, de tenir une parole stable, de conserver une ligne de conduite cohérente. Il lui fallait louvoyer, chalouper, esquiver, feindre et dépeindre avec une mauvaise foi sans borne, une subjectivité revendiquée, un mauvais esprit certain.

Il créa alors son double : un autre lui-même, enfin débarrassé des oripeaux d’un passé en lambeaux, d’une succession d’échecs plus patents les uns que les autres, d’une myriade de dérapages et de fâcheries. Il ignorait alors que, non seulement il n’éviterait pas les écueils du passé, mais que, bien au contraire, il allait amplifier encore les travers qu’il voulait fuir.

Son double se para d’un pseudonyme énigmatique, à la forme de démonstration incertaine. L’apostrophe pour tromper son monde, l'auxiliaire être, préféré à cet avoir qui domine toutes les énergies, le messager mésopotamien en bout de ligne pour singer le nom que César donna à la ville celte qu’il venait de raser en bord de Loire . Il pouvait ainsi régler ses comptes avec une cité bourgeoise qu’il n’avait jamais aimée, qu’il n’avait jamais comprise.

Il se fourvoya. Dyslexique il était, dyslexique il resterait. Il ne régla rien et passa sans s’en rendre compte de la ligne comptable à la fiction et à la légende. Il se fit conteur sans même le savoir ; il fallut qu’une lectrice, plus attentive que les autres, discerne en sa logorrhée le substrat de la grande tradition de Perrault à Rabelais. C’est en l’invitant à découvrir le talent de Fred Pellerin que celui qui n’était rien comprit qu’il pouvait suivre un autre chemin afin de devenir pas grand chose qui vaille.

Il s’y appliqua avec constance et rigueur. Petit à petit, il laissa la polémique et le pamphlet pour sombrer dans des récits étranges entre fables et nouvelles,saynètes et portraits. Il se prit tellement au jeu qu’à son propre je, il substitua celui du personnage qui délaissa la Loire pour monter sur scène. Il en fut si enchanté qu’il écrivit des chansons pour donner un peu de corps à son double.

Il n’était pas question de succès : là n’était pas sa quête. Bien au contraire, il lui fallait multiplier les chausse-trappes, provoquer le rejet, ajouter la haine au mépris. Il provoqua, agaça, mortifia, ridiculisa ceux qui avaient la possibilité de braquer quelques projecteurs sur lui. Les grands sont nécessairement maudits, rejetés, incompris. Son double en faisait des tonnes pour obtenir cette suprême récompense de la mortification et du bannissement.

Il ne pouvait éternellement tenir cette ligne. Son personnage n’était qu’un faux dur, une illusion de méchant. Bien au contraire, sous le masque et les grimaces, c’est la tendresse et la poésie qui émergeaient, en dépit de ses colères pour brouiller les pistes. Il séduisait ceux qui prenaient la peine de lire entre les lignes, de percer la carapace, de dénicher les perles dans les tombereaux de fange. Les mots se firent plus ronds, le propos plus tendre. L’acidité demeurait pour donner une teinte à une aventure qui se devait de n’être pas mièvre.

Le Bonimenteur devenait une bête de foire. Il semait ses grains de sel, pimentait ses récits de quelques piques pour maintenir le lecteur en éveil. Les bons contes ne sont pas des niaiseries ; ils doivent envisager le monde sous un autre jour, ne pas se satisfaire de flatter les princes qui nous gouvernent pour leur faire miroiter la fréquentation des fées et des bergères mais donner leur part aux gueux, aux vilains, aux tordus, aux bossus, aux gredins.

L’écriture devint son cheval de bataille. Il allait désormais à l’assaut des moulins à vent en brandissant une plume alerte, une langue intègre, une musicalité née dans l’oralité. Il se fit souffleur de vent : celui qui vient de l’océan et fait gonfler la grande voile carrée. Il navigua sur un bateau de mots, laissant les embarcations factices, pour transporter véritablement tous ceux qui étaient restés à quai.

