lundi 3 janvier 2022 - par C’est Nabum

Deux mille vingt-deux

 

Millième anniversaire.

 

Le 28 décembre 2022, dans un silence de cathédrale, quelques nouveaux hérétiques des temps modernes si la macronie triomphante ne les a pas enfermés d'ici là, iront brûler sur la place des martyres les rares ouvrages d'un roman brûlot, en signe d'autodafé symbolique. Si notre société se vautre avec complaisance dans la commémoration, la célébration à tout va de son passé glorieux, il y va tout autrement pour les pages noires qui ont entaché notre Histoire.

Voilà pourtant un épisode des plus significatifs dans une cité où en 511, Clovis fonda l'état moderne, centralisé et catholique à l'issu du concile d'Orléans. Pour frapper les esprits et gagner l'adhésion du peuple, à la différence du monarque actuel qui joue sur la terreur et la soumission, il a songé à inventer toute une série de prodiges, qualifiés par l'église de miracle.

Dès cet instant, les monstres de tous poils et de toutes formes furent terrassés sans autre forme de procès par les porteurs de la vraie foi. La plèbe en cette époque lointaine était si naïve qu'elle croyait les sornettes et aimait avaler des couleuvres qu'un certain Liphard tuait avec un bâton par disciple interposé.

Orléans, contrairement à son ambition secrète ne devint jamais Capitale même si trois rois y furent couronnés. La cité se devait de briller par quelques actions d'éclat pour échapper à l'anonymat qui semblait constituer son triste lot. Elle trouva son chemin de Damas grâce à une cavalière émérite venue des marches de Lorraine pour chercher des poux dans la tête de nos maudits anglois.

Ce fut un triomphe, du pain béni pour l'église qui unissait à jamais son histoire avec la cité désormais Johannique pour l'éternité. Oubliés le massacre des pastoureaux en 1251, effacé par anticipation les massacres ligériens de la Saint Barthélémy en 1572 qui se noyèrent commodément dans les eaux de la Loire. La cité était chrétienne a tout jamais, lavé de toute présence Huguenote même si un temps elle en fut la capitale et qu'elle reçut Calvin comme étudiant.

Alors, pensez donc que cette triste distinction d'être le premier bûcher de la chrétienté médiévale n'est pas de nature à réchauffer les ardeurs de la gloire locale. Ils ne vont tout de même pas quitter leur écharpe tricolore arborée fièrement dans la très catholique fête Johannique pour évoquer les travers du mariage incestueux de l'église et de l'état.

C'est justement le divorce théorique de ces deux entités le 9 décembre 1905 qui accéléra la procédure canonique pour béatifier l'héroïne locale le 18 avril 1909, de quoi faire avaler l'hostie sous l'oriflamme d'un Gilles de Rais à jamais lavé de ses crimes pédérastiques par la communauté chrétienne de l'endroit. Même la commission indépendante sur les abus sexuels de l'église n'a pas évoqué ce triste personnage.

Mais revenons à nos moutons au moment de les faire monter sur le bûcher. Une douzaine d'érudits, de doctes personnages (qualités qui demeurent sujettes à méfiance sur la place) dont le crime le plus manifeste consiste à être proches de la reine Constance d'Arles, sont arrêtés le 24 décembre sur l'accusation d'Hérésie.

Le Roi Robert le Pieux matérialise ainsi sont sobriquet en liant ces pauvres bougres sur un piquet d'infamie. Ce sont des chanoines dont la qualité intellectuelle est incontestable qui seront promptement jugés et mis à cuire quatre jours plus tard. C'est le début du printemps des hérésies et sans doute la naissance de la terrible formule : « Noël au balcon, Pâques aux tisons ! ».

La mésaventure de nos malheureux martyres prit son point de départ dans une malencontreuse utopie. Ces pauvres bougres tout comme des collègues à eux qui agissent de même à Arras, Châlons-sur-Marne, en Aquitaine, en Germanie et en Lombardie osent mettre en doute la hiérarchie d'un clergé bien trop éloigné selon eux des préceptes évangéliques. C'est comme si aujourd'hui nous accusions notre Président d'agir en Monarque absolu …, une pure fantaisie.

Cette contestation qui s'étend sournoisement est d'autant plus inquiétante qu'elle émane des élites intellectuelles occidentales. Ces trublions mettent en cause les frasques et les turpitudes d'une église qui a perdu de vue l'ascétisme et la pauvreté. Comment parler au nom du peuple dans le luxe, le lucre et la richesse ? Naturellement ce discours tout comme la vertu par l'exemple de ces boute-feux touche un peuple qui ploie sous les iniquités.

Les rivalités politiques propres à Orléans, ville royale tentée par une sédition avec les contes de Blois mettent de l'huile sur le feu qui couve. La mort de Foulque, décédé entre 1008 et 1013, laisse un fauteuil épiscopal vaquant qu'il appartient de confier à un proche du roi. Robert le Pieux veut imposer Thierry contre Oury, le favori de Eudes II de Blois.

Mais le vote des chanoines confie la mitre à Oury qui prend la place du protégé royal. C'est ce qui va mettre le feu aux poudres et aux électeurs d'autant qu'un désaccord entre le roi et la reine sera de nature à souffler sur les braises. Robert le pieux dans un accès de colère déclara alors : « Ils vont voir de quel Blois je me chauffe ! » formule qui quoique légèrement modifiée, restera dans l'histoire bien plus que cet épisode douloureux qu'on entend nous dissimuler pour des raisons évidentes.

Jehanne restera donc à jamais la seule à mériter des honneurs du feu qui couve. Elle n'acceptera aucune concurrence dans ce domaine. Les deux chanoines iront rôtir en Enfer pour ne pas faire d'ombre au brasier de la Pucelle. Ainsi va la mémoire des humains, une pauvre flamme qui vacille et s'éteint souvent au premier courant d'air.

 

À contre-feu.



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