dimanche 4 avril 2021 - par C’est Nabum

Le petit pâtre et sa flûte

Conte pascal

Pierrelot était en ce temps-là un jeune gamin qui pour subsister n'avait d'autre solution que de se louer au service de fermiers qui avaient de quoi l'employer. À la louée, il avait tapé dans la main d'un éleveur, homme redouté de tous, qui avait un grand troupeau de moutons. Dès les premiers beaux jours du printemps, les moutons embarquaient sur une charrière pour aller passer le printemps, l'été et le début de l'automne sur une vaste île de Loire.

Pierrelot durant presque 8 mois allait se trouver coupé du monde, seul avec ses moutons, son chien et son inséparable flûte dont il jouait comme personne. Il s'était constitué un abri, une sorte de cabane pour y passer la nuit et s'abriter en cas de mauvais temps. L'île était vaste, l'herbe drue et grasse, de quoi engraisser les bêtes et enrichir leur propriétaire.

Une fois par semaine, un fûtreau venait apporter le ravitaillement au gamin, quelques compléments pour les moutons et de quoi assurer les soins. Une vie rude pour un enfant privé d'école, de la compagnie de ceux de son âge et de parents auxquels, il faut bien l'avouer, il n'avait guère eu le temps de s'attacher.

Il n'avait rien à dire, c'était le sort de nombreux pauvres diables comme lui, serviteurs dès leur plus jeune âge, voués toute leur existence à vendre leur force de travail à des maîtres pour trois fois rien, de quoi manger et parfois se loger. C'était ainsi disait-on de toute éternité et rien ne permettrait de penser que ça changerait.

La musique était son refuge. S'il n'avait pas eu de maître pour apprendre à lire, il n'en avait pas eu non plus pour découvrir la musique. Fort heureusement, il est possible quand on est doté d'une bonne oreille musicale, de devenir son propre guide. C'est ce qu'il advint pour le jeune berger qui par la grâce d'un don providentiel, avait trouvé dans sa flûte, le plus merveilleux réconfort.

Pierrelot n'en était pas certain mais il jurerait que les moutons n'étaient pas insensibles à ses mélodies. Il y en avait tout particulièrement quelques-unes qui lui permettaient de regrouper les bêtes auprès de lui pour la nuit. Il avait constitué un enclos fait de bric et de broc pour dormir sans trop se soucier des maraudeurs. Les bêtes se retrouvaient toutes proches de lui et de son abri sommaire, elles lui apportaient chaleur et réconfort tandis que Fidèle, son brave chien, lui donnait l'occasion de dormir sereinement.

Cette année-là, c'était sa troisième pâture pour ce maître. Le gamin n'avait jusque-là pas à se plaindre de lui, il avait tenu ses modestes engagements sans être chiche sur le ravitaillement hebdomadaire qu'il lui faisait porter. Cela suffisait au bonheur d'un gamin qui n'attendait rien de plus d'une existence que le hasard de la naissance avait voué au service des autres.

Jusque-là, les bêtes s'étaient toujours bien portées sous sa surveillance. Les prédateurs étaient sur la rive et n'avaient nulle envie de se mouiller pour faire bombance sur l'île. Ils avaient largement de quoi faire sur le continent, pourquoi se jeter à l'eau quand on peut faire autrement ? Quant aux chapardeurs, péril plus sérieux celui-là, l'emplacement de son refuge supposait qu'ils empruntent un bateau pour venir accomplir leur larcin. La Loire n'était pas de fréquentation aisée en cet endroit, ils auraient eu grand peine à jouer les aigrefins.

Pierrelot coulait des jours heureux. Les airs qu'il tirait de sa flûte exprimaient sa joie de vivre et son bonheur simple. Il y avait même souvent, quand le vent donnait dans le bon sens, des amateurs qui venaient se distraire quelques instants de ses belles mélodies sur les berges de la rivière. C'est pourtant dans cet environnement serein que les choses, contre toute attente, prirent une fort mauvaise tournure.

Ce matin-là, après une nuit paisible sans le moindre signe d'inquiétude, le gentil pâtre découvrit une brebis couchée sur le dos. Il savait que c'était là un fort mauvais présage, les moutons ne sont pas habitués à se placer de la sorte. Fort de son expérience acquise durant les deux saisons précédentes, il s'empressa de la relever. La bête retomba, semblant à bout de forces et fort mal en point, elle finit par succomber avant que ce ne fut la midi. Voilà un incident fâcheux qui coupa l'envie de jouer des airs joyeux au gamin.

