mardi 13 octobre 2020 - par C’est Nabum

L’as de pique

Il ne se met pas sur son trente et un.

Faut-il prendre une veste ou bien manger son chapeau pour ne pas avoir la réputation de ce malheureux as de pique, condamné à jamais à être mal fagoté. Il se peut que le pauvre souverain républicain qui voit tout en noir fut un descendant de Dagobert. La culotte à l’envers, il a mis Pierre avec Paul et sa liquette baille honteusement d’autant qu’un pan déborde d’une braguette mal fermée.

Notre As ne sort rien de sa poche, ni même de sa manche. De la première, flotte un mouchoir à carreau, cadeau empoissonné de son adversaire, tandis que la seconde est si mal remontée que même la fonction de valet lui serait inaccessible. Quoi qu’il fasse du reste, il s’y prend comme un manche et marche toujours à côté de ses pompes.

L’As se pique pourtant de vouloir compter fleurette à la dame de cœur. La chose peut paraître surprenante et l’effet hélas ne s’est pas fait attendre. La belle l’a prié d’aller se rhabiller, ce qui avouons-le était la plus sage décision. Des esprits mal tournés ont compris dans cette formule qu’il y avait eu quelque chose entre-eux, c’est faire preuve d’une mauvaise foi totale et je m’élève solennellement en faux contre cette détestable rumeur, les gens aiment à parler à tort et à travers.

L’As de pique dort avec un bonnet de nuit. C’est un frileux, il grelotte toutes les nuits, a besoin d’une bouillotte. Sa domesticité disait toujours à l’heure du coucher cette formule qui fut largement transformée par les joueurs de cartes : Grelotte et bouillotte. D’autant plus que sa partenaire allait voir ailleurs.

Superstitieux, le pauvre homme désire chaque matin glisser un trèfle à quatre feuilles dans sa pochette de veste. Ses sujets ont beau s’étonner qu’il se pare ainsi aux couleurs d’un autre rival, il n’en veut rien savoir. Il se plaît même à ajouter un fer à cheval dans son jeu au cas improbable où un cavalier surgirait du fond de son ennui. C’est ainsi qu’il pense que la bonne fortune ne disposera d’aucune excuse pour ne pas lui sourire.

Peureux, il est toujours suivi par un chien qui monte la garde à ses côtés. Cet animal n’en fait qu’à sa tête, il se défausse et lève fréquemment la patte contre le pantalon de son maître, c’est là qu’est l’os. Non seulement l’As de pique n’est pas présentable mais guère plus fréquentable. Il n’y coupe pas d’ailleurs, subissant quolibets et moqueries derrière son dos.

Point n’est besoin pour lui d'espérer des jours meilleurs. Sa réputation le précède aussi sûrement que son odeur. Il a beau marcher exclusivement sur un tapis vert pour accéder à son trône, il remarque qu’à son passage les courtisans se défaussent tandis que les serviteurs s’en vont piocher ailleurs. Son règne est devenu un calvaire, ne parvenant pas à réunir autour de lui ne serait-ce qu’un dernier carré de fidèles. Il a perdu la bataille de la notoriété.

L’As de pique se désespère. Il devine la fin de sa puissance proche. Se laisse pousser la barbe, fixe à son baudrier une manille pour rester toujours en rappel avec ses gardes du corps. Sa couronne branle du chef, son spectre bat la breloque, les pairs du royaume menacent sécession. Le grand argentier lui a demandé de se serrer la ceinture tandis que dans le même temps, son conseiller en communication lui a remonté les bretelles.

Une idée le taraude, il voudrait abdiquer, s’en aller loin de la cour pour pouvoir simplement jouer aux petits chevaux et ne plus avoir de cartes en mains. Il est las de toutes ces batailles, de ces parties qui tournent à son désavantage. L’As de pique se rend compte soudain que même si parfois il est supérieur au Roi, ce n’est pas lui qui gouverne véritablement. C’est un valet qui tire les cartes et les marrons du jeu. Il ne fait pas un pli alors que son pantalon en est couvert.

Il se décide à consulter une diseuse de bonne aventure. La dame est une chiromancienne. Elle examine attentivement le menotte de notre As, la regarde en faisant la moue et de guerre lasse finit par lui dire : « Vous avez une mauvaise main ! »

Décidément cette histoire n’a ni queue de pie ni tête de pioche. Il convient de couper court à cette mascarade. Les dés en sont jetés, l’as reprend le volant et s’en va tenter sa chance dans une autre contrée, là où les gens vivent nus sans soucis de l’étiquette et de l’apparence vestimentaire.

Cartomanciennement sien.

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