samedi 5 janvier 2019 - par C’est Nabum

La Croix des Frappiers

Passeport pour la liberté.

Il est un endroit qui pour moi représente la liberté, la porte ouverte à l’aventure, la permission donnée de laisser libre cours à mon envie d’ailleurs : c’est la Croix des Frappiers. Longtemps, alors que j’étais enfant, je n’avais d’autre espace autorisé que le Champ de Foire, cet Eldorado de mon enfance. Puis, comme je finissais d’apprivoiser ce curieux engin muni de pédales pour faire avancer des roues, j’ai eu la permission paternelle de battre la campagne.

Mes escapades avaient deux destinations. La première, vous devez vous en douter, me conduisait vers la Loire, en passant devant le château, en remontant jusqu’à l’embouchure de la Sange puis en me perdant toujours plus vers l’amont. Au retour je ne manquais jamais de pousser jusqu’à Saint Germain afin de profiter pleinement de notre quartier des mariniers. La seconde me poussait à quitter le Val de Loire pour aller vers la Sologne voisine, si proche qu’en quelques minutes, un changement radical de décor s’imposait à moi.

La balade vers la Croix des Frappiers empruntait un parcours immuable, une sorte de rituel auquel il convenait de ne jamais déroger. J’empruntais la rue qui passe devant notre remise, ce merveilleux endroit qui mériterait d’être transformé en salle d’exposition. Juste en face, il y avait la fosse aux grenouilles, une cale pavée qui permettait avant que l’on ne la bouche pour en faire un parking insipide, aux bestiaux d’aller boire. C’était encore, au cœur de la ville, un peu de nature sauvage, un endroit couvert de nénuphars et de sourdes menaces.

En face, le lavoir de la Blanchisserie, là où ma mère avait table réservée, pour y nettoyer les laines. Je continuais par cette rue jusqu’à bifurquer pour rejoindre la route de la Picaudière. Il y avait là un gué, un dénivelé que j’adorais passer en prenant grand élan. Une gerbe d’eau accompagnait mon passage, me donnant le sentiment d’être un aventurier. Jamais je n’aurais songé à lui préférer ce petit pont jeté sur la Rue d’Oison, sans même un garde-corps.

Puis je mettais le cap vers la Sologne, ses fougères, ses bouleaux et ses châtaigniers, ses animaux qui ne manquaient jamais de pointer le bout de leur museau. La route cheminait entre les arbres et hélas, des hauts grillages. Il y avait là une riche propriété appartenant à des têtes couronnées qui nous faisaient le cadeau de leur passage au moment de la chasse. Avec eux, l’activité cynégétique relevait de la tuerie systématique, de l’hécatombe indécente ; grand bien leur fasse !

La Croix des Frappiers était le but ultime. Il convenait d’en faire le tour pour rentrer à rebrousse chemin. Ce lieu énigmatique à la croisée de routes sur lesquelles passaient si peu de voitures, m’ouvrait vers des rêveries merveilleuses. Je poussais parfois un peu plus pour ramasser des châtaignes dont j’allais bien vite me régaler.

Puis l’âge allant, le petit vélo rouge devint un grand routier bleu de marque Peugeot. Lui aussi me conduisait en ce lieu, même s’il me prit rapidement l’habitude de pousser bien plus loin mes escapades. Bien vite d’ailleurs, le directeur de l’école primaire Monsieur Desnoues, s’en plaignit ouvertement, j’étais plus souvent à bicyclette que derrière mes cahiers, d’après lui. C’est qu’il voulait comme tous les autres que je redresse mon orthographe, mission à laquelle échouèrent tous mes maîtres.

Je continuais à commettre des fautes d’accord tout en y ajoutant la griserie de la transgression. Dans notre remise dormait depuis de longues années la mobylette Helyett de mon père. Après des réparations sommaires, sans casque et sans la moindre autorisation, l’engin pétaradant me conduisit de nombreuses fois jusqu’à la fameuse Croix avant que la pauvre vieillerie ne finisse pas crever. La sagesse venant, je me mis en action pour ressortir des oubliettes le vélo qui avait tiré la fameuse remorque pour livrer matelas et sommiers.

