lundi 13 octobre 2014 - par C’est Nabum

Le livre des comptes

Le débit est à son crédit ....

Rupture comptable

J'ai eu le désagrément d'assister à une séance associative qui ne peut que laisser un goût amer et une immense impression de gâchis. Deux personnes qui, jusqu'alors, se respectaient et se rendaient des services mutuels, en sont venues à la rupture spectaculaire, fracassante, irréversible, pour quelques comptes qui en firent les meilleurs ennemis.

Il n'est pas simple de raconter l'algarade sans prendre parti pour l'un plutôt que l'autre. Il est vrai, comme dans bien des cas, que la forme influence bien plus ceux qui sont témoins que le fond qui demeure toujours incertain et secret. Je vais tenter l'aventure de restituer cette passe d'armes, non pas comme elle s'est déroulée mais comme je l'ai ressentie.

Cela faisait déjà quelque temps que l'un des deux protagonistes réclamait à cor et surtout à cri, de pouvoir consulter le livre des comptes de l'association. Requête légitime, certes, mais de bien peu d'enjeu, compte tenu de la modestie des fonds de celle-ci. On devinait, à chaque fois, que notre amoureux des nombres bien ordonnés voulait autre chose que des colonnes d'additions et de soustractions. Mais chacun peut avoir sa petite lubie.

Le dépositaire des comptes était, quant à lui, dans une situation personnelle si déstabilisante, qu'il n'avait guère l'esprit à ordonner ces quelques nombres de si peu d'importance au regard des soucis financiers qui lui prennent son temps et son énergie. Nous comprenions cette envie de différer sans nous en inquiéter vraiment, tant l'enjeu était dérisoire.

Pourtant ce soir-là, l'explosion entre les deux dépassa le degré neuf de l'échelle de Richter. Sans préambule, sans approche prudente, le quémandeur attaqua d'entrée le gardien du trésor. La voix grondait, le ton était immédiatement agressif. Les autres membres de l'association rentraient les épaules ; il était évident que la tempête redoutée allait exploser.

Et ce fut le cas. Des tonnerres verbaux, des éclairs dans les yeux, des poings qui frappent la table, des cris et des jurons : le capitaine Haddock était parmi nous. Cela dura un temps infiniment long pour ceux qui n'étaient que des témoins passifs de cette pauvre explosion de ressentiments accumulés. D'autant plus interminable, du reste, que les arguments tournaient en boucle, se répétaient, s'amplifiaient démesurément. Quand on en arrive à ce degré de courroux, on ne compte plus ses mots ….

L'agressé était outragé dans sa dignité. Cela faisait peine à voir, d'autant que ce brave homme avait vraiment beaucoup donné pour cette association. Personne ici ne mettait en cause ni sa probité ni son intégrité morale. Il y avait simplement eu une négligence comptable qui ne fait pas de vous un paria, un renégat de la cause associative. Nous le comprenions tous et en souffrions pour lui.

L'autre ne se maîtrisait plus. Les mots étaient une arme de destruction massive, une mitraillette à répétition. Il tirait désormais sur tous ceux qui avaient une responsabilité dans le système. Échauffé par sa colère immense et par, sans doute, quelques libations préalables, il vociférait, il éructait, il tonnait. Il se ridiculisait alors qu'il aurait pu réclamer simplement et calmement ce qu'il était en droit de contrôler.

Mais hélas, les limites étaient franchies, les digues rompues. Les flots laissaient désormais place aux insultes, aux menaces, aux promesses judiciaires. Plus rien ne pouvait rattraper le cheval fou de la discorde. Il fallait que l'un des deux se retirât, disparût de la scène. Les mots qui blessent, les mots qui brisent, les mots qui tuent avaient fait leur œuvre.

Nous avions beau essayer d'adoucir ce violent règlement de comptes par quelques saillies humoristiques, l'effet était inverse, naturellement. Quand la colère devient conseillère, quand le contrôle est perdu, quand les vieilles rancunes ont été déversées, quand le sac à misère a explosé, plus rien ne peut endiguer le mal sournois de la haine.

Le querelleur irascible a tourné les talons ; il a quitté la scène de manière fracassante. Il ne lui restait plus que cette ultime porte de sortie pour tenter de sauver ce qui pouvait l'être encore à ses yeux : son honneur. C'était, hélas, la seule issue possible dès les premiers échanges, tout ça pour presque rien, pour une broutille qui n'était que vétille.

Mais ce sont les mots et la forme qui lui avaient manqué. Faute de pouvoir s'expliquer, il avait immédiatement mis la barre dans le registre belliqueux. Je pensais alors qu'il en est souvent ainsi avec les élèves de nos collèges. La langue est un merveilleux vecteur de débat mais quand celle-ci se réduit à peau de chagrin, quand le niveau du discours monte trop vite, l'irréparable arrive souvent, pour rien ou presque rien.

Je n'avais qu'une hâte : rentrer chez moi et oublier au plus vite cet épisode douloureux. Ce n'était pas seulement un coéquipier que nous avions perdu mais aussi notre temps et une part de nous même. La haine salit, la haine laisse une mauvaise traînée derrière elle. Il me fallait effacer ce moment que j'aurais aimé ne pas vivre et je n'ai d'autre exutoire que de le coucher par écrit.

Colèreusement leur.



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