vendredi 5 mai 2006 - par Jean-Paul Busnel

L’empaillé oublié

L’homme, décidément, n’est pas prêt à sortir de la barbarie. D’un monde où tout s’achète et où tout se vend. D’un univers où tout se consomme et s’appauvrit. L’individu n’a plus alors que la valeur que chaque société veut bien lui donner. Et c’est parfois surprenant. Il existe ainsi, en France, comme on l’a redécouvert cette semaine, un musée où l’on peut « contempler » un homme empaillé. Par la volonté d’un aristocrate d’hier et la complicité des « démocrates » d’aujourd’hui. Le musée d’Allard de Montbrison, dans la Loire, conserve, dans un cercueil en bois, le corps d’un ouvrier espagnol d’une trentaine d’années. Ni embaumé, ni momifié, ni jadis enterré avec fastes et honneurs, comme a pu l’être Nefertiti, mais vulgairement empaillé par un taxidermiste parisien, avec ses oripeaux, et jeté entre quatre planches, sans autre forme de respect. Le tout dans le seul but d’assouvir, jadis, la curiosité des visiteurs d’un petit marquis. Et, désormais, celle des amateurs de sensations fortes.

Depuis deux siècles, cet homme, dont on ignore le nom, n’a plus d’identité. On sait seulement qu’il a été accidenté en construisant l’hôtel particulier où il est exposé. Existant à peine comme objet « naturalisé » d’exception, il est ainsi étiqueté au milieu d’une collection d’animaux, entre ours, girafe et une multitude d’oiseaux, et repose caché derrière le couvercle de son cercueil. Anonyme, oublié, dédaigné, méprisé...

Le pire, sans doute, est que personne, aujourd’hui, n’a l’idée de lui donner une sépulture décente, de retrouver son nom et sa mémoire et de lui rendre enfin sa dignité. Et que la France, berceau de toutes les libertés, donneuse de leçons devant l’Eternel et le monde entier, n’a pas encore jugé bon de remettre le corps à ses voisins. De rendre ainsi à sa patrie cet ancien prisonnier, selon toute vraisemblance, de la conquête napoléonienne. Triste destin d’un ancien exilé, devenu ouvrier, pour finir empaillé.

Le conservateur du musée, quant à lui, n’a pas d’état d’âme. On lui a demandé de conserver, et il « conserve », faisant remarquer au passage qu’il s’agit du « seul Européen connu ainsi conservé ». Il a juste l’envie de mieux faire connaître son musée.
De peur, sans doute, d’y être... enterré.



30 réactions


  • Martine Dromas 5 mai 2006 11:43

    Merci d’avoir gardé cette fraicheur d’indignation


    • 5 mai 2006 11:45

      Ce commentaire en direct d’une amie, en plus sur mon ordinateur, fait plaisir, mais ne fait pas avancer le débat


    • Marsupilami (---.---.225.157) 5 mai 2006 12:24

      Ouaf !

      Il n’y a pas là matière à débat : c’est tout simplement atterrant. Merci pour ce très bel article où tout est dit et bien dit.

      Houba houba !


  • Scipion (---.---.59.229) 5 mai 2006 12:44

    « Ce commentaire (...) fait plaisir, mais ne fait pas avancer le débat. »

    Quel débat ? Je ne vois pas en quoi ce mort-là se distingue réellement des cadavres plastinés de von Hagens... Qui ne suscitent guère de critiques, en dépit de leur hypermédiatisation...

    Ah, c’est parce que c’est un travailleur immigré...

    Décidément... :o((


    • Marsupilami (---.---.225.157) 5 mai 2006 13:56

      Ouaf !

      Tu as raison. Von Hagens est tout aussi nauséabond, mais il a le privilège d’être étiquetté « art conceptuel » (mort de rire !), ce qui fait que les zintellos zartistes chébrans n’y voient pas malice...

      Houba houba !