Il lui faudrait rendre compte de l'incident lors du prochain ravitaillement qui aurait lieu dans trois jours. Le maître ne serait pas content d'autant qu'il ne s'agissait pas d'un accident. L'animal n'avait rien de cassé et n'avait été la victime d'aucun charognard. Le berger allait subir le courroux de son patron…

Il prit soin d'écarter la dépouille du troupeau, lui trouva un endroit propice pour la conserver intacte afin de n'être pas accusé de vol ou de dissimulation par-dessus le marché. Il se pensait tranquille jusqu'à la nécessaire explication quand le lendemain deux moutons cette fois furent pris des mêmes symptômes et connurent la même issue. Cette fois, il était certain de passer un sale quart d'heure ou pire encore, de se retrouver débarqué promptement et envoyé au diable sans ses gages.

Le troisième jour, juste avant l'arrivée du ravitaillement, un nouveau mouton passa de vie à trépas. Quatre morts en trois jours, bien plus que durant les deux années précédentes où il n'avait eu à déplorer qu'un bris de jambe qui avait dû entraîner le sacrifice de la bête. Qu'allait dire le maître ? Il n'allait pas échapper à une colère terrible et pire encore, il risquait d'être mis en accusation.

De ces trois jours, il ne joua pas une seule fois de sa flûte ; il n'avait pas le cœur à la musique. C'est ce qui alarma les gens de la rive qui en firent part au fermier. Chose extraordinaire, il vint en personne apporter de quoi manger et surtout s'enquérir de ce qui se tramait. À sa vue, Pierrelot perdit toute contenance, voulut se sauver, se mit à bégayer avant que de s'embrouiller dans des explications sans queue ni tête, d'autant plus qu'il n'avait le pauvre, aucune idée de ce qui s'était passé.

La fureur de l'homme fut sans mesure. Il pensa avoir été trompé par cette petite canaille en qui il avait placé sa confiance. Ses hésitations, sa presque fuite, ses explications absurdes démontraient qu'il y avait là une mauvaise action quelconque qu'il entendait dissimuler en jouant les imbéciles. L'homme allait lui faire payer très cher ce qu'il prenait déjà pour un acte délibéré.

Il ramena le gamin à terre envoyant promptement un remplaçant. Il le mena bien vite au prévôt l'accusant d'avoir empoisonné quatre de ses moutons. La malveillance était manifeste et avait tout l'air d'être ces fameuses gobe-moutons dont la réputation n'était plus à faire ; ces fameuses boulettes empoisonnées que des esprits malfaisants donnaient aux bêtes pour se venger de leur propriétaire.

Dans le pays circulait la recette de ce tant redouté piège mortel. Des individus retors, des suppôts de Satan préparaient dit-on des pilules qui se composent, de bourre ou de filasse roulées en boulettes qu'ils font frire, et qu'ils enduisent de beurre, ou de miel. L’innocent animal, affriandé par l’enveloppe, gobe avidement les pilules meurtrières. C'est ainsi qu'avait dû agir ce jeune fourbe pour remerciement de la générosité de son bon maître.

Pierrelot était dans de beaux draps. L'accusation de sorcellerie n'était pas loin pour ceux qui usaient ainsi de poison car tel était ce dont il se trouvait accusé sans la moindre raison. Comment ce pauvre gamin pouvait-il se défendre, lui qui ne comprenait rien à cette histoire et qui plus est était malheureux comme les pierres de la perte de quatre des moutons qui étaient tous ses uniques compagnons avec le chien du troupeau ?

L'affaire allait rondement être menée. Personne n'avait le moindre doute sur sa culpabilité. Un gamin de rien, un pauvre hère était la proie idéale pour des superstitions d'un autre temps. L'époque n'était pas fameuse, les récoltes n'avaient pas été bonnes, un bon bûcher est toujours de nature à vous réconcilier le maître des cieux. Il fallait châtier l'empoisonneur au plus vite.

