jeudi 4 avril 2019 - par C’est Nabum

La petite fille du paludier

Fleur de sel.

Elle s’appelle Nolwenn, elle était la petite fille préférée de son grand-père Victor qu’elle surnommait affectueusement Grand’Pa. Elle adorait alors par dessus tout l’accompagner dans les marais salants qui n’avaient plus de secret pour elle. Elle maniait magistralement la lousse pour tirer ces petits cristaux précieux qui étaient en suspension à la surface de l’eau. Ce sont eux qui lui valurent ce sobriquet qui ne la quitta jamais : « Fleur de Sel ! »

Jamais petit nom n’avait aussi bien décrit cette attachante gamine espiègle, pétillante et belle comme le soleil qui vient éclairer les œillets. Charmante et enjouée, elle faisait le bonheur de Victor qui espérait en elle, la relève. Il est vrai que l’on était sauniers de père en fils depuis si longtemps chez Monfort. Une petite fille, pourquoi pas se disait l’ancien, courbé sur son Grand Lasse qui lui ruinait le dos. Il était bien temps pour lui de passer la main mais hélas la petiote était encore trop fluette !

Le destin en décida tout autrement. Nolwenn ne réalisa pas son rêve pas plus qu’elle ne put combler le désir secret de son Grand’Pa. Le brave homme s’en alla trop vite, usé par un métier qui ne supportait guère l’asthme qui le tenaillait depuis toujours. Il s’éteignit sereinement pourtant, sachant que son fils, Yann, le père de la drôlesse allait garder leurs quatre-vingt œillets et leurs vingt arpents de bonne terre.

Le sort a parfait des soubresauts de nature à contrarier la destinée. Yann, gros travailleur se retrouva avec un problème de santé sournois. Il dut se faire poser une valve cardiaque tandis que les médecins lui déconseillèrent fortement de se retrouver seul dans les champs ou les œillets. La mort dans l’âme, il vendit la propriété ancestrale pour aller travailler au chantier de l’Atlantique. Nolwenn s’éloigna du marais les yeux brillants de larmes, s’installa dans la Brière, trop loin de ses chers œillets. Elle ne prendrait pas la suite de Grand’Pa comme elle le lui avait promis.

Fleur de Sel allait dépérir loin de de ce paysage unique. Il lui fallait trouver un dérivatif, une activité susceptible de la rapprocher de tous ceux qui l’avaient précédée et qui avaient ployé sous le poids du sel dérobé à la mer. Sans rien dire aux siens, tout en suivant des études, elle se lança à corps perdu dans la recherche généalogique. À défaut de devenir saunière, elle conservait ses origines dans le sel pour honorer éternellement tous ceux qui avaient tenu la Lousse et le Lasse.

Elle ne fut pas déçue. Des palanquées de saunier peuplaient son arbre généalogique. Ils avaient tous vécu ici, s’étaient mariés avec des filles du pays dont les parents pratiquaient eux aussi ce merveilleux métier. Nolwenn remontait le temps tout en se donnant l’illusion au travers de ses ascendants, qu’elle restait à jamais Fleur de Sel, une fille du marais.

Elle découvrit des archives jusqu’aux années 1500, fière d’un travail qu’elle allait pouvoir montrer aux siens. Puis, ne pouvant remonter plus avant dans le temps, elle abandonna ce qui était bien plus qu’un loisir pour se marier, fonder une famille et trouver un travail plus alimentaire que celui dont elle avait toujours rêvé. Pour se rappeler le marais et la vase qui se trouve au fond des œillets, elle avait peint les volets de sa maison en gris clair. Un détail sans doute pour vous, mais pour elle ça voulait dire beaucoup.

Elle choisit une nouvelle passion, la chanson. Nolwenn quoique discrète de nature trouva dans le chant choral une formidable occasion de mettre en avant sa voix cristalline de Soprano colorature. Elle était heureuse, fondue dans le chœur, parcourant tout le répertoire traditionnel des chorales terriennes. Mais au fond d’elle, une petite voix lui soufflait : « N’oublie pas les tiens Fleur de sel ! »

Comment pouvait-elle répondre à cette requête étrange ? Elle pensa concilier son loisir et son passé en entrant dans une chorale de chants de marins. Ce ne fut pas facile, son registre vocal, bien trop haut pour un tel répertoire, lui fermait les portes d’ensembles où les hommes sont toujours plus nombreux. Nolwenn était au désespoir, il lui fallait retrouver ce doux parfum d’iode et d’embrun au travers d’un répertoire qui lui semblait interdit.

La dame est une battante. Bon sang ne saurait mentir, son Grand’Pa avait dû lui insuffler une opiniâtreté digne de la Bretagne voisine, toute Briéronne qu’elle était devenue par la force des circonstances. Elle se mit à écrire un texte, ils ne voulaient pas de sa voix, ils prendraient sa chanson ses sacrés lascars qui aiment à rouler les épaules tout en chantant.

Elle redonna vie à son Grand’Pa et Fleur de Sel revint vers la belle équipe des Fous de Bassan avec ce poème sur lequel, il ne manquait plus qu’à glisser quelques notes. Elle fut accueillie à bras ouverts. Elle chante maintenant avec ses amis, elle fait bien plus alors. Elle porte avec elle tout ce passé qui s’est dérobé par la faute de la malchance. À défaut d’être saunière, Fleur de Sel chante pour tous les siens ...

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Les paludiers

 

 

Comme les orpailleurs des rivières

Ils puisent un trésor de la mer

De petits grains minuscules

Qu'ils élèvent en monticules

 

Paysans marins aux pieds nus

Ne maniant jamais la charrue

C'est l'Océan qu'ils canalisent

Des étiers loin des balises

 

Ils vont de délivres en œillets

Nos amis les paludiers

La lousse toujours à bout de bras

De l'argile faisant des tas

 

La vase est leur compagne

Et le marais leur campagne

Dans la tempête et le gros temps

Ils travaillent inlassablement

 

C'est dans la mer qu'ils recueillent

Ces petits cristaux de l'orgueil

Merveilleuses perles de soleil

Qui sont des délices sans pareil

 

Si leur fleurs sont de sel

Elles ne seront jamais de celles

Qui flétrissent à votre table

Dans un oubli lamentable

 

Elles parfument nos aliments

Donnent saveur et piquant

Le paludier peut être fier

De cette offrande de la mer

 

Comme les orpailleurs des rivières

Ils puisent un trésor de la mer

De petits grains minuscules

Qu'ils élèvent en monticules



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