    • (---.---.161.230) 5 mai 2006 16:18

      Au premier abord l’expo de Gunther Von Hagens me dégoutais. Mais il semblerai que l’ensemble des « cadavres » qui soient exposés avaient donnés leurs accords de leurs vivants à être plastinés et à être exposés. Voir le lien ci dessous, à la fin du chapitre « La plastination ».

      http://www.artezia.net/art-graphisme/art/vonhagens/vonhagens.htm


  • Fabrice Fabrice Duplaquet 5 mai 2006 12:55

    Lucy, Toumaï, Abel, Néanderthal, et tous les autres vont aussi bénéficier d’un place au Père Lachaise.

    Je crois que la principale information donnée par ce scandale c’est qu’il y a eu des hommes assez bêtes pour empailler un de leur congénère. La connerie humaine n’a pas de frontière.


  • Jojo (---.---.2.219) 5 mai 2006 12:57

    C’est la vénus hottentote de la Loire.


  • faxtronic (---.---.183.158) 5 mai 2006 20:40

    Moi aussi je veux que l’on m’empaille. Je prefere cela que bouffé par les vers ou cramé au kerozene. Et pis je verrais bien mon auguste personne troner dans le salon de mes petits-enfants entre l’holoTV et le coussin du chat. Bon franchement c’est une idée des plus étrange que cela. Quelle epoque l’empaillage ? Au fait, a-t-on idée si le maçon espagnol etait consentant ? De toute façon a cette epoque, la question etait superflue.


  • me (---.---.21.120) 6 mai 2006 11:06

    Tout s’achette et tout se vend ? Dans une certaine limite, c’est génial : ça veut dire que tout s’échange !

    Sinon, pour ce qui est de lui offrir une « sépulture décente »... c’est religieux. L’être humain empaillé est mort, et si l’on veut le respecter le plus, ce n’est pas en l’oubliant sous terre, mais en en expliquant sa vie. Peut-être que c’est là où le musée pêche en ne mettant en avant que le côté « européen taxidermisé ». Mais bon... je ne connais pas le dossier, pas plus que la plupart des lecteurs ici qui ne commentent qu’un commentaire orienté (bon sens ou mauvais sens ? je ne peux pas dire).


  • Antoine (---.---.27.216) 7 mai 2006 10:24

    Un petit article qui passerait inapperçu ou anecdotique ?

    Thématique des désacralisations, du ludique lié au morbide.

    Sans les alibis de la sciences cherchant les catégorisations nécessaires au savoir, les Vésales de pacotille trouvent de curieux pastiches.

    Il y avait le musée Spitzner des aberrations physiques et des moulages en cire des erreurs de la nature exposé dans les foires.

    Ces cabinets de curiosité morbides auraient plu au surréalistes en quête d’onirisme. Ces nouvelles mises en scènes parfois dites artistiques illustrent les fantasmes de l’homme contemporain. Ce n’est pas nouveau ce débat autour de la mort laissée en suspend tant finalement elle fait peur,aujourd’hui alors que notre époque rend le fugitif et la futilité plus important que le débat de la vie elle-même.

    Le comble du manièrisme en somme ou du kitsch à défaut de trouver d’autres icônes pour nous réconcilier avec nos peurs.


  • Il y a aussi les peaux d’homme tannées (---.---.67.191) 8 mai 2006 22:54

    Le museum d’histoire naturelle de Nantes a en exposition depuis des années (je me souviens de l’avoir vue au début des années soixante, et on me dit qu’elle y est encore malgré les manifestations régulières demandant son retrait) - une peau d’homme tannée.

    Ce pauvre homme était un chouan, tué par les Bleus qui se sont empressés de le faire tanner. Il n’a pas été le seul, la tannerie Langlais aux Ponts-de-Cé près d’Angers aurait tanné 32 peaux humaines.

    Saint-Just écrivait à la même époque (1793) « On tanne à Meudon la peau humaine, la peau qui provient d’hommes est d’une consistance et d’une beauté supérieure à celle des chamois. Celle des sujets féminins est plus souple mais présente moins de solidité ». Ce qui prouve l’existence d’au moins une deuxième tannerie de peaux humaines en France.

    Et ce qui démontre que cette peau n’est pas l’oeuvre isolée d’un fou furieux échappé de l’asile comme ce pauvre homme emppaillé, mais que c’était considéré comme correct par les révolutionnaires de l’époque. Il est vrai qu’ils avaient certainement perdu le sens de certaines valeurs, après avoir massacré le quart de la population de la région en deux années de temps.


