jeudi 14 février 2019 - par C’est Nabum

La chasse au trésor

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Autre temps …

Il me revient en mémoire une activité qui exprime parfaitement le changement de société que nous avons pu connaître, sans vraiment le remarquer, au fil d’un temps qui imposa une nouvelle vision du monde. C’est au travers de telles réminiscences que je me rends compte à quel point rien n’est pareil et ne le sera jamais plus. Suivez mes pas dans mes souvenirs d’en-France si vous avez un petit reste d’humanité…

Il était alors dans mon petit pays une animation qui soudainement pouvait impliquer tous les membres de ce qui était alors une communauté villageoise. Un simple jeu dans le cadre d’une fête de quartier, de la foire commerciale ou bien d’une date quelconque qui méritait qu’on sollicite la population. Des hauts parleurs diffusaient de la musique et l’information dans le centre du bourg, le crieur avait porté la bonne nouvelle. Chacun était au courant alors que nous étions si loin de la fameuse ère de la communication.

Ce jour-là, les candidats avaient rendez-vous dans notre vieille salle des fêtes. J’ai le souvenir que ce fut là l’une des dernières de ce bâtiment au charme désuet, au confort incertain et aux aménagements de sécurité parfaitement obsolètes. promis à la destruction , Ce jeu était ouvert à tous, sans distinction d’âge et de sexe si bien que moi, le ch’tiot gamin, je me retrouvais à armes égales, si j’ose le dire, avec des plus grands, des adolescents et même quelques adultes.

Nous avions reçu une feuille de route, une liste longue comme le bras, mais ma mémoire amplifie sans doute la chose, d’objets hétéroclites, improbables, disparates. Une série de choses sans rapport entre elles, qu’il nous appartenait de ramener dans les plus brefs délais. La course était lancée, c’était notre chasse au trésor.

Aujourd’hui, il serait parfaitement impossible de réunir l’espace de quelques heures, une veste de cuisinier, une lampe tempête, un plantoir, un arrosoir, une brouette, un panier à salade, une binette, un pot de fleur, une médaille militaire, un drapeau tricolore, un casque de moto, une burette, une botte de poireaux, une cage à oiseaux et une ventouse. Ne manquait plus que le raton laveur…

Trouver tout ça n’était alors pas une gageure. Il suffisait de le quérir auprès des amis, des voisins, des connaissances et dans le grenier familial. Chacun disposait d’une caverne d’Ali-Baba et ce qu’on nomme désormais le réseau faisait le reste. Le bouche à oreille ayant fonctionné, la liste diffusée dans les hauts-parleurs, chacun savait ce que cherchaient ces quelques énergumènes qui battaient les rues en poussant une brouette.

Habitant à deux pas de la salle des fêtes, point de départ et de ralliement de la course, je disposais d’un bel avantage sur mes adversaires, pourtant bien plus grands. Le tour du champ de foire me suffit à réunir la longue liste. J’avais là des voisins aimables avec tout ce qui fallait à ma quête. Un jardinier, un pâtissier, un ancien combattant, un motard, un bedeau, des ménagères... Tous contribuèrent de bon cœur à ce qui allait devenir mon triomphe.

Ma brouette fut pleine en moins de temps qu’il ne faut pour écrire ce récit. La solidarité, mot bien trop fort pour exprimer alors ce qui s’était passé, avait joué pleinement. C’est tout naturellement que ces gens m’apportèrent leur contribution, non seulement parce qu’ils me connaissaient mais de plus parce qu’ils étaient au courant. Ils savaient tous, que ce qu’ils me confiaient si aimablement, ils allaient le retrouver et personne ne songeait alors qu’un quelconque individu puisse me dérober l’un d'eux sur le trajet.

Nous vivions véritablement dans un autre monde. Pensez-donc que jamais nous n’attachions nos vélos ni que les adultes ne fermaient leurs portes. La confiance était de mise, la vie collective avait un sens dans une société où, chose impensable dans nos cités, chacun se connaissait, se saluait et, je ne sais si vous allez me croire, se parlait aimablement dans la rue.

À bien y réfléchir, le véritable trésor était là. Nous l’avions tous sous la main sans même nous en rendre compte. Il nous a été dérobé, lentement, insidieusement, sournoisement même par l’arrivée progressive d’objets qui n’étaient pas dans la liste et qui ont chamboulé nos vies : télévision, téléphone, télécommande, ordinateur, tablettes, GSM… Plus cette liste s’allonge, plus la vie devient une épreuve nouvelle, sans que plus personne ne vous tende la main.

Que j’aimerais retrouver mon trésor d’enfance, cette communauté humaine qui ne dressait nulle barrière entre les gens, où chacun avait une place reconnue et le sourire aux lèvres.

Anthropologiquement vôtre.

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2 réactions


  • pipiou 15 février 2019 00:13

    Tout être humain a la nostalgie de son enfance, depuis la nuit des temps.

    Certains se laissent manger par le discours du « c’était mieux avant ».

    D’autres résistent à ce cancer de l’âme en ayant appris de leurs ainés que c’est un cycle de naturel et que cracher son dégoût sur la modernité et l’avenir est la meilleure façon de mourir amer et désabusé.

    mais il faut avoir une âme de poète pour comprendre ça.


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