C’est ainsi que le double se joua de l’original. En se mirant dans les reflets de la rivière, celui qui se livre à vous ne sait plus qui est qui. Le personnage a-t-il supplanté l’homme réel ? Le double s’est-il fondu dans l'original ? Le mystère est là ; il n’est rien qui puisse sauver l’un et l’autre de la schizophrénie et c’est tant mieux. Ni tout à fait moi, ni tout à fait l’autre, je est un jeu.

Duplicatement mien.

Caimir et c-est nabum-011.jpg



13 réactions


  • juluch juluch 22 octobre 2016 12:07

    Restez la place forte que vous êtes Nabum....on continue à vous suivre.  smiley


  • rogal 22 octobre 2016 12:08

    On lui doit au moins l’enrichissement du latin : nabum, i (ou bien, au choix, nabus, a, um) entrera dans la prochaine édition du Gaffiot, avec une citation de César.


  • averoes 22 octobre 2016 15:44

    Bonjour Nabum.

    Depuis que je fréquente ce site, il m’est arrivé plusieurs fois de vous lire. Et à chaque fois, me traverse l’esprit cette impression de côtoyer, à travers votre verbe, un être original, voire iconoclaste, au noble sens du terme. La qualité de votre plume, faisant chanter les mots (terne à moins que ce ne fût citerne) et cohabiter des oxymores improbables (récompense de la mortification et du bannissement) dans une sorte de ballet littéraire joliment suranné, rappelle une atmosphère des salons culturels du XIX ème siècle.
    Je ne peux que me réjouir, in fine, du plaisir que ne manque pas de me procurer la lecture d’une production comme la vôtre, tant elle tranche avec cet air du temps qui promeut l’oralité, même à l’écrit.
    La pandémie de l’indigence langagière est aujourd’hui enracinée dans une sorte de médiocratie culturelle et intellectuelle hégémonique qui transcende le jeunisme ambiant. Elle est, à mon sens, corrélée à une conception de la modernité où le bien-dire n’est pas en odeur de sainteté auprès de ses thuriféraires, où le réflexe d’user d’un langage châtié est voué aux gémonies et le malheur d’avoir un tel langage est considéré comme un affront par les adeptes de ce curieux modernisme.

    Littérairement vôtre.


    • marmor 22 octobre 2016 16:18


      @averoes
      La pandémie de l’indigence langagière est aujourd’hui enracinée dans une sorte de médiocratie culturelle et intellectuelle hégémonique qui transcende le jeunisme ambiant.

      Mon Dieu que c’est beau !! Que voilà des mots si peu usités, qui mis bout à bout, se voudraient faire une phrase (?) dont on peut, nous, indigents du verbe, chercher le sens à l’infini.....


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 octobre 2016 09:02

      @averoes

      Je suis très touché même si je devine que vous allez déclencher le courroux de mes chers contempteurs par principe

      Soigner son écrit n’a pas bonne presse, surtout auprès de la presse régionale de chez moi. Vous avez raison, il convient d’être médiocre pour réussir à moins d’être un véritable génie ce qui n’est pas mon cas.

      Laissons donc les langues de vipère déverser leur venin et merci encore pour ce commentaire réconfortant.


    • Raoul-Henri Raoul-Henri 24 octobre 2016 04:02

      @averoes
      Étonnant comme le passage de votre commentaire « La pandémie de l’indigence... » est confirmé par le suivant.
      J’ai moi aussi l’impression de vivre sur une île déserte de poésie et de sens. Enfin, pas toujours : je possède l’artefact « longue vue » et lorsque je déroule le fil rss d’AV je repère sans peine les articles de notre hôte à leurs titres évocateurs. Et, le croirez-vous, ces titres se glissent comme par magie sous le pointeur de l’amulette, ce totem salvateur.


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 octobre 2016 08:14

      @Raoul-Henri

      Merci


  • marmor 22 octobre 2016 16:20

    Naboum
    Vous avez vraiment un souci de modestie, mon cher Narcisse.


  • le mosellan (---.---.21.121) 22 octobre 2016 18:48

    je vous rassure vous etes bien un humain.


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