Il était lui aussi de la fameuse marque locale. Il avait un plateau de bois sur la roue avant, une petite selle sur la barre transversale, un porte bagage. C’est en cet équipage, qu’enfant, le diable d’engin conduisait à l’école ma petite sœur et moi-même, tandis que notre père, le béret vissé sur la tête pédalait joyeusement sans avoir pris le temps de retirer sa fameuse blouse grise.

C’est encore vers la Croix des Frappiers que me mena ce fier destrier et c’est encore dans cette direction que mes premières leçons de conduite me menèrent sous la direction quelque peu incertaine de Monsieur Foucher. J’avais eu la malencontreuse idée de prendre mes cours après l’heure du repas, l’alcootest n’étant pas encore de rigueur y compris pour les moniteurs. Fort heureusement la route était peu fréquentée, je m’en tirais honorablement avant que de mettre un terme à mon envie de permis de conduire.

La mémoire a déroulé son récit. Un lieu somme toute banal peut évoquer des cascades de souvenirs. J’espère qu’il en sera de même pour vous. Bon voyage en enfance. Merci d’avoir effectué un petit bout de route en ma compagnie.

Solognement vôtre.

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35 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 12:52

    Bonjour à notre sculpteur de mots. Savez-vous qu’il existe un superbe gites à sully sur Loire : http://www.chambres-hotes-lesfrappiers.fr/


  • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 13:32

    « sculpteur » de mots ? Tu le prends pour Victor Hugo où quoi !

    ah ! Emphase, Emphase… Quand tu les tiens à Modéravox !

    c’est un régal !


    • C'est Nabum C’est Nabum 5 janvier 2019 14:17

      @Rinbeau

      Ne soyez pas jaloux

      Je ne suis rien qui vaille, bien moins que vous en tout cas


    • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 14:33

      @C’est Nabum

      jaloux de quoi ? Je suis lecteur et quand je vous lis, je ne lis rien qui ne baille, c’est tout ! je vous le dis, car la liberté d’expression est bien le propre de Modéravox n’est-ce pas ? N’y voyez pas de mal !


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 13:40

    Emphase,....non, en phase,.....


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 13:42

    Thot Hermès Trismégiste. Ce qui est en bas est comme ce qui est en phase. Poule a nid bas et coq a nid haut. On arrive dans le signe chinois du cochon.


    • Gollum Gollum 5 janvier 2019 14:22

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      On arrive dans le signe chinois du cochon.

      Super ! On va pouvoir se vautrer dans vos posts comme un cochon dans sa fange..


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 14:40

      @Gollum

      Cochons et serpents je pense ne s’entendent guère,....Mais je suis cheval de bois. Très mauvais pour Macron serpent de feu et Brigitte d’eau. Je vous déconseille,....


    • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 14:44

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      LOL ! à chevaucher un cheval de bois c’est vrai qu’on n’avance pas bien loin !


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 14:50

      @Rinbeau

      C’est du Rinbeau ou du Monsieur « Bricolage ». On est loin des « Illuminations ». Retournez à votre boîte d’outils.


    • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 14:55

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      quel rapport entre mon non de famille et les illuminations s’il vous plait ?


    • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 14:58

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.

      par contre vous en illuminations vous avez l’air de vous y connaitre ! Lol 


    • Shaw-Shaw Shawford 5 janvier 2019 15:13

      @Laird

       smiley Cherche pas, c’est pas cette s........ooooope là ! smiley

      @pupuce007

      Ce soir, je te grille en mondivision, t’as intérêt à bien lisser ta foufoune d’ici-bas ! B/) / smiley


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 13:43

    Ce qui est en bas est comme ce qui est en bas. Cela va de soie ;


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 13:44

    Et comme tout ce qui est en bas et comme ce qui est en haut. 