Sorcier ce pauvre enfant était, sorcier il serait puni par les flammes d'un enfer auquel de toute manière il était destiné. Voilà qui ferait un peu de distraction dans la contrée et changerait de toutes ces femmes qui avaient péri de la sorte pour des raisons plus mystérieuses encore. S'en prendre à l'agneau de Dieu juste avant Pâques ne supposait aucun pardon.

Fort heureusement pour le gamin, à Évreux, il venait de se trouver pareille mise en accusation il y avait peu de temps. Un laboureur avait été accusé d’avoir détruit ainsi un troupeau et condamné à six années de galères. L'homme plus pugnace que notre malheureux pâtre fit appel du jugement. Le tribunal fait exceptionnel consulta la société royale d’agriculture, sur la question de savoir si le gobe-mouton était en effet un moyen d’empoisonnement.

Un rapport établit que ces supposées pilules n’étaient que des égagropiles, c’est-à-dire des pelotes de poil ou de laine que l’on trouve dans la panse des moutons, qui sont recouverts d’un enduit visqueux produit par les sucs de l’estomac, et qui en effet peuvent causer leur mort. Les victimes, en se léchant eux-mêmes, ramassent sur leur langue des poils et des filaments de laine qui passent dans l’estomac. Le laboureur fut ainsi blanchi.

Un chemineux qui passait par les bords de Loire rapporta l'affaire d'Évreux. Par quel miracle accorda-t-on crédit à un trimard, voilà qui n'est pas expliqué ni même compréhensible en cette époque. Le jeune Pierrelot était apprécié de beaucoup de par sa musique qui enchantait les simples et les braves. On fit mander à Évreux un juge pour confirmer la chose. Le gamin échappa à la sentence, fut libéré et trouva un autre troupeau à garder. En ce temps-là, les moutons étaient très nombreux à paître au bord de la rivière.

L'image d'Épinal du berger, son troupeau et sa flûte vient de ce gamin dont l'histoire ne retint pas le nom. En avait-il un au juste ? Il continua le reste de son âge à garder les moutons et surtout à jouer de la flûte pour le plus grand bonheur de tous et c'est bien là l'essentiel. Voilà bien une histoire qui méritait de trouver sa place pour la Pâque ou Pâques, période où nombre d'agneaux finissent sur un curieux bûcher rotatif en mémoire du sacrifice d'Abraham. Les pauvres bêtes ne sachant pas jouer de flûte, n'échappent pas à leur triste sort.

Ruminement sien.

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12 réactions


  • juluch juluch 4 avril 2021 18:31

    Une histoire vrais ?

    Les moutons ne sont pas à la fête ces temps ci !

    bon appétit !!


  • robert 4 avril 2021 18:35

    Cela ne fait plus illusion


  • Clark Kent Séraphin Lampion 4 avril 2021 19:22

    Merci pour ce joli texte.

    Je connaissais les gobe-mouches que mon instituteur ramenait sur terre d’un petit coup de règle sur la tête, mais pas ces gobe-mouton qui n’étaient que des égagropiles. J’ai appris, si le laboureur d’Evreux avait échappé aux galères, il avait été également échappé à la flétrissure, une peine infamante consistant en un marquage au fer rouge en place publique. La flétrissure était plus grave que le blâme, l’amende honorable, l’exposition publique et le fouet, mais se situait en dessous de la mutilation, des galères, du bannissement et de la question. Son caractère permanent lui donnait un caractère stigmatisant.

    En France, le fer servant à marquer les condamnés avait la forme d’une fleur de lys.

    Le tribunal d’appel a été bien avisé de consulter la société royale d’agriculture dony l’avis a été fortifié d’un certificat du maître de poste de Nonancourt. Pierrelot et le laboureur s’en sont bien sortis, mais combien de pauvres types ont dû subir ces infamies dont le but était davantage d’impressionner la population que de faire justice, comme pour la chasse aux sorcières.


  • exocet exocet 4 avril 2021 21:10

    Bonjour, Cenabum

    on apprend toujours quelque chose avec chacun de vos contes....

    Merci


  • Xenozoid Xenozoid 4 avril 2021 21:12

    pov bêtes,fini en bidoche


  • zygzornifle zygzornifle 6 avril 2021 09:13

    Heureusement qu’il n’était pas de la légion autrement les moutons auraient boités ....


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