    • Antoine (---.---.106.224) 9 mai 2006 18:44

      Les nazis ds les camps tannaient les peaux des supliciés pour en faire des abats-jour.

      C’est pourquoi, il me semble que ce type d’horreur peut trouver toutes sortes d’alibi et de justification.


    • faxtronic (---.---.183.158) 10 mai 2006 20:47

      Vos sources SVP.


  • faxtronic (---.---.183.158) 10 mai 2006 20:55

    j’ai cherché sur le web, mais rien.


    • Antoine (---.---.216.65) 11 mai 2006 12:30

      Je n’ai pas trouvé cette information historique sur le Web, c’est un fait connu depuis longtemps...

      Sur le Web on trouve des infos :

      Exemple :

      http://www.etab.ac-caen.fr/leclerc/descente.html


    • faxtronic (---.---.183.158) 11 mai 2006 21:50

      Desolé antoine, c’était pas sur les camp de concentration que ma question se posait (j’ai vu nacht und nebel, cela ma suffit comme source), c’est sur les guerres vendéennes de 1793. La vendée, je suis d’accord, ce fut dur, même pour l’époque. C’est le coup du tannage de peau humaine en vendée qui m’interpelle. Et c’est surtout la soi-disant citation de Saint-Just. Il etait vehement certes, mais je le voi mal en train de se feliciter de tannage de peau humaine.


    • (---.---.3.44) 11 mai 2006 22:11

      Rapport du 14 août 1793 à la Commission des Moyens extraordinaires. Voilà la peau de Nantes (si je ne me trompe pas dans les liens) /lesyeuxouverts.blogs.marieclaire.fr/images/medium_peau_de_chouan.3.jp g »>


    • (---.---.3.44) 11 mai 2006 22:13

    • faxtronic (---.---.183.158) 11 mai 2006 22:26

      c’est horrible


    • faxtronic (---.---.183.158) 11 mai 2006 22:32

      j’ai trouvé l’info sur le web. Enfin bon la source est plus que douteuse : ’les manants du roi’ pour dieu et le roi). Autant chercher une preuve de la nocivité juive sur un site neo-nazi....


    • Antoine (---.---.240.191) 12 mai 2006 00:16

      Ok.

      Pas fait le lien immédiatement sur la question posée.


  • (---.---.3.44) 11 mai 2006 22:58

    Pour la peau je l’ai vue moi-même et elle est encore en expo, il n’y a rien de douteux (enfin quant à son existence, pour le reste c’est bien sûr horrible).

    Pour la source de la citation, il y en a d’autres que celle que vous avez trouvée, elle est aussi sur Gallica il me semble être tombé dessus il y a qq temps mais comme les textes sont scannés au mode image c’est assez compliqué de retrouver.

    De toute façon la chose était déjà inventée, même si elle était plus confidentielle : on a d’autres exemples.

    Les reliures « anthropodermiques » par ex. http://listserv.muohio.edu/scripts/wa.exe?A2=ind9610a&L=archives&T=0&F=&S=&P=5703 où on voit une personne qui a fait relier un livre avec la peau de son ami, tué et écorché par les Indiens.

    Au bas de ce lien il y a aussi une bibliograhie de tout ce qui traite à la tannerie de peau humaine qui mériterait d’être explorée en détail.

    Albert Way, "Some Notes on the Tradition of Flaying Inflicted in Punishment of Sacrilege, the Skin of the Offender Being Affixed to Church-Doors," _Archaeological Journal_, 5(1848):189-190

    G., B.. « Manuscits sur peau humaine, » _Intermediare des chercheurs et curieux_, 2(November 25, 1865) : 681

    Albert Cim(ochowski], _Le Livre ; historique-fabrication-achat-classement-usage et entretien (Paris : Imprimerie imperiale, 1867-70l three volumes. ["Cim gives the best available general account of anthropodermic bibliogegy"]

    Cimochowski, « Peau humaine tannee », _Intermediare des chercheurs et curieux_, 62(August 20, 1910):269-271

