L’enfant au bonnet marron
Un joli message à rebours.
Un enfant, convenablement vêtu d'un manteau fourré à capuche, portant un bonnet marron, regarde à distance le marché de Noël. Il est seul alors que d'autres se dirigent vers le cœur de la fête, accompagnés d'adultes. Il est immobile, figé dans cette observation qui le laisse à distance de l'agitation que l'on devine au loin.
Pourquoi diable est-il ainsi exclu de ce qu'il regarde avec cette intensité qu'avive toujours le désir ? On devine pourtant dans sa posture nul dépit, comme s'il acceptait son sort, qu'il savait que ce qui se déroule à quelques pas de lui, ne lui est pas destiné.
Ce n'est pas un petit miséreux. Il n'en a pas l'allure ni même la vêture. Son manteau indique nettement qu'il appartient à une classe sociale qui n'est pas dans le besoin. Il n'est pas non plus issu de l'immigration pour peu qu'on puisse émettre cette affirmation par un visage illuminé par les lumières du marché de Noël.
Pourquoi ne va-t-il pas plus loin alors ? Ce n'est certes pas, à en croire sa tenue, un problème de moyens. Sa solitude peut expliquer sa crainte de pousser plus loin. Je ne peux y croire tant les sollicitations sont puissantes et de nature à briser sa timidité apparente. Il me pose une énigme qui me pousse à me préoccuper de lui dans cette scène si parfaitement maîtrisée par le graphiste.
Placé en bas à gauche de l'image, c'est lui qui nous guide pour laisser filer notre regard vers cette ligne de force constituée du Père Noël, de la cathédrale et de la grande roue. C'est ainsi que nous l'abandonnons tous à son immobilisme qui ne peut être fortuit. Qu'a donc voulu sous-entendre l'artiste en plaçant en cet emplacement clef dans une affiche, un élément exprimant un contre-message.
L'artiste se reconnaît-il dans cet enfant, lui confiant la responsabilité d'avouer discrètement son peu de goût pour une telle manifestation ? Il est clair qu'il a figé ce marché de Noël dans une forme adroite d’icône cultuelle dans laquelle les chalets commerciaux sont eux-aussi à la périphérie de l'image. Quelle histoire dans son passé le pousse à se mettre par l'entremise du gamin, à l'écart de cette fièvre acheteuse ?
Le petit garçon vient-il prendre la place d'un souvenir passé, d'un absent que l'on ne peut oublier quand on célèbre bien maladroitement désormais la fête des enfants ? Il se peut qu'il incarne un fantôme pour cet excellent artiste. Il est en tout cas une sorte d'esprit qui ne se mêle pas à l'agitation factice à laquelle, malgré lui, le graphiste invite une population qui se limite à deux adultes et quatre autres enfants.
Finalement, il parvient à gommer la foule habituelle d'une telle animation Nous sommes focalisés sur l'image centrale, ce cœur constitué de la maison de Dieu et de l'attraction spectaculaire, toutes deux comme jaillies de ce gros grimoire à l'allure de livre sacré. C'est alors que le doigt du bonhomme à la pelisse rouge me saute aux yeux. Le vieillard s'adresse exclusivement à l'enfant au bonnet rouge et semble lui montrer que la seule vérité qui soit dans ce monde vient du livre.
Je n'avais pas compris et me voilà désormais enthousiaste en saisissant insidieusement le sens du message subliminal. « Il n'est de véritable offrande à Noël que dans le livre, ce cadeau sublime qui est le seul à pouvoir transformer la vie tout en accompagnant parfois toute une existence ! »
Je ne puis qu'applaudir à tout rompre à cette manière adroite de détourner la commande et d'inviter ainsi à la sagesse dans un univers en plein délire consumériste. Décidément cet artiste a un immense talent et je me reconnais pleinement dans son message admirable. La magie de Noël peut opérer pour peu que l'on sache regarder avec les yeux de l'enfant au bonnet marron.