Était-ce vraiment un honneur ?
Promotion illusoire ...
L'exigence inacceptable.
La déroute électorale de nos amis socialistes n'a pas été sans répercussions. Il m'est arrivé un message qui aurait pu bouleverser mon existence et changer peut-être la face du monde. Par des voies aussi impénétrables que mystérieuses, il s'est trouvé, qu'au ministère de l’Éducation nationale, mes écrits relatifs à l'école ont eu quelques échos. Je doutais qu'ils puissent être favorables jusqu'à ce séisme qui se produisit le lundi 30 mars …
La ministre de cette grande et belle maison qui est encore la mienne pour quelques mois, a saisi, en personne, son téléphone, pour me faire la plus incroyable des propositions. Consciente m'a-t-elle avoué, des dérives d'une institution qui a perdu ses repères et sa crédibilité, notre bonne ministre de tutelle a souhaité ouvrir la porte à la société civile : selon une formule qui n'avait jamais fait florès pourtant.
Aux dires de mon interlocutrice matinale, le premier ministre, rien de moins, a souhaité donner plus de pouvoir à cette base qui se dérobe à son parti. D'après ce grand stratège et fin politicien, le monde de la toile bruisse de bonnes idées et fourmille de talents méconnus. Il se trouve que pour ces gens haut placés, je suis l'archétype du blogueur de la France d'en- bas. La remarque aurait pu me vexer si elle n'était venue de gens dont l'opinion m'indiffère …
Je restai cependant fort courtois, sachant qu'il n'est pas bon se mettre en travers de la volonté de si hauts personnages. Je la laissai déblatérer ses formules liminaires, essayant de démêler les copeaux des propos sincères ! J'avoue que la tâche n'était pas simple, tant la dame a de l'habileté à noyer le poisson. Même un gars de Loire peut se laisser prendre à ce flot de fadaises gracieuses …
Après de longues minutes d'un exposé fastidieux autour de la supposée volonté de cette tendance politique à retrouver la confiance du peuple de gauche : cette majorité silencieuse et déçue dont, soudainement, j'étais promu chef de file , la porte-parole du gouvernement me fit enfin sa demande. Elle était si surprenante que je crus en perdre la raison et que, dans l'instant, je crus à une mauvaise farce …
Madame Najat Vallaud- Belkacem me demandait d'accepter un poste de secrétaire d'état au redressement éducatif. J'avoue que si la proposition me semblait invraisemblable, la formulation de ce secrétariat d'état avait le mérite d'exprimer enfin les véritables enjeux. Notre Éducation Nationale est dans un tel état de délabrement qu'il est bien question de redressement plus encore que de rénovation et autres balivernes souvent employées jusqu'alors ….
Naturellement la dame joua les représentants de commerce, me faisant miroiter les avantages personnels que je tirerais d'une telle promotion : une retraite qui n'avait plus rien à voir avec la modeste pension qui serait mienne en septembre, une renommée qui m'ouvrirait des portes et me permettrait enfin de vendre mes livres, un chauffeur et une voiture de fonction pour me rendre chaque jour au ministère …
Je lui demandai de cesser de me faire miroiter les colifichets habituels qui peuvent attirer les vaniteux et les cupides, les ambitieux et les prétentieux. Je ne suis pas fait de la même veine que les gens qui gravitent dans son monde. Etonnée d'un tel refus, elle perdit pied quelques instants. La dame ne devait pas être habituée à pareille réaction !
Profitant du léger flottement constaté au bout du fil, je pris enfin la parole à mon tour pour préciser les attentes qui étaient miennes en vue de sauver notre école de la faillite et du désastre dans lequel la dame et ses prédécesseurs l'avait placée. Il serait trop long de faire ici la liste des mesures qu'il convenait d'abandonner pour redonner son lustre d'antan à l'enseignement.
Curieusement, notre chère ministre semblait acquiescer à toutes mes propositions. Il faut avouer qu'elles n'avaient rien de révolutionnaires, bien au contraire, il s'agissait de rendre à l'enseignement ses missions fondamentales. J'évoquai la nécessité de redonner sa place à l'enseignement de la langue : la nôtre en premier lieu et de refuser les anglicismes qui sont autant d'abandons de notre culture.
Je lui demandai naturellement de supprimer ce maudit socle commun qui n'a d'autre but que de contraindre les maîtres à déclarer pour acquis ce qui n'est même pas compris puis je lui expliquai quelques mesures visant à remettre plus d'enseignants devant les élèves en supprimant bien des missions qui nous éloignent de notre corps de métier. Enfin, je répétai à plaisir les objectifs incontournables qui devraient être ceux de l'école : Lire – Écrire, Parler, Compter, Penser, Raisonner.
C'est à l'évocation des deux derniers termes que je sentis chez elle comme un léger décalage, un désaccord de fond qu'elle n'osait exprimer. Il est vrai que toutes les mesures prises par la dame allaient à l'encontre de ces deux exigences qui dérangent . Mais nous pouvions sans doute trouver un terrain d'entente à ce propos.
Hélas, quand elle me demanda quelle serait la première mesure que je souhaitais mettre en application immédiatement à l'annonce de ma nomination, notre entretien prit une tournure désastreuse … Je lui dis que, pour moi, la mesure la plus exemplaire, la plus utile pour éradiquer la démagogie ambiante, le mensonge et la conspiration du secret consistait à mettre tout le monde devant les élèves.
Elle a opiné dans un premier temps, sans comprendre la portée de ma mesure, qui pour économique et simple qu'elle soit, n'en constitue pas moins une révolution. Sentant cependant percer un soupçon d'ironie dans ma voix, la Ministre voulut une explication. Malencontreuse explication qui causa notre rupture et fit avorter mon incroyable promotion …
« Je souhaite qu'aucune fonction de responsabilité ne puisse s'exercer sans que la personne qui en sera chargée ne passe une journée par semaine devant des élèves, si possible dans les zones difficiles. Directeurs, principaux, proviseurs, inspecteurs départementaux, généraux, spéciaux, recteurs et même ministres, devraient aller voir un peu du côté du réel avant de prétendre que les enseignants disent n'importe quoi ! »
Cette fois, c'en était trop pour la dame. Les démagogues n'aiment pas qu'on puisse pointer leurs contradictions, leurs filouteries et leurs mensonges. Scandalisée, elle me raccrocha au nez ; je ne serai jamais secrétaire d'état. Ce qui devait être annoncé en ce mercredi premier avril restera dans les espoirs déçus ! Qu'importe, elle a entendu, le temps de cette conversation utile, des vérités que nul ne songe à lui dire au pays des grimaciers patentés.
Une fois encore l'aventure finit en queue de poisson, je suis condamné à faire des ronds dans l'eau, à demeurer près de ma Loire sans espoir de changer le monde ne serait-ce qu'une seconde.
Ministrablement sien.