    « Manuscrits sur peau humaine », _Intermediare des chercheurs et curieux_, 3(January 10.1866):19

    « Les Reliures en peau humaine, » _Chronique medicale_, 5(1898):137

    « Human Skin Tanned, » _Notes and Queries_, Third Series, 9(April 14, 1866):309

    Carrington, F. A., « Human Skin Tanned », _Notes and Queries_, Second Series 2(October 11, 1856)

    « Les Tanneries de peau humaine, » _Intermediare des chercheurs et curieux_, 5(November 10,1869):640-641

    V. Dufour, « Les Tanneries de peau humaine, » _Intermediare des chercheurs et curieux_ 7(April 10, 1874):179

    G., « Human Skin Tanned », _Notes and Queries_,Third Series 8(December 2, 1856) : 465

    Hackwood, R. W., « Human Skin Tanned », _Notes and Queries_,Third Series, 10(October 27, 1866):341

    « Human Skin Tanned », _Notes and Queries_, Second Series, 2(September 27, 1856):252

    Apparemment il y a aussi des fous furieux qui demandent à être tannés après leur mort. Daté de 1994 : SPRINGFIELD, Ore.—Donal Russell’s last wish was to have his body skinned and his hide tanned like leather. Over funeral directors’ objections, his widow is asking a judge to help her hohor the request. Russell, a poet and fly fisherman who ran a fly-tying business called Russell’s Bug House, died Feb. 3 at age 62. His will, signed Dec. 17, directed that his body "be skinned from the head down and tanned for the purpose of face binding volumes of my verse."

    Bon j’arrête de chercher sinon je vais faire des cauchemars...


    • Antoine (---.---.240.191) 12 mai 2006 00:14

      Bonne nuit tout de mme ....


    • Traducteur désoeuvré (---.---.202.102) 8 juin 2006 17:26

      Solution géniale ! Y a-t-il quelque-chose de plus navrant que de lire une plaquette vermoulue ?


  • Z (---.---.107.66) 16 mai 2006 14:53

    J’ai du mal à partager l’indignation de chacun... Une fois l’homme mort, le corps qui reste n’est plus que matière. Certains incinèrent, d’autres laissent pourrir dans un cercueil, les Egyptiens antiques embaumaient les corps des défunts d’importance (même que je crois me souvenir qu’ils vidaient le cerveau en faisant un trou dans le crâne par le nez), d’autres encore décident de faire don de leurs organes à leur mort (ce qui sauve des vies)... Quelle importance ? Car si les morts continuent de vivre, c’est dans le souvenir de ceux qui les ont connus, pas dans leur dépouille (qu’elle soit malmenée ou non)... Alors rendre le corps à l’Espagne, lui donner une sépulture décente, retrouver son nom... Il y a à mon avis d’autres combats à mener. Pourquoi, sous prétexte que l’on a une partie de son corps sous les yeux, devrait-on se souvenir de cette personne en particulier, et ignorer toutes les autres personnes qui ont vécu sur cette terre et sont mortes et dont on ne garde aucune trace ? Parce que son cadavre a été empaillé ? Je ne pense pas qu’il s’en soit rendu compte.


    • sssssss 17 mai 2007 12:27

      bonjour tout le monde. cet article, ainsi que vos commentaires sont surprenants ! cet homme se trouve dans un musée, il est donc considéré comme une oeuvre d’art ! la vrai question qu’il faut se poser ici est : où sont les limites de l’art ? comment un cadavre peut être l’objet d’un commerce artistique ? pour moi l’exposition de von Hagens qui a quand meme été fort controversée à l’époque, est de la science. elle se voulait marquante mais était très instructive. (je garde en souvenir, ce poumon noir de fumeur qui m’a directement fait arrêté de fumer). Le cas de cet homme empaillé, n’a aucun but lucratif. Il ne nous apporte rien... Alors ? décoratif ? artistique ? comment le considère t- on ? j’attends avec impatience votre avis sur la question d’oevre d’art. merci à vous/


  • Rachid (---.---.223.70) 21 juin 2006 21:08

    On ne dit pas empaillé mais naturalisé...


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