L’agneau mystique de Van Eyck (première partie)
Les tableaux anciens sont parfois de véritables livres d’histoire. J’en ai donné un exemple dans mon dernier article consacré à « La Vierge du chancelier Rolin », œuvre magistrale où s’exprime, à mon sens, un projet de nature beaucoup plus politique que religieuse. Ce tableau est en parfait accord avec ce que les archives nous apprennent sur le trio qui mettait alors en scène la politique de la Bourgogne, à savoir : le duc Philippe le Bon, le chancelier Nicolas Rolin et Van Eyck, porte-parole et peintre génial. Le « Polyptyque de l’agneau mystique », exposé à Gand, marque l’apogée de l’ambition politique des ducs avant la chute de Charles le Téméraire devant les murs de Nancy.
Première partie : présentation du polyptyque fermé.
En haut et à gauche :
Après des siècles de silence, le prophète Zacharie ouvre de nouveau le Livre sacré. « Exulte de joie, fille de Sion, pousse des cris d’allégresse, fille de Jérusalem, voici que ton roi arrive ! » (Zach, IX, 9)
En haut et à droite, le prophète Michée lui fait écho :
« C’est de toi que sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. » (Mic, V, 1)
Entre les deux prophètes de l’Ancien Testament, la Sibylle d’Érythrée et celle de Cumes, porte-parole de l’ancienne civilisation gréco-romaine, confirment la prophétie : « Rien de mortel ne sort de sa bouche. Tu es inspirée par le souffle de la divinité. » (Virgile, En.6, 50) « Le roi des siècles futurs viendra dans la chair. » (Saint Augustin, De civitate Dei, XVIII, 23)
A l’étage intermédiaire, entre ciel et terre,
dans une lueur pâle, lunaire, presque irréelle, l’ange Gabriel est descendu du ciel pour annoncer la bonne nouvelle à la Vierge qui se trouve dans son palais flamand. Plongée dans la lecture d’un livre saint, elle s’est arrêtée à une page où l’on peut lire : « Comment puis-je lui construire un temple ? » (2 Chr, II, 6)
La fleur de lis, symbole de pureté, dans la main gauche, l’ange lui dit : « Salut, pleine de grâce, le Seigneur soit avec toi. » (Luc I, 38) Et celle-ci, inspirée par la colombe du Saint Esprit, répond en lettres doublement inversées : « Je suis la servante du Seigneur. » Luc, I, 38)
Interprétation :
Quelque 1432 ans après sa visite à la Vierge d’Israël, 814 ans après sa visite à Mahomet, au tout début de la splendeur d’une renaissance artistique bourguignonne, l’ange Gabriel redescend à Gand dans le tableau de Van Eyck et il dit à la Vierge des Flandres : « Je te salue, le Seigneur soit avec toi ! »
Car cette Vierge est la Vierge des Flandres, il n’y a aucun doute à ce sujet. En ouvrant la fenêtre sur un village typiquement flamand, en mettant dans la pièce des objets régionaux caractéristiques, le peintre a cherché à être très clair sur ce point. Et la Vierge des Flandres, c’est-à-dire l’Eglise des Flandres, répond qu’elle est la servante du Seigneur.
Tout en haut, le prophète Zacharie s’écrie : « Voici que ton roi arrive ! » Question : « D’où vient ce roi ? » Réponse : « Il vient de la Bourgogne. » Et il vient même de beaucoup plus loin... du pays éduen (Bibracte, Gourdon) et de beaucoup plus loin encore... du Proche-Orient (cf. mes articles et mes ouvrages). Inspirateur probable du tableau en collaboration avec son homologue de Gand, le chancelier Rolin se place dans l’héritage d’Israël. La Bourgogne est le nouveau peuple élu qui doit porter sa « foy »... à la Flandre, aux pays du Centre-Europe, à l’Europe, au monde entier.
En bas et au centre,
les statues figées dans la pierre, mais immortelles, de Jean-Baptiste et de Jean l’apôtre appartiennent à l’univers de la sublimation artistique. A l’extrême gauche, le donateur Joos Vyd, bourgmestre de Gand, fondateur comme Nicolas Rolin d’un hôtel-Dieu, prie à genoux. A l’extrême droite, son épouse fait de même. Ils font partie de l’univers des vivants.
Extraits de mes ouvrages non publiés.