    Une collision galactique va perturber le Système solaire

    La Voie lactée et le Grand Nuage de Magellan devraient entrer en collision plus tôt que prévu, ce qui pourrait réveiller le trou noir supermassif au centre de notre galaxie et perturber notre Système solaire.


  • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 13:57

    sur Modéravox la matière noire occulte la matière grise !


  • patwa 5 janvier 2019 14:15

    Dite monsieur le compteur,

    Vous vous plieriez a l’exercice de la correspondance au travers le temps un jour ? Un texte écrit depuis l’an tant ? Ressusciter, des pensées d’autres temps ?

    Nous apprécions vos bonimensonges :)


  • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 14:18

    Rimbaud était un vrai poète lui !


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 15:12

    Merci pour cette belle histoire qui me rappelle tant le mienne à Russeignies en Blegique avec des parents dans la forge et le tissage. Un conseil de lecture pour l’Auvergne : Les Vaches rouges. Hommage à celui qui sait remercier ses ancêtres d’être sur cette petite boule de terre. Ecrit à la manière d’un autre bernard,....Clavel. Lui au contraire de Rimbaud qui a brûlé sa vie a eu le temps de transmettre son héritage. Desuet,...nous verrons,... 


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 5 janvier 2019 15:16

    Un oubli : une des meilleures pomme de terre au monde : oeil de Sologne ;


  • Rinbeau Rinbeau 5 janvier 2019 15:22

    la tomate sur Modéravox me parait être plus appropriée.


  • Shaw-Shaw Shawford 5 janvier 2019 15:34

    J’arrive de la Mosquée des frappés d’à côté : que je l’aime c’t ouvrier dans le sens le plus noble qui puisse être des Thermes !

    Longue vie à l’ÂNI ! smiley 💓


  • Sergio Sergio 5 janvier 2019 19:30

    Bonsoir Mélusine et Nabum

    Il y eu des chemins de croix bien plus pénibles. il existe aussi des endroits qui, durant la jeunesse, revêtaient un certain charme voire un certain mystère qui, à l’age adulte lors d’une redécouverte, n’exhalent plus les mêmes ressentis, mais ce qui console alors comme chacun le sait, c’est le chemin pour y arriver !


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 janvier 2019 10:08

      @Sergio

      Mon enfance s’est passée dans le triangle Wallon et Flamand (souvent visité par les français du Nord pour le fameux et superbe Mont de l’Enclus. Le lieu est connu pour son caractère un peu « étrange » : Trolls (gentils et méchants, Sorcière et chapelles diverses dans lesquelles moi et mes amies nous cachions pour jouer ou chercher des objets divers derrière la Vierge). Une enfance assez idyllique qui avait aussi sa ou ses frontières à franchir. Celle qui passait de la Flandre (Audenarde), de la demi Flandre (Renaix actuellement Ronse) et la Wallonie (Flobecq). Dans son romans : les Saints sans auréole, mon grand-père relate une histoire d’amour pendant la résistance avec une juive,...sur Le Mont de l’Enclus (mélange des cultures). La région s’appelle : PAYS des Collines. Beaucoup de maraîchers bio viennent de la région. N’oubliez pas de vous arrêter à Gramont pour la Tarte au Maton. 


    • C'est Nabum C’est Nabum 7 janvier 2019 08:17

      @Sergio

      Le chemin est l’essentiel


  • nono le simplet 6 janvier 2019 07:23

    ah ... tout ça me replonge loin en arrière ... les jeudis ou les samedis après midi de beau temps on partait aussi en balade avec mon frère, mon copain Bernard et invariablement nous prenions la même direction avec les mêmes pauses ... et c’est toujours la même source où nous remplissions nos gourdes qui marquait le chant du retour ... je revois encore certaines portions de route comme si c’était hier ...


  • juluch juluch 7 janvier 2019 21:46

    Souvenirs, souvenirs ! j’en ai quelques ’uns aussi....je les fait partager à mes filles....

    merci nabum !


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